Qu’est-ce qu’un transfuge de classe ? A. Gomes-Samaran. 14-12-23

Qu’est-ce qu’un transfuge de classe ?
A. Gomes-Samaran

Podcast : https://audioblog.arteradio.com/blog/215487/podcast/217905/qu-est-ce-qu-un-transfuge-de-classe-angelique-gomes-samaran-14-12-2023


Un transfuge de classe est un individu qui a connu une mobilité sociale intergénérationnelle. Je m’explique : la mobilité intergénérationnelle désigne le changement de position sociale d’une génération à l’autre, à savoir du père au fils, de la mère à la fille, du père à la fille… 
Les exemples que j’ai choisis pour cette conférence sont des exemples de mobilité ascendante, c’est-à-dire des individus qui ont connu un déplacement dans la structure sociale vers le haut et pour être plus précise de la catégorie « ouvrier » vers la catégorie « cadre ».
La part des trajectoires ascendantes a connu une hausse entre les années 70 jusqu’au début des années 2010, pour connaitre aujourd’hui une stagnation. Toutefois, cette mobilité ascendante est très souvent constituée de trajets courts, c’est-à-dire d’un père employé non qualifié à un fils qui exerce une profession d’employé qualifié.
Il n’en est pas ainsi pour les trois individus choisis qui ont la particularité d’avoir parcouru des trajets sociaux longs, ce qui nous permet de les classer du côté des trajectoires improbables. Dans les faits, cela se traduit par un père ouvrier dont le fils est devenu un intellectuel ou encore un père ouvrier dont la fille est devenue prix Nobel de littérature. 
Si le point de départ portait sur les ressorts communs du caractère improbable de leur destinée, deux problématiques en filigrane se sont imposées à la lecture et la compilation de ces trois ascensions sociales : 
1) être transfuge de classe, est-ce un désir de liberté, d’émancipation, une volonté ou bien le résultat d’un déterminisme par le rejet ? Autrement dit, le transfuge de classe renie t-il un milieu social ou bien est-ce le milieu social qui le renie ? 
2) Etre un transfuge de classe, est-ce réellement passé de l’autre côté ? Devient-on irrémédiablement autre chose ?
Quels trajets pour Didier Eribon, Annie Ernaux et Edouard Louis ?




                          

Quels sont les ressorts communs à leur destinée sociale improbable ?

a) L’intériorisation de l’infériorisation sociale des parents
Avant d’aborder la honte qu’ils ressentent de leur origine sociale, il faut souligner que chacun a fait l’expérience de l’infériorisation sociale dès leur plus jeune âge au contact de leurs parents.
En effet, Annie Ernaux décrit précisément comment son père ressentait la honte d’être ouvrier, la honte d’être du côté des inférieurs. Tous trois ont donc largement intériorisé la hiérarchisation des goûts, des préférences et pratiques culturelles à la l’origine de cette honte.
Cela passait principalement par :
D’abord, un rapport craintif aux usages de la langue parce que socialement stigmatisant 
En effet, dans l’univers des ouvriers, on parle à l’économie des mots devant les personnes qui parlent bien. On parle avec précaution par peur de mal dire et on s’interrompt pour laisser la personne en face le soin de finir. De même, les situations administratives, comme aller chez le notaire, sont des moments de confrontation malaisante à la culture écrite car on a peur des possibles fautes de compréhension et des fautes d’orthographe. Enfin, le père d’Annie Ernaux est fier de prendre de la distance avec son milieu en se défaisant du patois, ce parlé local qui était le signe d’infériorité et de comique.
Puis, il y a un sentiment de décalage par rapport à la légitimité culturelle
Les ouvriers portent en eux le sentiment d’être déplacé dans plusieurs des situations de la vie quotidienne et expriment souvent une déférence presque exagérée quand ils se retrouvent devant des notables, la hiérarchie, bref des personnes haut placées.
Enfin, il y a l’inéluctable usure et destruction des corps.
Tous trois font état de la progressive dégradation physique des corps de leur père soit en raison des conditions de travail (pénibilité, multiplication des emplois), des accidents du travail (invalidité, maladies professionnelles) mais aussi des pratiques de tabagisme et de consommation d’alcool courantes chez les ouvriers.
L’espérance de vie est plus courte pour les ouvriers que les cadres, la mort est prématurée et c’est en cela qu’Edouard Louis a voulu en faire un objet politique dans son livre Qui a tué mon père. Citation : Tu as à peine plus de cinquante ans. Tu appartiens à cette catégorie d’humains à qui la politique réserve une mort précoce.
Il y avait déjà sur cette génération un double mouvement à la fois des envies de se défaire de sa condition tout en ne sachant pas le faire ou maladroitement, risque de tomber dans la faute de mauvais goût (en matière esthétique décorative par exemple (Ernaux)). 

b) L’expérience d’un monde social qui inspire la honte
La description du monde ouvrier dans lequel ils ont vécu est plutôt noire et laisse peu de perspectives.
C’est un monde de privation, de manque continuel, de sacralisation des choses, d’envie et de comparaison où l’on désire pour désirer sans savoir ce qui est beau. Un monde masculin où il est fortement déconseillé de danser, de pleurer, de faire des études au risque d’être efféminé. Un monde méfiant notamment à l’égard de la médecine, avec une hygiène corporelle douteuse. Un monde fermé, raciste et homophobe dont le vote est aujourd’hui acquis au Rassemblement National.
Ces descriptions sortent du souvenir souvent réactivé au moment de la consultation de photos de famille. Annie Ernaux se souvient des photos prises le dimanche car c’était le jour du temps libre et des efforts vestimentaires. Il ne fallait pas sourire, l’émotion n’était pas un sujet photographique. Ils prendraient des photos essentiellement de ce dont ils étaient fiers : les biens matériels, les cérémonies…
Quand Didier Eribon consulte des photos avec sa mère après la mort de son père cela lui rappelle lui enfant, l’adolescent qu’il était mais aussi son milieu d’origine, ce milieu ouvrier et la misère intérieure et extérieure du décor. De même, Edouard Louis propose de faire l’archéologie de la vie d’une femme et en creux sa propre socioanalyse à partir d’un selfie de sa mère. Le négatif de cette photo montre la lente et scandaleuse destruction de cette femme dans l’enfermement de sa vie domestique pour une part voulue et une autre part contrainte par son mari. Ainsi, la photo devient l’incarnation du passé social dans le présent à travers les corps, les postures, et donc l’incarnation des rapports de classe auxquels se superposent la condition des femmes, des personnes étrangères ou d’apparence étrangère, des minorités. 

c) Une honte qui mène à la culpabilité
AE et DE ont rapidement éprouvé une honte de leur origine sociale, de leurs parents et des attributs du milieu modeste notamment leur manque d’éducation. Par exemple, pour DE se fut plus facile d’écrire sur la honte sexuelle que sur la honte sociale. Pour autant, aujourd’hui, comme un ultime pied de nez, ils éprouvent une honte de la honte, soit une culpabilité à l’égard du sentiment de honte. Cette honte qui est vécue comme une sorte de trahison de sa « race sociale », trahison envers les siens, un manque de loyauté. La hantise d’être un « ennemie de classe » ne les quitte pas.
Ce sentiment de honte est donc complexe et s’avère dual entre : 
D’un côté : DE décrivant une gêne difficile à cerner qui s’emparait de lui devant des façons de parler et des manières d’être si différentes de celles des milieux dans lesquels il évoluait désormais, devant des préoccupations si éloignées des siennes.
Et d’un autre côté : le même DE qui ressent toujours de la gêne, voire de la haine, lorsqu’il entend autour de lui parler avec mépris ou désinvolture des gens du peuple, de leur mode de vie, de leurs manières d’être. 
Un nouveau tourment se fait jour : comment prendre part à ces jugements sans être infidèle à sa propre enfance ? Chaque fois qu’il est infidèle, la mauvaise conscience finit par resurgir.
Est-ce pour cela que tous trois s’inscrivent dans une double démarche, d’une part, socio analytique et, d’autre part, politico-artistique ? A travers son œuvre, AE prend conscience que l’écriture devait servir à la description mais aussi à la dénonciation, à la fois le bonheur et l’aliénation d’un milieu social.
EL rappelle qu’on ne parle pas de ce monde social de dépossession, il est nié et que si l’on se prête au jeu de la description, le reproche adressé est que c’est trop caricatural, que ça n’existe pas veut. Il veut rendre visible par la littérature les invisibles.

c) Le rejet d’une figure sociale et la distance
Il y a une prise de distance progressive plus ou moins volontaire à l’adolescence, puis il y a la distance installée, consommée à l’âge adulte.
Quand Annie Ernaux décrit une distance venue très tôt à l’adolescence, une distance qu’elle nomme distance de classe, Didier Eribon entretient ardemment cette distance pour échapper à son milieu d’origine. Il déployait beaucoup d’efforts pour maintenir un lien qu’il souhaitait le plus ténu possible. Par exemple, il appelait sa mère une à deux fois par trimestre mais ne ressentait pas le besoin de les voir, il fuyait sa famille. Il connaissait l’adresse de ses parents mais pas le lieu et sa curiosité s’arrêtait là.
Si l’on sent dans l’écriture d’AE et DE une distance voulue, rien n’est moins sûr pour EL qui évoque une distance subie, le récit d’un échec, celui de quelqu’un qui n’arrive pas à s’intégrer dans un milieu et qui doit partir. Il aurait bien voulu être un excellent footballeur, incarné cette virilité tant plébiscitée dans les milieux ouvriers, n’y arrivant pas, il s’est senti rejeté par les siens, par un monde homophobe. 
Cette prise de distance est à la hauteur du rejet essentiellement du père. DE et EL ont voulu fuir ce père. DE rappelle sans cesse combien il ne l’aimait pas et combien il ne l’avait jamais aimé. Il exprime une non-reconnaissance mutuelle et un fossé qui s’est creusé au fil des années au point de devenir des étrangers l’un pour l’autre. 
Son père incarnait tout ce qu’il avait voulu quitter, tout ce avec quoi il avait voulu rompre, et qui, assurément, avait constitué pour lui une sorte de modèle social négatif, un contre-repère. Le seul lien qu’il reconnaissait avec son père est un lien juridique. A la mort de celui-ci, il ne ressentit pas du chagrin, n’était pas en deuil, seulement un désarroi en lien avec une interrogation sur le seul héritage que son père pouvait lui léguer qui ne pouvait autre que la maladie d’Alzheimer.
Dans le même sens, EL évoque dans sa relation avec son père, il était le seul à parler et que ce fait est une chose violente pour les deux : pour un père privé de la possibilité de raconter sa propre vie et pour un fils attendant une réponse qu’il n’obtiendra jamais. Cette impossibilité de se parler venait du fait qu’ils ne parlaient plus le même langage, tout ce qu’ils pouvaient se dire devenait une agression objective (tu parles comme un bourgeois, tu as fait des études pas moi).
Notons toutefois que tous reconnaissent que cet espace social qu’ils avaient mis à distance, rejeté, renié, cet espace mental contre lequel ils se sont construits, n’en constituent pas moins une part essentielle de leur être et qu’ils font l’expérience, quand ils font ce retour sur eux, de ce sentiment déroutant d’être à la fois chez eux et dans un univers complètement étranger.

d) Les stratégies pour changer
Fuir. Tous trois organisent une fuite vers une grande ville, vers la capitale, dans laquelle peut se produire un changement progressif de milieu social. Tous trois voyagent beaucoup dans le monde pour des raisons professionnelles mais aussi pour entretenir l’ouverture.
Mentir. DE mentait plus ou moins sur mes origines de classe. Il utilisait des subterfuges pour brouiller les pistes, les très rares amis qui savent mais gardent le secret.
Contrôler. Le contrôle permanent de soi, de ses gestes, de ses intonations, de ses expressions, pour ne rien laisser transparaître, pour ne pas se trahir soi-même.
Se réinventer. Travailler son accent et son vocabulaire pour éviter d’être situé. Utiliser les différents registres des discours en fonction des situations et des interlocuteurs, adopter d’autres codes vestimentaires pour ressembler à ce nouveau monde, changer d’apparence physique, changer de nom.

