Le sens social de la liberté. Eric Bories. 31-03-22.

Le sens social de la liberté

Eric Bories

Podcast : https://audioblog.arteradio.com/blog/177738/podcast/182027/eric-bories-le-sens-social-de-la-liberte-eric-bories-31-03-22

Je me propose de tenter d’expliquer pourquoi pouvoir faire ce que nous voulons sans entrave, ou encore vouloir ce que nous voulons sans influence, ne suffit pas à penser le sens de la liberté, ni a fortiori à la rendre faisable. Ainsi lorsque nous nous satisfaisons de nous représenter l’étendue de nos droits, comme d’ailleurs l’étendue de ce qui serait bon que nous fassions, la liberté demeure un idéal pour les individus que nous sommes. Dans ce contexte nous nous faisons bien en effet de la liberté une idée, idée qui peut être pensée à l’écart de nos engagements familiaux, de nos impératifs de collaboration professionnelle, de nos démarches de citoyens.
Concentré sur la réflexion stricte de ce que le droit prescrit ou de ce à quoi la morale l’oblige l’individu qui, de la sorte, se prétendrait libre, passerait au mieux à côté de sa vie ; au pire l’anéantirait. Le moralisme poussé à l’extrême comme le juridisme poussé à l’extrême chasse en effet l’amitié et l’amour, la collégialité heureuse aussi. C’est ce que dénonce Axel Honneth en 2011 dans un ouvrage publié en Français en 2015 sous le titre Le droit de la liberté. C’est pourquoi un professeur qui irait ex abrupto dénoncer le plagiat de son collègue et ami auprès du recteur de l’université ne pourrait que souffrir et faire souffrir les autres autour de lui. De la même façon un père qui n’envisage de régler la question du droit de garde de son enfant que sous la forme d’une joute juridique l’opposant à son ex-femme s’exposerait à mépriser les soins et l’amour qui le lient à son fils, comme le reconnaît Honneth dans son commentaire du film Kramer contre Kramer. Liberté juridique et liberté morale sont bien des conditions nécessaires de la liberté mais ne suffisent donc pas à faire liberté, à la rendre effective.
Le fait est que notre époque, qui se plait à transformer les liens sociaux en liens économiques juridiquement encadrés ne nous encourage pas vraiment, et c’est peu de le dire, à l’effectuation sociale de la liberté. Rien ne nous interdit pourtant d’être optimistes, à la condition expresse, toutefois, d’aimer la part de lumière qui anime ou qui est susceptible d’animer celles et ceux qui partagent nos vies, en cultivant avec confiance l’espoir qu’ils sauront nous aider à chasser chez eux comme chez nous la part d’ombre qui nous abîme.