Anglais LSS/BL

Un très bon niveau de Terminale est requis. Pouvoir lire facilement un article de presse (type Vocable), disposer d’un vocabulaire étendu et maîtriser, à l’écrit comme à l’oral, les mécanismes élémentaires de la langue ainsi qu’une palette variée de structures linguistiques permettant de nuancer la pensée et de conduire une argumentation, est indispensable.

Au terme des deux années, l’élève de LV devra, à l’écrit, être en mesure d’analyser et de commenter un dossier de civilisation constitué de plusieurs textes (sur la ville, les femmes, etc.). Il saura dégager une problématique et présenter une argumentation à partir de ces documents.

A l’oral, en LV1 et en LV2, il saura comprendre de manière synthétique un article de presse afin d’en présenter le compte rendu et soutenir un entretien à son propos.

Les langues proposées au Lycée Saint-Sernin sont l’anglais I et II

Géographie LSS/BL

Venez en géo pour…étudier l’environnement et les enjeux qui se posent à l’heure de « l’anthropocène ». Réfléchir aux grands enjeux géopolitiques. Apprendre à décrypter des cartes et des paysages.

HK BL : le  cours introduit à la géographie générale dans ses différentes dimensions. La première partie de l’année est consacrée à la lecture de nos environnements car le monde dans lequel nous vivons est fait de matière et de vie. La seconde partie s’intéresse à la géopolitique, car le monde est aussi fait d’idées, de représentations et d’intérêts que des personnes défendent…ou pas. Enfin, nous réfléchirons aux enjeux du développement et aux inégalités car argents et échanges jouent également un rôle majeur dans nos vies.
Le TD porte sur des études de cas, essentiellement à partir de la lecture de cartes topographiques et (normalement) de rencontres.
Vous devez d’ores et déjà vous y préparer : regardez autour de vous, observez, écoutez, réfléchissez à comment améliorer les lieux visités!
Pas d’instruction de lectures, mais si vous ressentez le besoin de lire, vous pouvez trouver de belles introductions à certains des problèmes que nous aborderons dans les essais du géographe Jared Diamond (en particulier effondrement) ou de l’historien Yuval Harari (en particulier Sapiens).

En khagne, Ulm donne une nouvelle question chaque année. En 2021, le concours portera sur les « migrations, migrants territoires ».
En 2020, c’était l’étude des paysages, en 2019 celle de l’alimentation dans le monde…Mais tout cela est déjà du passé!

Lettres LSS/BL

 

Classe d’Hypokhâgne

 

Les lettres représentent en hypokhâgne BL un volume de 4 heures hebdomadaires. Cet enseignement n’obéit à aucun programme défini et aborde les genres du roman, du théâtre et de la poésie. Le professeur propose une anthologie d’œuvres dans chaque genre, représentatives de la diversité des esthétiques littéraires, et propices à problématiser de grandes questions littéraires. Afin de vous préparer au mieux au premier semestre d’hypokhâgne, vous consulterez la bibliographie de lettres.

 

 

1.Objectifs

 

Les objectifs de cette première année sont multiples :

-analyser le fonctionnement du roman, de la poésie, du théâtre,

-acquérir des outils d’analyse littéraire,

-ancrer ses connaissances dans l’histoire littéraire et l’histoire des idées,

-s’initier à la lecture d’ouvrages critiques,

-se préparer à l’épreuve écrite de la dissertation littéraire et à l’épreuve orale de l’explication linéaire de texte.

 

2.Exigences

 

Pour réussir en lettres, il convient :

-d’avoir le goût de la lecture,

-d’effectuer un travail régulier, autonome et approfondi, en lisant les œuvres obligatoires mais aussi certaines œuvres facultatives,

-d’avoir le souci de la précision et de la rigueur dans les raisonnements.

 

3.Pré-requis

 

Afin de préparer au mieux votre année d’hypokhâgne, vous devez lire très sérieusement les œuvres obligatoires mentionnées dans la bibliographie, et maîtriser les connaissances acquises en Collège et Lycée.

 

4.Organisation de l’année et évaluation

 

L’année est divisée en semestre. Chaque genre fait l’objet de la même attention et de la même durée d’enseignement.

L’évaluation se fait par des devoirs surveillés (entre deux ou trois par semestre) et par des interrogations orales de 20 minutes où est mise en œuvre l’explication linéaire d’un texte littéraire (trois « colles » par an).

Il va sans dire qu’un de nos objectifs est de vous faire découvrir la diversité de la littérature française et européenne, de vous donner encore plus envie de lire en développant des compétences de lecture.

 

 

 

Classe de Khâgne

 

L’enseignement des Lettres en classe de Khâgne BL prolonge les acquis des connaissances et des compétences élaborées au cours de l’année d’Hypokhâgne, en approfondissant et complétant certaines notions, en prolongeant l’étude des 3 genres (Roman, Théâtre, Poésie), en en abordant d’autres (littérature moraliste, épistolaire, biographique, autobiographique, critique, d’idées …)

Le travail et la réflexion sont mis au service d’une interrogation problématisée portant aussi bien sur les genres que sur les textes. Cette réflexion est mise en œuvre par la pratique de deux types d’exercice aux exigences techniques précises : la dissertation à l’écrit, l’explication linéaire à l’oral, dans la droite ligne de l’année d’Hypokhâgne.

Cet enseignement n’obéissant à aucun programme défini aborde la littérature de l’Antiquité à nos jours sur le rythme d’un horaire de 4 heures hebdomadaires.

Pour se préparer à l’entrée en Khâgne, se reporter à la Bibliographie publiée sur l’ENT du Lycée.

Philosophie LSS/BL

La classe préparatoire B/L propose un enseignement général de philosophie qui ne donne pas lieu à option en seconde année et ne comporte aucun programme.

Pour y réussir, il faut avoir assimilé la rigueur et la précision propres à l’enseignement philosophique de Terminale mais une connaissance étendue de l’histoire de la philosophie (concepts et auteurs) n’est pas demandée. Les élèves issus de séries non littéraires ne sont donc en rien pénalisés. En revanche, des capacités d’analyse et d’approfondissement réflexif sont indispensables en B/L où l’exigence de recul personnel exclut tout esprit de bachotage. Des lectures variées sont requises pour l’acquisition d’une culture philosophique. Règles de la dissertation et usage de la langue française sont maîtrisés.

Sciences économiques et sociales LSS/BL

La formation en B/L vise à fournir aux étudiants des outils conceptuels et théoriques permettant l’analyse des sociétés et des économies. La place de la réflexion sur les indicateurs et méthodes y est importante. Le but est d’acquérir une double culture : économique (connaissance de l’histoire de la pensée, microéconomie, politique macroéconomique, etc.) et sociologique (socialisation et déviance, stratification et mobilité sociales, participation politique, etc.). Cette culture est aussi mobilisée sur des objets communs aux sciences sociales (l’entreprise, l’emploi, la consommation, l’Etat, la rationalité). Exemple de sujet de concours : « Le marché du travail est-il un marché comme les autres ? ».

NB : Des connaissances préalables en économie et sociologie ne sont pas nécessaires.

Mathématiques LSS

L’enseignement est très proche de celui des classes préparatoires E.C. ex. H.E.C. Il comporte trois grands domaines:


1/ Analyse: étude des nombres réels, étude de fonctions, de dérivées, calcul d’intégrales, études de suites de réels
2/ Algèbre : définition formelle des applications, des ensembles, etc. Un grande partie est consacrée aux espaces vectoriels (vecteurs, matrices, applications linéaires, produit scalaire)
3: Probabilités et Statistiques : probabilités (cas fini, discret, continu), variables aléatoires, calcul d’espérance, variance, etc.

Il n’y a pas de géométrie, d’arithmétique, ni de graphes, ni d’informatique. Nous n’avons ni formulaire, ni calculatrice, ni ordinateur.
L’objectif du programme est avant tout d’apprendre à raisonner, à développer le sens de la rigueur et à pouvoir réagir face à des situations nouvelles.
Il est accessible à des élèves issus des élèves ayant suivi au moins un enseignement de mathématiques en première et en terminale, sous réserve d’avoir un excellent niveau mathématique. Il vaut mieux avoir un certain goût pour l’abstraction.
Il faut maîtriser les techniques de calcul vues au lycée (factoriser, développer, équation du second degré, calcul de dérivées, calcul sur les inégalités, etc.).

Les frontières du texte littéraire. Maryse Palévody. 5-12-23.

Les frontières du texte littéraire.
Pourquoi la notice de mon lave-vaisselle n’est pas de la littérature ?
Maryse Palévody

Podcast : https://audioblog.arteradio.com/blog/215487/podcast/217062/les-frontieres-du-texte-litteraire-maryse-palevody-05-12-2023

Je voudrais pour commencer vous lire une recette de cuisine, une recette de soupe aux poireaux, plus exactement les conseils originaux que me donnait une amie, aujourd’hui disparue : 

« On croit savoir la faire, elle paraît si simple, et trop souvent on la néglige. Il faut qu’elle cuise entre quinze et vingt minutes, et non pas deux heures – toutes les femmes françaises font trop cuire les légumes et les soupes. Et puis il vaut mieux mettre les poireaux lorsque les pommes de terre bouillent : la soupe restera verte et beaucoup plus parfumée. Et puis aussi il faut bien doser les poireaux : deux poireaux moyens suffisent pour un kilo de pommes de terre. Dans les restaurants cette soupe n’est jamais bonne : elle est toujours trop cuite (recuite), trop « longue », elle est triste, morne […]. Non on doit vouloir la faire et la faire avec soin, éviter de l’ « oublier sur le feu » et qu’elle perde son identité. On la sert soit sans rien, soit avec du beurre frais ou de la crème fraîche. On peut aussi y ajouter des croûtons au moment de servir : on l’appellera alors d’un autre nom, on inventera lequel, de cette façon les enfants la mangeront plus volontiers que si on lui affuble le nom de soupe aux poireaux pommes de terre. Il faut du temps, des années, pour retrouver la saveur de cette soupe […]. Rien dans la cuisine française ne rejoint la simplicité, la nécessité de la soupe aux poireaux. »

Voilà un document simple, peu stimulant il faut bien le dire, sans doute un peu fastidieux à la lecture. Pourtant, votre intérêt sera sûrement éveillé si je vous dis qu’il s’agit d’une recette de Marguerite Duras : dès lors cette recette n’est plus un énoncé banal, utile si tant est qu’on veuille réaliser une soupe : cela devient un texte, i. e. un tissu, un système dans lequel j’identifie les signes qui établissent sa valeur littéraire, en d’autres termes sa littérarité. 
C’est Roman Jakobson qui introduit ce concept de « littérarité » en 1919 : « ce qui fait d’une œuvre donnée une œuvre littéraire ».
Dès lors que je sais que Duras est l’autrice de ce texte, je la cherche, je cherche à reconnaître dans la recette des signes, des tics d’écriture que je sais caractéristiques de son style. C’est mon activité de lectrice qui, volontairement, construit la littérarité de la recette, indépendamment de sa destination et de son statut initial. En relisant la dernière page du roman de Duras L’Amant, je saisis par rapprochement la littérarité de la recette, et ce qui m’attire en elle :

« Des années après la guerre, après les mariages, les enfants, les divorces, les livres, il était venu à Paris avec sa femme. Il lui avait téléphoné. C’est moi. Elle l’avait reconnu dès la voix. Il avait dit : je voulais seulement entendre votre voix. Elle avait dit, c’est moi, bonjour. Il était intimidé, il avait peur comme avant. Sa voix tremblait tout à coup. Et avec le tremblement tout à coup, elle avait retrouvé l’accent de la Chine. Il savait qu’elle avait commencé à écrire des livres, il l’avait su par la mère qu’il avait revue à Saigon. Et aussi pour le petit frère, qu’il avait été triste pour elle. Et puis il n’avait plus su quoi lui dire. Et puis il le lui avait dit. Il lui avait dit que c’était comme avant, qu’il l’aimait encore, qu’il ne pourrait jamais cesser de l’aimer, qu’il l’aimerait jusqu’à sa mort. »

Si je déconnecte la recette de sa simple destination culinaire, j’y vois un art poétique possible, le point de départ d’une réflexion sur l’écriture dite « blanche » de Duras : « on croit savoir… elle paraît si simple », « non on doit vouloir la faire et la faire avec soin, éviter … qu’elle perde son identité », « on l’appellera d’un autre nom, on trouvera lequel », autant de formules qui semblent indiquer les recherches de Duras sur son propre style ;
La « simplicité » et la « nécessité », caractéristiques de la soupe aux poireaux selon Duras, se trouvent être les signes remarquables de son style : la « simplicité » se voit dans la multiplication des répétitions, le lexique simple ; la « nécessité », dans l’emploi d’expressions comme « il faut, on doit vouloir », et surtout, dans L’Amant, l’emploi absolu, sans complément, du verbe « dire » ;
Dans les deux textes, on ressent un engendrement morne des syntagmes, une parole comme épuisée (tout comme la soupe est « triste, morne ») ; le stylème (élément récurrent caractéristique du style d’un auteur) « et puis » se retrouve de façon remarquable et troublante, aussi bien dans la recette que dans L’Amant.

Que conclure de cette expérience : le rôle déterminant du lecteur dans la qualification du texte littéraire. Le texte littéraire est celui que par ma lecture je reconnais comme tel. Le lecteur est celui qui retient la leçon du peintre Magritte : « Ceci n’est pas une pipe ». Ceci n’est pas une recette de soupe aux poireaux, dont la seule visée serait performative, c’est-à-dire stimulant une action dans le réel (je lis la recette et je sors aussitôt une marmite, je fais chauffer de l’eau). Non, par ma lecture, le texte ne renvoie qu’à lui-même, qu’à la littérature, et à la relation, intellectuelle et affective, que j’entretiens avec lui. Comme le tableau de Magritte, le texte littéraire ne montre pas des objets du réel, mais les re-présente, les transfigure, et les place dans une autre sphère que celle du réel, qui est celle de l’art. C’est-à-dire que la recette de Marguerite continue d’exister comme document utilitaire, qui permet réellement de réaliser une soupe. Mais pour les durassiens, c’est un texte qui porte en lui l’œuvre de Duras et ouvre à une expérience poétique. 

Cette démonstration potagère n’est pas sans implications esthétiques, mais aussi idéologiques. 

Le 6 octobre 2022, le prix Nobel de littérature a été décerné à l’écrivaine Annie Ernaux. Les critiques se sont déchaînées à l’annonce de cette distinction ; je passe sur les attaques concernant l’islamo-gauchisme supposé de l’autrice, pour me concentrer sur la critique du statut même de son œuvre : ce ne serait pas de la littérature, au prétexte que son écriture serait « plate », « banale », relevant de la chronique ordinaire, du témoignage, dans une prose, peu noble et peu relevée. Pour les détracteurs d’Ernaux, il y aurait donc une essence du littéraire, qui serait en dehors du langage commun, et à laquelle l’œuvre d’Ernaux n’accède pas. En revanche, comment les lecteurs qui apprécient Annie Ernaux lisent-ils donc son œuvre pour la classer dans la catégorie de la littérature ? Qu’y voient-ils de plus que ce récit de soi dans une langue ordinaire ? ou encore qu’elle est la littérarité de la banalité ?
Dans cet extrait de son roman autobiographique La Place, Ernaux évoque ses parents, ouvriers, cherchant à s’installer comme commerçants : 

« Le dimanche, ils sont allés voir à vélo les petits bistrots de quartier, les épiceries-merceries de campagne. Ils se renseignaient pour savoir s’il n’y avait pas de concurrent à proximité, ils avaient peur d’être roulés, de tout perdre pour finalement retomber ouvriers. »

Voilà typiquement un passage qui peut sembler plat, les indices de littérarité sont faibles. Mais la narratrice dans La Place justifie ainsi son style :

« Naturellement, aucun bonheur d’écrire, dans cette entreprise où je me tiens au plus près des mots et des phrases entendues, les soulignant parfois par des italiques. Non pour indiquer un double sens au lecteur et lui offrir le plaisir d’une complicité, que je refuse sous toutes ses formes, nostalgie, pathétique, ou dérision. Simplement parce que ces mots et ces phrases disent les limites et la couleur du monde où vécut mon père, où j’ai vécu aussi. Et l’on n’y prenait jamais un mot pour un autre. »

La littérarité de l’écriture d’Ernaux réside précisément dans la contrainte qu’elle s’est fixée, le choix et le travail d’une écriture qui vise à retrouver la langue simple de son père. Sa fameuse « platitude » est le résultat assumé d’un refus du romanesque, et de ce qu’on appelle le « beau style ». Réfléchissant à sa place sociale (professeure de lettres, fille d’un ouvrier devenu commerçant), elle ne peut adopter une écriture dominante, flamboyante ; son écriture « neutre » est le choix d’une « place » d’entre-deux, ni celle de son milieu d’origine ni celle de la classe bourgeoise que ses études la conduisent à côtoyer. Le choix conscient d’une écriture, fût-elle plate, est un acte créateur qui suffit à valider la littérarité de l’œuvre.
A charge donc au lecteur d’être actif et de reconnaître cette littérarité, alors même qu’il n’y a pas deux langages, l’un utilitaire et banal qui servirait à nos échanges ordinaires ou à écrire des recettes de cuisine, et l’autre sophistiqué voire sublime qui ferait pénétrer à l’intérieur des frontières bien gardées de la littérature. Il n’y a pas la poésie d’une part, grandiose et inutile, et d’autre part cette langue prosaïque que M. Jourdain dans Le Bourgeois gentilhommes’étonne de connaître et de maîtriser, cette prose, qui lui permet de dire : « Nicole apportez-moi mes pantoufles et me donnez mon bonnet de nuit », et d’être effectivement servi.
Mais est-ce à dire que tout énoncé peut se transformer en texte de littérature par le zèle ou l’imagination du lecteur ? Si cela me chante, puis-je lire l’annuaire comme un texte littéraire ou prétendre que la notice de mon lave-vaisselle est un morceau de poésie post-moderne ? 

Soit donc la notice de mon lave-vaisselle Bosch Acquasensor :
« Rangez la vaisselle de telle sorte
– de sorte qu’elle repose de façon sûre et ne puisse pas se renverser.
– de sorte que l’ouverture de tous les récipients regarde vers le bas.
– debout inclinée lorsque les pièces présentent un galbe prononcé, afin que l’eau puisse s’écouler.
– qu’elle n’empêche pas le bras d’aspersion de tourner.

Il faudrait toujours ranger les couverts non triés, avec la pointe regardant en bas.
Pour éviter des blessures, déposez les pièces et couteaux longs et pointus sur la tablette à couteaux […].
L’acquasensor est un équipement optique (barrage photoélectrique) servant à mesurer la turbidité de l’eau. »

N’importe quel professeur de lettres facétieux peut se prêter au jeu de l’explication littéraire de cette notice ; d’ailleurs, je vais m’y livrer devant vous :

« Nous avons ici un texte qui d’évidence efface la voix auctoriale pour présenter la brutalité anonymisante du réel : l’apparente neutralité qui ressort de la mise en liste des injonctions fait pourtant sentir une présence autoritaire (l’emploi de termes savants est intimidant) ; un verbe inquisiteur (avec, par exemple, la répétition insinuante de la locution « de telle sorte ») s’impose face  à un destinataire absent, ou plutôt ignoré, et pourtant visé par cette mise en demeure d’organiser cette caverne de l’intime, qu’est le lave-vaisselle, puissante métaphore du bas corporel et de nos instincts. Cette instance d’énonciation abstraite, quasi orwellienne, va jusqu’à la censure de toute sensualité, suggérée par le galbe des formes ainsi emprisonnées dans le squelette de fer de la machine. La ménagère, car c’est bien d’elle dont il s’agit, dépose les armes, les couteaux de sa volonté regardent vers le bas, vaincue qu’elle est par un Big Brother de l’aspersion mécanique qui prend le nom héroïque d’Acquasensor. A ce stade, l’esthétique est une métaphysique révélant l’abdication du vouloir et les remous turbides de l’existence. »

On voit l’imposture d’une telle démarche. Mais comment se garantir contre ce travers qui ferait de tout texte un texte littéraire en puissance, au risque de signer, dans l’indistinction, l’arrêt de mort de la littérature elle-même ? Pour prendre les choses sous un angle différent : qu’est-ce qui formellement me permet de différencier la rencontre de Mme Arnoux et de Frédéric Moreau dans L’Education sentimentale de Flaubert, d’une scène de rencontre dans un roman à l’eau de rose ? qu’est-ce qui m’interdit de les considérer à égalité ?

Flaubert, L’Education sentimentale :

« Frédéric, pour rejoindre sa place, poussa la grille des Premières, dérangea deux chasseurs avec leurs chiens.
Ce fut comme une apparition :
Elle était assise, au milieu du banc, toute seule ; ou du moins il ne distingua personne, dans l’éblouissement que lui envoyèrent ses yeux. En même temps qu’il passait, elle leva la tête ; il fléchit involontairement les épaules ; et, quand il se fut mis plus loin, du même côté, il la regarda.
[…]
Il la supposait d’origine andalouse, créole peut-être ; elle avait ramené des îles cette négresse avec elle ?
Cependant, un long châle à bandes violettes était placé derrière son dos, sur le bordage de cuivre. Elle avait dû, bien des fois, au milieu de la mer, durant les soirs humides, en envelopper sa taille, s’en couvrir les pieds, dormir dedans ! Mais, entraîné par les franges, il glissait peu à peu, il allait tomber dans l’eau, Frédéric fit un bond et le rattrapa. Elle lui dit :
— ‘’ Je vous remercie, monsieur.’’
Leurs yeux se rencontrèrent. »

Autre scène de rencontre dans Le Défi du Prince de Sharon Kendrick (édition Harlequin) :

« Elle ressassait ces pensées moroses lorsque la soudaine conscience d’une présence lui fit relever la tête.
Un homme se tenait debout devant le comptoir de la réception.
Seigneur, elle manquait à tous ses devoirs ! Se redressant, elle afficha sur ses lèvres le sourire qui s’imposait. Mais, quand son regard rencontra celui du visiteur, elle se figea, consciente de vivre un de ces moments rares, spéciaux, magiques, qui n’arrivent qu’une fois dans une vie…
Les yeux de l’homme étaient extraordinaires. Jamais elle n’en avait vu de semblables. D’un noir intense, ils étaient pailletés d’or.
Elle frémit de tout son être. Qui était ce visiteur ? Les traits de son visage semblaient avoir été taillés dans du granit par un sculpteur de talent : nez aquilin, lèvres bien ourlées, menton volontaire. Sa bouche affichait un sourire ensorceleur. Grand et élancé, doté d’une carrure impressionnante, il aurait été indéniablement élégant si son jean et ses bottes n’avaient été maculés de boue.
Troublée, Cathy avala sa salive avec difficulté.
— Euh… monsieur… je suis désolée mais vous ne pouvez entrer dans cet hôtel ainsi couvert de boue…
[…] Son regard [celui de l’homme] enveloppa son interlocutrice. De petite taille, elle était plutôt agréable à regarder et, surtout, elle possédait la poitrine la plus fascinante qu’il ait jamais vue. »

On est d’abord au désespoir de constater un certain nombre de points communs entre les deux textes : surprise de l’amour, focalisation interne à partir du regard de l’un des deux personnages, le travail du paragraphe dont la brièveté nourrit le romanesque, discours indirect libre si caractéristique de la manière de Flaubert et que l’on retrouve aussi sous la plume de Sharon Kendrick !
Alors quelles différences ? Quelles différences entre le cultissime roman de Flaubert et le roman de gare ? Intuitivement la vulgarité de la littérature commerciale (le roman Harlequin) qui a comme principe d’appeler un chat un chat, pourrait être un critère ; la scène topique de la rencontre amoureuse est dévoyée parce qu’elle dit tout, jusqu’à l’obscénité ; rien n’est suggéré. En ce sens Le Défi du Prince peut être qualifié de pornographique, alors que Flaubert, comme le dit Barthes, pratique une écriture érotique qui ne dévoile la chose qu’ « entre la manche et le gant ». Mais là encore cette intuition est trompeuse : l’obscénité, la pornographie peuvent aussi être un projet d’écriture, bien des exemples nous le montrent, de l’antiquité à nos jours. Ma classification relève en fait d’une subjectivité indépassable : ce sont mes précédentes lectures, tout un réseau de références qui me font dire que Le Défi du Prince est exécrable, qu’il est le produit d’une littérature industrielle, qui utilise toujours le même schéma de la scène de première vue (les hommes y ont invariablement le menton volontaire, et la carrure impressionnante !). Plus que l’objet lui-même, qu’on apprécie plus ou moins, c’est le lecteur, sa culture, ses attentes qui font la valeur de l’œuvre. C’est le lecteur qui peut juger de la dégénérescence d’un lieu commun – la rencontre amoureuse – en cliché, jusqu’à la nausée.
On constate donc la variabilité et l’instabilité de la notion de valeur, appliquée aux textes littéraires, valeur qui n’existe que parce qu’elle est proclamée. Ainsi la littérarité d’un texte obéit à deux types de critères :
– Au niveau du texte lui-même, dans ses particularités formelles, rythme, images, figures, etc. Selon ce critère, l’appartenance de certains textes au champ de la littérature apparaît indiscutable (un sonnet, une épopée, une tragédie en alexandrins) ;
– Mais aussi au niveau subjectif, selon la façon dont l’œuvre opère un retour sur le lecteur et le travaille en profondeur. Que dire d’autre sinon que la littérarité est un statut qui est accordé à l’œuvre, proportionnel à l’intérêt, au plaisir, au trouble que provoque sa lecture, parfois sans en comprendre davantage la raison ?
Mais dans cette reconnaissance de la littérarité de l’œuvre, le lecteur ne chemine pas seul. Sa démarche rencontre le projet d’un auteur. Ce que je peux considérer comme littérature est le fruit, miraculeux, d’un double projet : celui de l’auteur, avec sa logique propre ; celui du lecteur qui la reconnaît comme littéraire. On peut avec optimisme considérer que même les textes les plus originaux ou intéressants, produits par une intelligence artificielle, ne déclencheraient pas ce mouvement de désir du lecteur vers l’auteur. En l’occurrence Sharon Kendrick, prestataire d’une entreprise de production industrielle de romans d’amour, ne me permet pas cette rencontre avec le charme indicible d’une voix originale.
Roland Barthes avait proclamé la « mort de l’auteur » comme figure d’autorité, dans un texte décisif de 1967 ; il y revient en 1973 avec une nuance tout aussi décisive dans Le Plaisir du texte :

« Comme institution, l’auteur est mort […] mais dans le texte, d’une certaine façon, je désire l’auteur : j’ai besoin de sa figure (qui n’est ni sa représentation, ni sa projection) comme il a besoin de la mienne […] »

Barthes, comme revenu des rigueurs du structuralisme, évoque ailleurs le « retour amical de l’auteur », de ses « charmes ». Mais entendons-nous, la réhabilitation de l’auteur, qu’on croyait éliminé, se fait par le biais, non de sa personne réelle, mais de sa « figure ». Cette figure est nécessairement abstraite, rêvée en quelque sorte. Elle est, avec la « figure » du lecteur, ce qui structure le cadre d’un dialogue. L’auteur est celui qui s’absente corporellement de son texte mais qui est néanmoins la condition nécessaire pour qu’un texte me parle.

Le charme de Duras dans ses recettes, comble mon désir d’auteur, et de cette autrice tout particulièrement, ce qui n’a rien à voir avec la fétichisation de l’autrice réelle, médiatique (pas toujours sympathique, d’ailleurs la Marguerite de chair et de col roulé ; et franchement dérangeante lorsqu’elle s’est mêlée de l’affaire Grégory). Non, je n’aime dans la recette de la soupe que ses « et puis », sans désirer être invitée à sa table.
Contre une approche essentialiste de la littérature qui justifie la hiérarchie des œuvres et des genres (la poésie vaut mieux que le roman, une tragédie vaut mieux qu’une farce), les modernes font de la valeur littéraire une notion mouvante, contingente. On a inventé à partir du XVIIIe s. la subjectivité du Beau (grâce à Kant notamment) ; le jugement devient alors relatif à la notion de plaisir qui ne peut recevoir aucune démonstration.
Certaines œuvres, certains genres voient ainsi leur statut se modifier dans le temps, ou d’un lieu à l’autre. Par exemple l’autobiographie entre dans le champ des études littéraires dans les années 70. Ou encore, La Princesse de Clèves a pu être considérée comme un chef-d’œuvre de la littérature précieuse, le premier grand roman psychologique, ou, selon un certain président de la République, un pavé (sic), franchement inutile et indigeste, qu’un « sadique ou un imbécile » (je cite toujours) avait mis au concours de recrutement des postiers. Je me suis laissé dire que Sharon Kendrick pourrait remplacer Madame de Lafayette dans le dit-programme…

Définitivement la notice de mon lave-vaisselle Bosch Acquasensor n’est pas un texte littéraire. Je peux l’affirmer, non parce que je me réfère à des conditions objectives que ce document ne remplit pas, mais parce qu’il est écrit en quelque sorte dans une langue morte, indifférente, qui n’instaure aucun dialogue, ne suscite en moi aucun désir, pas plus que son instance d’origine ne constitue pour moi une figure « amicale ». Tout ne se vaut pas, on ne saurait céder aux facilités du relativisme. Mais il serait impertinent de refuser à la littérature la possibilité de révéler le banal, l’insignifiant, car sa valeur ne se situe pas au niveau des objets qu’elle décrit, mais bien au niveau des pratiques, des représentations, et des discours qu’elle suscite.

Bibliographie : 
Roland Barthes, Le Plaisir du texte, Seuil, 1973
Marguerite Duras, L’Amant, Minuit, 1984
Marguerite Duras, La Cuisine de Marguerite, Benoît Jacob, 2018
Annie Ernaux, La Place, 1983
Gustave Flaubert, L’Education sentimentale, 1869
Sharon Kendrick, Le Défi du Prince, Harlequin, coll. Azur (disponible gratuitement en e-book sur le site de l’éditeur) 
Notice d’utilisation du lave-vaisselle Bosch Acquasensor, p. 9-10-14 : 9000438182_A.pdf (bosch-home.com)

Cancel culture sous le Haut Empire romain ? M. Platon. 1-12-23.

Cancel Culture sous le Haut Empire romain ? La chute de Séjan (Cassius Dion, HR, 58.11.1-3).
M. Platon

Podcast https://audioblog.arteradio.com/blog/215487/podcast/216751/cancel-culture-sous-le-haut-empire-romain-marie-platon-01-12-23



Détruire les images ou effacer le nom d’un dirigeant pour signifier sa déchéance ou protester publiquement contre les injustices dont on l’estime responsable, voilà le mode d’action adopté par certains militants ou activistes actuels, qu’ils se revendiquent féministes, décolonialistes ou antiracistes.

Qu’on songe en particulier au vaste mouvement de déboulonnages à travers le monde qui suivit la mort de Georges Floyd, afro-américain tué par un policier blanc en 2020. On a forgé pour désigner ce phénomène un néologisme emprunté à l’anglais : la cancel culture, ou « culture de l’annulation » en français. Néanmoins le procédé consistant à déboulonner ou mutiler les portraits des dirigeants n’a rien de nouveau en lui-même : déjà dans l’Égypte antique (au XIVe siècle avant J.-C.), des pharaons comme Akhénaton ou la reine Hatshepsout en ont fait les frais, victimes de cette volonté d’effacement. Les Romains de l’Antiquité furent les premiers à institutionnaliser cette pratique : par un vote au Sénat, une personne accusée de crime contre l’État pouvait en effet se faire « effacer », en général post mortem, et cette condamnation entraînait la destruction des statues de la personne visée ainsi que la suppression de son nom sur les monuments publics, les monnaies à son effigie et même les documents publics et privés.
Jamais, cependant, les Romains ne donnèrent de nom particulier à ladite procédure. Ce sont les savants de l’époque moderne qui forgèrent le concept encore en usage aujourd’hui : celui de damnatio memoriae (littéralement « condamnation de la mémoire »). .
Nous allons ici en étudier un exemple précis de damnatio memoriae à travers le récit du traitement infligé aux images de Séjan, le favori de l’empereur Tibère, au moment de son arrestation en 31 après J.-C.. Nous nous interrogerons sur ensuite la pertinence d’un rapprochement entre cette damnatio et les déboulonnages de statues dont l’actualité récente nous offre le spectacle récurrent.


Commençons par quelques repères historiques : l’empereur Tibère s’était retiré en 27 après J.-C. sur l’île de Capri d’où il continuait à diriger le monde romain par l’intermédiaire de son homme de confiance, le préfet du prétoire L. Aelius Séjan, devenu en quelques années le second personnage de l’empire. Bien que chevalier, ce dernier obtint les honneurs du consulat en 31, mais il fut bientôt soupçonné de comploter contre le prince. Tibère envoya alors secrètement une missive demandant aux sénateurs la destitution et l’arrestation de son rival présumé. Dans la nuit du 17 au 18 octobre 31, le favori, attiré à la Curie (lieu de réunion du Sénat) par la fausse promesse de recevoir la puissance tribunitienne, est appréhendé et conduit à la prison Mamertine, avant d’être condamné à mort et exécuté.


Le récit historique le plus complet de ces événements se trouve au livre de 58 de l’Histoire romaine de Cassius Dion, un historien-sénateur romain d’expression grecque du IIIe siècle de notre ère. Bien qu’il ait  rédigé son œuvre plus de deux siècles après les faits, Dion décrit avec beaucoup de vivacité l’ambiance fiévreuse qui régnait à Rome à la nouvelle de l’arrestation de Séjan :

[58,11] (1) Ἔνθα δὴ καὶ μάλιστα ἄν τις τὴν ἀνθρωπίνην ἀσθένειαν κατεῖδεν, ὥστε μηδαμῇ μηδαμῶς φυσᾶσθαι. Ὃν γὰρ τῇ ἕῳ πάντες ὡς καὶ κρείττω σφῶν ὄντα ἐς τὸ βουλευτήριον παρέπεμψαν, τοῦτον τότε ἐς τὸ οἴκημα ὡς μηδενὸς βελτίω κατέσυρον, καὶ ὃν στεφάνων πρότερον πολλῶν ἠξίουν, τούτῳ τότε δεσμὰ περιέθεσαν· (2) ὃν δὲ ἐδορυφόρουν ὡς δεσπότην, τοῦτον ἐφρούρουν ὡς δραπέτην καὶ ἀπεκάλυπτον ἐπικαλυπτόμενον, καὶ ὃν τῷ περιπορφύρῳ ἱματίῳ ἐκεκοσμήκεσαν, ἐπὶ κόρρης ἔπαιον, ὅν τε προσεκύνουν ᾧ τε ὡς θεῷ ἔθυον, τοῦτον θανατώσοντες ἦγον. (3) Καὶ αὐτῷ καὶ ὁ δῆμος προσπίπτων πολλὰ μὲν ἐπὶ τοῖς ἀπολωλόσιν ὑπ´ αὐτοῦ ἐπεβόα, πολλὰ δὲ καὶ ἐπὶ τοῖς ἐλπισθεῖσιν ἐπέσκωπτε. Τάς τε εἰκόνας αὐτοῦ πάσας κατέβαλλον καὶ κατέκοπτον καὶ κατέσυρον ὡς καὶ αὐτὸν ἐκεῖνον αἰκιζόμενοι· καὶ οὕτω θεατὴς ὧν πείσεσθαι ἔμελλεν ἐγίγνετο.
[58,11] (1) C’est là surtout qu’on put se convaincre de la fragilité humaine, afin de ne jamais s’enorgueillir de rien. Car cet homme, que tous, à l’aube, avaient accompagné au Sénat comme leur chef, maintenant ils le traînaient au cachot comme le dernier des misérables, et lui qu’ils jugeaient auparavant digne de multiples couronnes, c’est désormais de chaînes qu’ils le ceignaient. (2) Lui qu’ils avaient escorté comme un maître, ils le surveillaient comme un esclave fugitif et le découvraient quand il se couvrait la tête, lui qu’ils avaient paré d’une toge bordée de pourpre, ils le giflaient, lui devant qui ils se prosternaient et à qui ils sacrifiaient comme à un dieu, ils le menaient au supplice. (3) Et le peuple aussi, se jetant sur lui, se répandait en reproches pour les morts qu’il avait causées, et en railleries contre les espoirs qu’il avait nourris. Ils renversaient ses images, les mettaient en pièces et les traînaient à terre, comme s’ils maltraitaient l’homme lui-même. Ainsi ce dernier devenait le spectateur des outrages qui l’attendaient.

Ce témoignage présente à nos yeux un triple intérêt : historique, stylistique et enfin politique.
Tout d’abord, si on le lit comme une chronique de la chute de Séjan, on peut tenter d’opérer des rapprochements entre les données du texte et les découvertes archéologiques. Cassius Dion commence par décrire les avanies infligées au prisonnier par la foule en colère et poursuit son récit par l’évocation de la destruction ciblée des représentations de Séjan, l’image apparaissant alors comme un substitut de la personne physique. Aucune des images de Séjan n’a été à ce jour retrouvée (preuve d’une damnatio memoriae particulièrement réussie), néanmoins un as (monnaie de bronze) provenant Augusta Bilbilis dans la province de Tarraconnaise, portant une légende partiellement arasée, atteste bien la damnatio qui affecta la mémoire posthume du préfet. Bilbilis avait innové en cherchant à surenchérir sur les honneurs rendus à Séjan partout dans l’empire, dans l’espoir de se faire remarquer de lui, à l’occasion d’un duumvirat conféré simultanément à lui et à Tibère lors de leur prise commune du consulat en 31 ap. J.-C.. Après la chute de Séjan, les notables de Bilbilis ont dû craindre une répression à leur encontre et ont donc ordonné l’arasement du nom de Séjan sur toutes les émissions monétaires. Néanmoins l’une d’elles, au moins, a échappé à ce traitement et on peut y lire la légende complète  MV • AVGVSTA • BILBILIS • TI • CÆSARE • V L ÆLIO • SEIANO (« Le municipe d’Auguta Bilbilis, Tibère César (consul) pour la cinquième fois avec L. Aelius Séjan »).

Si toutes les représentations de Séjan semblent avoir disparu, le témoignage de Cassius Dion nous permet en revanche d’imaginer à quoi celles-ci pouvaient ressembler. Le texte évoque en effet trois types de destructions qui correspondent sans doute à trois types distincts de représentations, graphiques ou plastiques. D’abord, κατέκοπτον (« ils lacéraient »), renvoie certainement à la destruction des portraits peints (on connaît quelques exemples de représentations de ce genre, par exemple le tondo severiano, panneau de bois représentant l’empereur Septime Sévère et sa famille). Puis, κατέσυρον (« ils tiraient de force ») fait écho au renversement des statues de leur socle. Ces effigies honorifiques sont fréquemment en pied, qu’elles soient réalisées selon un format naturel ou plus grand que nature : ainsi Juvénal, dans sa dixième satire, décrit le démantèlement d’une statue monumentale en bronze représentant Séjan monté sur un char (vers 58-64). Enfin, le verbe κατέβαλλον (« ils jetaient à bas »), peut renvoyer à des statues ornant des niches architecturales, certainement en élévation, comme la statue de bronze érigée dans le théâtre de Pompée que Cassius Dion a mentionné plus tôt. L’absence de vestiges archéologiques confirmant ces destructions s’explique sans doute en grande partie par la réutilisation des matériaux : les sculptures en bronze ont pu être refondues, ce qu’atteste Juvénal en soulignant le dénigrement de la mémoire du damnatus par la transformation de ses portraits en objets banals (pichets, poêles à frire…). Quant aux statues de pierres mutilées et défigurées, elles pouvaient, dans les cas les plus fréquents, être retirées de l’espace public ou directement détruites. Dans d’autres cas, seule la tête des effigies était ôtée et détruite, ou bien retaillée afin de lui donner les traits d’un autre personnage. On en voit un exemple ici avec le portrait de Claude. Les portraits de Séjan ont pu connaître un sort identique.

Si la destruction de telles œuvres peut aujourd’hui nous émouvoir, on s’aperçoit cependant, en lisant de près le texte de Cassius Dion, que ce n’est pas l’iconoclastie en elle-même qui pose problème à l’historien antique : en effet, à aucun moment ce dernier ne semble prêter à ces images une quelconque valeur artistique ou patrimoniale ; pour lui comme pour la majorité des Romains, elles ne constituaient sans doute qu’un simple instrument de communication politique. En revanche, ce qui est dénoncé dans cet extrait, c’est le revirement d’attitude des adulateurs de Séjan. Et pour mieux souligner leur hypocrisie et leur inconstance, Dion déploie toutes les ressources de l’art oratoire. L’histoire, dans le monde antique, était en effet considérée comme un genre littéraire apparenté à la rhétorique, qui visait à émouvoir et instruire le lecteur, à lui fournir des modèles de conduite à imiter ou au contraire à éviter. Les nombreuses antithèses, opposant la grandeur à l’abaissement et les gestes d’adoration aux brimades, appuyées par des anaphores (« cet homme que/qui… »), soulignent ici ironiquement la versatilité des courtisans passant presque sans transition de l’adulation au lynchage avec la même ardeur passionnée et irréfléchie. L’historien délivre également une morale, comme au théâtre : l’homme, si puissant soit-il, ne doit jamais oublier la fragilité de sa position, toujours soumise aux changements d’humeur d’une Fortune et d’une opinion publique capricieuses.
Le ton sentencieux et généralisant employé ici montre que l’historien cherche moins à critiquer un individu précis qu’à dénoncer les dysfonctionnements d’un mode de gouvernement. À Rome, l’absence prolongée de Tibère a en effet donné le sentiment d’une carence du pouvoir impérial et laissé le champ libre aux ambitions de son préfet du prétoire, qui finit par outrepasser sa fonction. Au lieu de jouer leur rôle de contre-pouvoir institutionnel, les sénateurs ont entretenu les espoirs de Séjan d’accéder à l’empire par leurs flatteries outrancières, en lui votant toutes sortes d’honneurs, en lui faisant ériger des statues etc. Et le peuple a suivi leur exemple, avant de corriger brusquement ces excès d’idolâtrie par un déchaînement de violence iconoclaste. Séjan n’est donc pas le seul à blâmer, et Dion pointe ici la responsabilité collective des citoyens, des plus puissants aux plus humbles, dans ce dysfonctionnement institutionnel. Le cercle vicieux du pouvoir despotique constitue d’ailleurs un schéma récurrent dans l’Histoire romaine : les honneurs exaltent le tyran au point de causer sa chute. Mais une fois celui-ci renversé, l’on s’empresse aussitôt de reproduire la même erreur avec son successeur. On ne cesse en effet de fabriquer de nouvelles idoles, pour mieux les abattre ensuite afin de faire oublier ses propres compromissions.



Et aujourd’hui ? Les destructions sont-elles un miroir des destructions actuelles ? La mésaventure de Séjan peut faire penser à la situation de certaines personnalités qui ont joui à un moment donné d’une immense popularité mais se sont aliénés ensuite une grande partie de leurs admirateurs à la suite de prises de positions publiques controversées au point parfois de devenir indésirables dans les médias et de subir des campagnes de dénigrement. Pour ce qui est des déboulonnages de statues en revanche, les événements décrits par Cassius Dion ne sont pas exactement comparables avec la situation actuelle : les déboulonnages que l’on observe dans les pays occidentaux à l’heure actuelle ne s’inscrivent pas dans une temporalité révolutionnaire, ils n’ont pas pour finalité de faire basculer la souveraineté ou le régime politique. Ils suivent plutôt une logique réparatrice, portant l’exigence d’une reconnaissance des victimes (du racisme, de la colonisation, des traites négrières etc.).
Ensuite, cette pratique n’était pas, dans l’Antiquité, renvoyée comme aujourd’hui au « vandalisme » par ses détracteurs. Comme je l’ai dit, la dimension esthétique ou patrimoniale de l’œuvre n’était pas prise en compte, seul comptait le statut politique de son modèle : s’il s’agissait de l’empereur en exercice ou de l’un de proches influents, déshonorer une image à son effigie (statue ou même portrait monétaire) pouvait alors vous valoir une accusation de lèse-majesté et la peine de mort en cas de condamnation. Mais si au contraire il s’agit d’un personnalité tombée en disgrâce, l’image peinte ou sculptée est alors déchue de son statut d’idole, désacralisée, et l’on peut sans crainte lui faire subir toutes sortes de transformations allant jusqu’à la destruction totale.
Enfin, dans le cas des actions militantes actuelles, ces violences symboliques, ritualisées ne s’accompagnent généralement pas de violences contre les personnes physiques, n’en déplaise à leurs détracteurs. On s’en prend à des êtres de pierres et non à des êtres de chair. Dans le cas de Séjan en revanche, il s’agit d’un prélude aux outrages qu’il subira ensuite (en particulier son cadavre).
Ce qui nous amène enfin à poser la question de l’efficacité réelle de ces attaques contre des objets à valeur symbolique. Si le but poursuivi par les « iconoclastes » est d’effacer complètement de l’Histoire les personnages ciblés, force est de constater que c’est un échec : on connaît malgré tout le nom de Séjan, même si l’on ne connaît plus son visage. Et les déboulonnages actuels ne suffiront pas à faire oublier les noms de Colbert, Christophe Colomb, du général sudiste Lee etc. Croire qu’une telle action a le pouvoir d’effacer le passé ou de le réécrire serait naïf, et cela reviendrait d’ailleurs à confondre politique mémorielle et écriture de l’histoire. Quel est donc le bénéfice véritable de ces destructions ? Il tient surtout à leur effet cathartique, libérateur, que Pline le Jeune évoquait déjà en ces termes au début du IIe siècle de notre ère : « personne ne fut assez maître de ses transports pour ne pas goûter une sorte de vengeance à contempler ces corps mutilés, ces membres mis en pièces, à voir ces portraits menaçants et horribles jetés dans les flammes et réduits en fusion ». La frénésie destructrice des sénateurs était alors à la mesure de la tyrannie de Domitien qu’ils dénonçaient. Elle témoigne aussi d’une volonté d’expiation du passé et de purification, régénération pour l’avenir.
Finalement, le texte de Cassius Dion, qui pose la question de la responsabilité collective des sénateurs et du peuple, c’est-à-dire du corps civique dans son ensemble, dans ce qui apparaît comme une scène de chaos, nous conduit à nous poser la question suivante, toujours d’actualité : Que cherche-t-on véritablement à détruire lorsque l’on déboulonne une statue ou lorsque l’on dégrade un portrait : est-ce uniquement la personne qui lui a servi modèle, sont-ce les valeurs que cette personne est supposée représenter (et qui sont celles que la classe dominante a cherché à imposer à l’ensemble de la société à une époque donnée) ? ou bien n’est-ce plutôt le souvenir de ses propres errements passés, de ses compromissions avec le « système » ? Comment ne pas voir, dans l’acharnement de certains militants contre des symboles supposés de l’oppression, l’expression d’une forme de honte ou de culpabilité, celle de s’être aveuglé, d’avoir accordé son admiration à la mauvaise personne, ou de n’être pas intervenu plus tôt pour dénoncer ces injustices ?

Schopenhauer : la musique ou la métaphysique sans y penser. E. Lacoue-Labarthe. 14-11-23.

Podcast :
https://audioblog.arteradio.com/blog/215487/podcast/215488/schopenhauer-la-musique-ou-la-metaphysique-sans-y-penser-emmanuel-lacoue-labarthe-14-11-2023


[Pour les diapositives voir le PDF ci-joint :


Introduction

En assistant l’année dernière à la très belle conférence de Pauline Borrel sur Schubert, le désir m’est venu d’exposer, dans le cadre des Midi-Conférences, la conception de la musique qu’a proposée Arthur Schopenhauer[1] (diapo 2), dont on dit qu’il jouait de la flûte quotidiennement et qu’il aimait tout particulièrement Mozart et Rossini[2].
Sa thèse peut être résumée de la façon suivante : de tous les arts, la musique est le plus précieux parce que le plus métaphysique : loin de n’être, comme le pensait Leibniz, qu’une simple « pratique occulte de l’arithmétique dans laquelle l’esprit ignore qu’il compte »[3], elle est, bien plus que tous les autres arts, (diapo 3) « un exercice de métaphysique inconscient, dans lequel l’esprit ne sait pas qu’il fait de la philosophie » (p. 338). 
Comment Schopenhauer en est-il arrivé à cette idée d’une portée éminemment métaphysique de la musique ? C’est ce que je propose de vous expliquer aujourd’hui.

1. La représentation artistique du monde et le plaisir esthétique

Comme l’indique le titre de son ouvrage, Le monde comme volonté et comme représentation, l’idée initiale de Schopenhauer est qu’il existe un écart entre le monde tel qu’il est en lui-même et la représentation que nous en avons :
1) En son essence propre, indépendamment des sujets que nous sommes et de nos représentations, le monde est, selon lui, volonté : de même, en effet, que la volonté nous apparaît comme notre propre essence intime, nous qui ne cessons de faire effort pour persévérer dans notre être, de même, elle est, selon Schopenhauer, l’essence intime de la nature entière, qui se manifeste tantôt comme force naturelle aveugle, comme gravité (« aucune matière n’est absolument dépourvue de volonté »[4], écrit-il : p. 330), tantôt comme croissance végétale ou mouvement animal, tantôt encore comme conduite raisonnée. Le monde tel qu’il est en lui-même ou, pour parler comme Kant, le monde comme chose en soi, c’est donc, pour Schopenhauer, le monde comme volonté.
2) Mais ce n’est pas du tout ainsi qu’il nous apparaît : à notre intelligence, gouvernée par le principe de causalité, et à notre sensibilité, structurée par les formes de l’espace et du temps, le monde apparaît comme nature, c’est-à-dire comme un tout spatio-temporel gouverné par des lois et des relations de causalité.
Il y a donc un abîme entre le monde tel qu’il est en lui-même et le monde tel qu’il nous apparaît, entre le monde comme volonté et le monde comme représentation, ou, pour parler encore comme Kant, entre le monde comme chose en soi et le monde comme simple phénomène, objet de notre expérience et de l’exploration scientifique. 
Pourtant, il existe une autre forme de représentation du monde que la représentation courante ou scientifique : c’est la représentation artistique. L’art, en effet, ne représente pas, comme la science ou l’entendement commun, les relations d’espace, de temps ou de causalité qui existent entre les choses : il représente ou tente de représenter, non certes la chose en soi, puisque celle-ci se situe par définition par-delà toute représentation, mais l’Idée ou l’idéalité de chaque chose au sens platonicien du terme, c’est-à-dire la forme essentielle de chaque chose : celle, par exemple, (diapo 4) des tournesols ou des souliers de paysans chez van Gogh. 
La représentation artistique est donc une représentation des Idées platoniciennes, c’est-à-dire une représentation des choses en leur idéalité ou forme essentielle. Forme essentielle qui, se situant au-delà des catégories de la connaissance rationnelle (l’espace, le temps, la causalité) et relevant ainsi nécessairement de l’intuition contemplative et non du raisonnement discursif, ne peut être pleinement saisie et exprimée que par l’art.
3) L’art est ainsi pour Schopenhauer un véritable mode de connaissance qui permet d’accéder aux Idées par la contemplation du monde et dont les œuvres (les œuvres d’art) permettent la communication (diapo 5) : 
« L’art reproduit les Idées éternelles qu’il a conçues par le moyen de la contemplation pure, c’est-à-dire l’essentiel et le permanent de tous les phénomènes du monde […]. Son origine unique est la connaissance des Idées ; son but unique, la communication de cette connaissance. » (p. 239).
Et ce mode de connaissance est la source d’un plaisir très vif, puisqu’il nous permet d’accéder auroyaume de ce qui, échappant « au tourbillon du temps et des autres relations » (§ 38, p. 253), estvéritablement : c’est, pour parler comme Spinoza, le plaisir de voir les choses « sub specie æternitatis »[5], sous l’aspect de l’éternité.

2. Le système des arts

Ainsi, après avoir défini la représentation artistique et caractérisé le plaisir qu’elle procure, Schopenhauer se penche sur la diversité des arts, qu’il propose de penser et d’ordonner par référence à la diversité et à l’ordre naturel des choses et des Idées qui leur correspondent :
(i) Pour Schopenhauer, en effet, il y a d’abord, au sein de la nature, une échelle graduelle des êtres qui va des plus inertes et grossiers aux plus vivants, conscients et subtils. Cette échelle des êtres se déploie non seulement selon les quatre grands règnes naturels – minéral, végétal, animal et humain –, mais encore à l’intérieur même de chacun de ces règnes : à l’intérieur du règne humain, par exemple, il y a une gradation qui va de l’action la plus grossière au sentiment le plus pur ou à l’action la plus noble.
(ii) À cette première échelle des êtres correspond nécessairement l’échelle des Idées de chacun de ces êtres ou de chacun de ces niveaux de réalité : cette échelle va, par exemple, des Idées de pesanteur, de cohésion, de croissance ou de floraison aux Idées de vertu, d’héroïsme ou de sagesse.
(iii) Enfin, parce que l’art doit être « le miroir fidèle de la vie, de l’humanité et de la réalité » (§ 51), à ces deux échelles, des êtres et des Idées, correspond une échelle des arts eux-mêmes, chaque art étant à la fois spécifiquement capable et, dès lors, en quelque sorte spécifiquement chargé de représenter un ou plusieurs niveaux ou aspects spécifiques de la réalité (diapo 6) :
(i) Les arts qui représentent les degrés « inférieurs » de la réalité (c’est-à-dire la matière inerte et la vie végétale) sont : l’« architecture artistique », l’hydraulique artistique (jeux d’eaux & fontaines), l’art des jardins, la peinture de paysage ou encore la poésie descriptive. Leur mission propre est de faciliter l’intuition claire de quelques-unes des Idées qui constituent les degrés « inférieurs » de la réalité : pesanteur, cohésion, foisonnement, floraison, fluidité, jaillissement, etc.
(ii) Les arts qui représentent les degrés « supérieurs » de la volonté (c’est-à-dire la vie animale et, surtout, humaine), sont : les arts plastiques (sculpture et « peinture d’histoire », centrée sur l’homme et ses actions) et les diverses formes non descriptives de la poésie : poésie lyrique, narrative, épique, dramatique et tragique. Leur mission propre est, évidemment, de permettre l’intuition des Idées qui correspondent aux degrés « supérieurs » de la réalité : noblesse, angoisse, résolution, amour, sacrifice, etc.
Tout art a donc, pour Schopenhauer, une fonction qu’on peut dire métaphysique puisqu’il s’agit toujours de donner accès au monde en son essence. Mais qu’en est-il de la musique ? Pourquoi Schopenhauer la met-il à part ?

3. Le statut spécifique de la musique

Pour justifier l’éminente dignité qu’il lui accorde, Schopenhauer part du constat suivant : de tous les arts, la musique est celui qui s’adresse à nous de la façon la plus immédiate, la plus puissante, voire bouleversante, et la plus intime : il suffit d’écouter le moindre morceau de musique pour être immédiatement plongé ou transporté dans son climat affectif. Il cherche donc à expliquer ce fait et il propose l’explication suivante, dont il reconnaît lui-même bien volontiers que sa vérité est impossible à prouver (p. 328), mais qui n’en constitue pas moins, je trouve, une très belle tentative pour rendre compte de ce pouvoir spécifique de la musique.
Selon lui, la musique ne proposerait pas, comme les autres arts, une simple représentation des Idées, qui sont elles-mêmes des représentations du monde en son essence, du monde comme volonté : elle ne serait donc pas la représentation d’une représentation (la représentation d’une Idée), mais proposerait,comme les Idées elles-mêmes, une représentation ou manifestation immédiate et adéquate de la volonté sous ses différentes formes, c’est-à-dire de l’essence intime du monde et de la vie. Il y aurait donc (diapo 7) un « rapport » particulièrement « étroit entre la musique et l’être vrai des choses » (p. 335), qui expliquerait son extraordinaire puissance émotionnelle.
Cette hypothèse implique deux choses distinctes qu’il va nous falloir essayer d’expliquer :
(i) Elle implique, d’abord, que contrairement aux autres arts, la musique se situerait au même niveau ontologique que les Idées : il semble y avoir, écrit Schopenhauer, « un parallélisme, une analogie entre la musique et les Idées » (p. 329). La musique, écrit-il (diapo 8) :
« n’est […] pas, comme les autres arts, une reproduction des Idées, mais une reproduction de la volonté au même titre que les Idées elles-mêmes. C’est pourquoi l’influence de la musique est plus puissante et plus pénétrante que celle des autres arts : ceux-ci n’expriment que l’ombre, tandis qu’elle parle de l’être.  » (§ 52, p. 329)
(ii) Mais cette hypothèse implique sans doute également, non certes que le monde serait lui-même intrinsèquement musical, mais qu’il existerait tout de même un profond « point commun du monde et de la musique » (p. 328) ou une profonde analogie, une proximité ou une affinité particulièrement étroite entre le monde et la musique, puisqu’elle seule semble être en mesure d’en exprimer vraiment toute l’essence intime. En d’autres termes, Schopenhauer ne se contente pas de mettre la musique au même niveau ontologique que les Idées : (diapo 9) il va jusqu’à la mettre au même niveau ontologique que la volonté elle-même, c’est-à-dire que l’essence du monde :
« La musique […] exprime ce qu’il y a de métaphysique dans le monde physique, la chose en soi de chaque phénomène. En conséquence, le monde pourrait être appelé une incarnation de la musique tout aussi bien qu’une incarnation de la volonté. »  Le Monde…, III, § 52, p. 335-6
Il nous faut donc tenter d’expliquer ces deux points (diapo 10), c’est-à-dire à la fois (i) l’étroite parenté de la musique avec les Idées platoniciennes et (ii) son étroite proximité avec la volonté, avec l’essence du monde, c’est-à-dire la dimension quasi musicale du monde lui-même :
(i) Pour ce qui est de la parenté de la musique avec les Idées, elle vient, selon Schopenhauer, du fait que la musique est l’art le plus indépendant du monde phénoménal, c’est-à-dire du monde tel qu’il nous apparaît, et qu’elle est, par conséquent, l’art le plus propre à en exprimer l’essence invisible (diapo 11) :
« La musique […] est complètement indépendante du monde phénoménal ; elle l’ignore absolument, et pourrait en quelque sorte continuer à exister alors même que l’univers n’existerait pas ; on ne peut en dire autant des autres arts. » (p. 329)
Cette indépendance de la musique par rapport au monde phénoménal correspond concrètement à deux choses :
D’une part, contrairement aux autres arts, la musique « n’existe que dans le temps, sans le moindre rapport avec l’espace », ce qui la place, dans la hiérarchie des arts, à l’extrémité opposée à l’architecture qui, elle, « n’existe que dans l’espace, sans aucun rapport avec le temps ». Quant à la sculpture, la peinture et la poésie (diapo 12), elles relèvent, elles, à la fois de l’espace et du temps, et non seulement de l’un ou de l’autre, comme l’architecture et la musique : en effet, la sculpture et la peinture « représentent la vie, le mouvement, l’action » et relèvent donc du temps et non seulement de l’espace, comme on pourrait être tenté de le croire au premier abord ; et la poésie, qui pourrait, elle, sembler purement temporelle, a pour matière « tout ce qui existe » et relève donc aussi de l’espace et non seulement du temps[6]. La musique est donc bien le seul art qui soit affranchi de l’ordre extérieur de l’espace et c’est cet affranchissement qui lui permet de nous offrir, « une traduction plus intime de l’être que les autres arts ». C’est lui qui permet de comprendre « pourquoi la musique peut seule manifester, sous forme esthétique, l’intuition du vouloir dans sa plénitude »[7], car le vouloir, la volonté, relève de l’intériorité et du temps bien plus que de l’espace et de l’extériorité.
D’autre part, la musique, parce qu’elle n’est faite que de sons et de rythmes, est le moins imitatif des arts : il existe bien sûr quelques œuvres musicales imitatives (Les Saisons de Haydn, les Jeux d’eau de Liszt ou de Ravel, la Pastorale de Beethoven, par exemple), mais la plupart des sonates, quatuors ou symphonies n’imitent rien et on peut dire que la musique est plus naturellement abstraite que les autres arts qui, de leur côté, ont tendance à devenir musicaux lorsqu’ils deviennent abstraits : il est en effet très frappant de constater que les peintres abstraits ont fréquemment donné des titres musicaux à certaines de leurs toiles, comme dans les exemples suivants : le Concert de Vassily Kandinsky, le Quatuor de Joan Mitchell, la Polyphonie de Paul Klee ou encore la Sonate de Mark Tobey (diapos 13 à 16). La musique se situe donc plus spontanément que les autres arts au-delà de l’apparence sensible du monde, du côté de son essence, et c’est la raison pour laquelle Schopenhauer marque une nette préférence pour les œuvres et formes musicales les moins imitatives, les plus pures[8].
(ii) Quant à l’étroite analogie (diapo 17) qui relie la musique à la volonté, à l’essence du monde, et, réciproquement, la volonté à la musique – analogie qui est le 2e élément qui permet d’expliquer le pouvoir singulier de la musique –, elle réside sans doute dans le fait que, un peu comme la musique, la volonté est essentiellement un mélange de mouvement et d’intensité. Il existerait donc un très étroit parallélisme entre la musique et la volonté, que Schopenhauer s’est efforcé d’explorer de façon systématique et dont voici, par exemple, l’un des aspects (diapo 18) :
« La mélodie exprime tous les mouvements de la volonté telle qu’elle se manifeste dans la conscience humaine, c’est-à-dire tous les affects, sentiments, etc., tandis que l’harmonie, au contraire, indique la graduation de l’objectivation de la volonté dans le reste de la nature. » Fragments sur l’histoire de la philosophie, II, in Parerga et paralipomena, p. 816
Mais ce parallélisme entre la musique et la volonté n’est pas pour autant une identité car, contrairement à la volonté, la musique n’existe que pour notre sensibilité et notre intelligence capables de la percevoir comme telle car, objectivement, elle n’est évidemment qu’une somme de sons et de rapports numériques. La musique est donc « une seconde réalité, qui marche tout à fait parallèlement avec la première, tout en étant d’une nature et d’un caractère fort différents » ; elle a « une complète analogie » avec le monde en son essence, « mais aucune similitude »[9]. Elle n’est donc pas l’essence même du monde, mais elle est ce qui exprime le mieux cette essence, de telle sorte que, pour accéder pleinement au monde, il faut sans doute être à son écoute, plutôt que de se contenter de le regarder[10].

Conclusion

La musique est donc bien, pour Schopenhauer, « un exercice de métaphysique inconscient, dans lequel l’esprit ne sait pas qu’il fait de la philosophie » (p. 338). Or cette thèse implique, de l’aveu même de Schopenhauer, que la « vraie philosophie » ne consiste finalement qu’à énoncer et développer en concepts ce que la musique exprime, elle, plus immédiatement et plus adéquatement (diapo 19) :
« Si donc nous énoncions et développions en concepts ce [que la musique] exprime à sa façon, nous aurions par le fait même l’explication raisonnée et l’exposition fidèle du monde exprimée en concepts, ou du moins quelque chose d’équivalent. Là serait la vraie philosophie. » (§ 52, p. 338)


[1] J’avais aussi en tête la célèbre phrase de Nietzsche dans sa Lettre du 15 janvier 1888 à Heinrich Köselitz/Peter Gast : « Das Leben ohne Musik ist einfach ein Irrtum, eine Strapaze, ein Exil »: la vie sans musique n’est qu’une erreur, une épreuve, un exil. Cf. aussi la lettre du 27 mars 1888 à Georg Brandes : « Ohne Musik, wäre mir das Leben ein Irrtum » : sans musique la vie serait pour moi une erreur.
[2] Cf. David E. Cartwright, Schopenhauer : A Biography, p. 30 & 533, et Nietzsche, Par-delà le bien et le mal, § 186.
[3] Lettre à Christian Goldbach du 17 avril 1712. Cf. aussi le texte suivant : « J’ai montré ailleurs que la perception confuse de l’agrément ou des agréments qui se trouvent dans les consonances ou dissonances consiste dans une arithmétique occulte. L’âme compte les battements du corps sonnant qui est en vibration, et quand ces battements se rencontrent régulièrement à des intervalles courts, elle y trouve du plaisir. Ainsi, elle fait des comptes sans le savoir. » Extrait du dictionnaire de Monsieur Bayle, article « Rorarius », dans Die philosophischen Schriften von G.W. Leibniz, édité par Carl J. Gerhardt (1875-1890), Hildesheim, Olms, 1965, vol. IV, p. 550. Cf. Patrice Bailhache, Leibniz et la théorie de la musique, p. 40 & 151.
[4] On retrouve, de manière inattendue, une idée proche dans ce passage de Francis Ponge : « Le sens de mon œuvre […] est d’ôter à la matière son caractère inerte : de lui reconnaître sa qualité de vie particulière, son activité, son côté affirmatif, sa volonté d’être, son étrangeté foncière (qui en fait la providence de l’esprit), sa sauvagerie, ses dangers, ses risques. » Le Verre d’eau, in Le Grand Recueil, II. Méthodes
[5] Cf. Éthique, V, pr. 31, sch., cité par Schopenhauer § 34, p. 231-2.
[6] Cf. XXXIX, p. 1195
[7] « Si la musique nous offre une traduction plus intime de l’être que les autres arts, c’est qu’elle reste étrangère au monde de l’espace. L’analyse de la notion de temps […] nous explique maintenant pourquoi la musique peut seule manifester, sous forme esthétique, l’intuition du vouloir dans sa plénitude. L’acte miraculeux qui nous révèle et l’essence de l’être et notre identité foncière avec le monde se produisant dans le temps, non dans l’espace, un signe spatial lui reste toujours inadéquat. De cette servitude la musique est affranchie. » André Fauconnet, L’esthétique de Schopenhauer, p. 340-341
[8] « [La musique] se meut librement dans le concerto, dans la sonate, et avant tout dans la symphonie, qui est sa plus belle arène, celle sur laquelle elle célèbre ses saturnales. » Métaphysique du beau et esthétique, in Parerga et paralipomena, p. 654. D’où le commentaire d’André Fauconnet : « [La musique] est d’autant plus belle qu’elle est plus libre, plus sincère et plus pure. Plus elle est elle-même, plus elle vaut. Ainsi s’explique cette table des valeurs, aux termes de laquelle le concerto et la sonate sont déclarés très supérieurs aux danses, aux lieder chantés, et la musique religieuse, où le texte importe si peu, est mise très au-dessus de l’opéra, où le texte importe tant ; enfin, voilà pourquoi c’est dans la symphonie que la musique libérée, affranchie, rendue à soi « fête ses saturnales ». » L’esthétique de Schopenhauer, p. 355
[9] Cf. Fragments sur l’histoire de la philosophie, II, in Parerga et paralipomena, p. 816-7
[10] C’est pourquoi un poète comme Gustave Roud (1897-1976) n’hésite pas à souligner « la parenté profonde [du] pouvoir des paysages avec les puissances de la musique » : « Qui songerait à nier l’irrésistible puissance d’asservissement d’un vaste paysage composé, sur notre regard tout d’abord et, peu à peu, sur tout notre être ? Il nous emprisonne lentement comme une symphonie. Le ciel vide, ou devenu pâture des nuages, la terre jusqu’à l’horizon dans sa figure naïve encore ou retouchée de la main des hommes, proposent à notre vue leurs grands thèmes, non point liés à quelque déroulement temporel, mais énoncés tous ensemble dans l’espace, où ils installent pour toujours le paradoxe d’un immuable contrepoint simultané. C’est notre œil qui se meut au long de ces phrases immobiles, pris dans ce réseau de courbes mélodieuses, ce filet magique, ce piège sans rémission que chaque saison, chaque jour, chaque heure presque charge, comme autant d’appâts nouveaux, de nouvelles harmonies. » Gustave Roud, Air de la solitude (1945), « Pouvoirs d’une prairie », Œuvres complètes, I, p. 844-5

Anglais LVA (1ère année) BL/LSS : bibliographie 2024

Sébastien Petit

Anglais LVA (1ère année) BL/LSS : bibliographie 2024

Conseils de lecture, travail pour l’été et ouvrages à vous procurer



Le cours d’anglais LVA en Hypokhâgne BL est un cours de civilisation des États-Unis et de la Grande-Bretagne (histoire, société, politique, économie, etc). Les épreuves préparées pour les concours écrits sont les suivantes:
• ENS Paris et Lyon: un commentaire portant sur plusieurs documents de civilisation relatifs aux États-Unis et à la Grande-Bretagne (durée six heures) ;
• ENS Paris-Saclay: traduction en français d’un article de presse, suivie d’un essai (durée totale trois heures).
Pour l’oral les épreuves consistent en :
• ENS Paris: un commentaire de texte historique (préparation 1h30 et passage 30 minutes);
• ENS Lyon: une analyse (synthèse + commentaire) d’un article de presse (préparation une heure et passage 30 minutes) ;
• ENS Paris-Saclay: une analyse de document audio (préparation 45 minutes en laboratoire de langue et passage 30 minutes).
Il s’agit d’exercices qui vous sont pour l’heure étrangers, et qui vont nécessiter de votre part un travail d’apprentissage important, quel que soit le niveau d’anglais avec lequel vous arrivez en hypokhâgne.
Pour vous familiariser avec les thèmes qui seront abordés au cours de l’année, il est fortement recommandé de lire la presse de qualité de langue anglaise et de commencer un carnet de vocabulaire : soit les hebdomadaires (The Economist, The Spectator, The Nation, …) ; soit un quotidien (The Guardian, The Independent, The New York Times, Financial Times, Wall Street Journal …) en version papier ou en ligne.
Vous pouvez également vous familiariser avec la langue :
• en lisant de la littérature : il existe de nombreuses éditions bilingues en poche (chez Pocket et Folio notamment) ;
• en allant sur le site de la BBC qui propose de nombreuses activités (BBC World ; BBC Learning English) et, côté états-unien, sur le site du réseau public NPR (npr.org) ;
• en regardant, en VO, des séries et des films. Pour les Toulousains, pensez à utiliser les ressources de la médiathèque José Cabanis.
• en écoutant de l’anglais régulièrement avec votre smartphone ou tablette (podcasts ou streaming avec des applications dédiées aux podcasts. Il vous est vivement recommandé d’écouter chaque semaine les podcasts tels que « The Guardian Audio Long Read » ; « The Guardian – Politics weekly » ; « The Daily » du New York Times et de tenter d’identifier les biais idéologiques très marqués, propres à chaque source.

Pendant les vacances, vous devez constituer un dossier de presse à rendre. Ce dossier devra :
• porter sur un thème d’actualité (évitez les faits divers, mais l’originalité n’est pas à proscrire) que vous choisirez dans la sphère anglophone des États-Unis, du Royaume-Uni ou éventuellement du Commonwealth.
Les grands thèmes de la rentrée seront encore la crise migratoire aux USA et Royaume-Uni; les conséquences du Brexit (Windsor Framework); l’éléction présidentielle américaine encore un peu lointaine mais dont on parle déjà; la mise en accusation de Trume etc. Il serait dommage de frôler l’indigestion si 40 dossiers se concentrent sur les mêmes sujets: who dares wins (mais les sujets trop éloignés du monde anglophone seront pénalisés).
• reposer sur 4 articles en anglais de sources différentes; sources que vous devrez indiquer clairement, pour me permettre de retrouver les articles (si vous choisissez des articles au format papier, vous devrez les apporter en septembre).
Brassez des articles factuels avec des articles exprimant des points de vue plus orientés, piochés dans les rubriques « comment » ou « opinion » des différents journaux. L’écueil principal serait ici de prendre 4 articles exprimant la même chose ou le même point de vue.
Attention, depuis 2016, la presse s’est fortement polarisée politiquement, voire hystérisée en ce qui concerne la presse américaine. A vous d’avoir une lecture critique de tout ce que vous lisez. Il n’y a plus/pas de point de vue neutre dans la presse, et la nature même des faits est contestée aujourd’hui et mise au même niveau que des opinions, ou un ressenti (lived experience).
Méfiez-vous donc de ces polarisations idéologiques souvent simplistes et parfois entretenues pour générer plus d’engagement et/ou de revenu du lectorat, y compris dans la presse dite de qualité. Un recul critique sera attendu et valorisé.
• être rédigé en anglais de bonne qualité. Spell-checking is your friend. #firstimpressionsmattertoo
Il comportera :
Première partie (une copie double maximum)
1) Une synthèse de chaque article (une demi-page maximum par article) en le reformulant.
2) Un paragraphe (une page maximum) pour montrer les enjeux, l’évolution, ou le traitement subjectif du sujet choisi.
3) Une justification de votre choix de ce thème (une demi-page maximum).
Deuxième partie (une page)
4) Proposez un travail de recherche de vocabulaire à partir des articles choisis ; les classer par thème, relever les mots inconnus, ou chercher des synonymes, par exemple.
Ce dossier sera relevé la première semaine et sera la base de la première interrogation orale de l’année (Khôlle).
Vous devez vous procurer l’ouvrage suivant que nous utiliserons en cours chaque semaine:
Sylvie Persec et Jean-Claude Burgué, Grammaire Raisonnée 2, Ophrys (édition 2020 de préférence): Travaillez les points de grammaire qui vous posent problème, et révisez les chapitres 1, 2, 3, 4 et les verbes irréguliers (liste à la fin de l’ouvrage) – il y aura un test dès la semaine qui suivra la rentrée sur ces chapitres et les verbes irréguliers.
Enfin, tirez profit de vos vacances pour partir à la découverte de la civilisation britannique et américaine avec :
• les manuels de civilisation parus chez Hachette Supérieur (édition numérique ou papier – attention les éditions numériques ne sont pas toujours à jour par rapport à leurs équivalent papier):

o Marie-Christine Pauwels, Civilisation des États-Unis (8è édition 2021) numérique / papier
o Peter John et Pierre Lurbe, Civilisation britannique (10è édition 2021) papier
o Pierre Lagayette, Les grandes dates de l’histoire américaine numérique / papier (7è édition 2021) ACHAT OBLIGATOIRE
o Antoine Mioche, Les grandes dates de l’histoire britannique numérique / papier (4è édition 2022) ACHAT OBLIGATOIRE
• des manuels généralistes:

o Françoise Grellet, Crossing Boundaries, Presses Universitaires de Rennes papier Achat conseillé
o Sarah Pickard – Civilisation Britannique / British Civilisation (ouvrage bilingue) 2022-2023 papier ACHAT OBLIGATOIRE (excellent – you’ll thank me for the rest of your lives for this purchase…) – remis à jour chaque année.
• Pour aller plus loin:
o John Oakland – British Civilization, an introduction, Routledge (9è édition 2019) papier / numérique
o David Mauk et John Oakland – American Civilization, an introduction, Routledge (8è édition 2021) papier / numérique
o La civilisation américaine , Quadrige – PUF ou Les américains (André Kaspi), Seuil. Tome 1 papier / numérique. Tome 2 papier / numérique
Tous ces livres sont disponibles dans les bibliothèques universitaires de Toulouse (Arsenal et Jean-Jaurès en particulier) en plusieurs exemplaires, avec un exemplaire de réserve, exclu du prêt. Ces bibliothèques pratiquent les prêts d’été…
Je me réjouis de vous retrouver tous à la rentrée et bon été,
Sébastien Petit
E-mail à utiliser en cas d’urgence : sebastien.petit (@) ac-toulouse.fr
Plateforme Moodle (LMS) utilisée à la rentrée:
https://nopainenogain.fr

Espagnol (2ème année) LVA cours commun et Spécialité : bibliographie 2024

2ème année                  
ESPAGNOL LVA (Cours commun)     2022-2023

Belinda Corbacho

Contact : BCorbacho@ac-toulouse.fr



COMMENTAIRE ET TRADUCTION

L’épreuve d’espagnol LVA est une épreuve littéraire très exigeante dont l’objectif est une approche méthodique des grands textes de la littérature en langue espagnole au travers de commentaires argumentés et de traductions.
Elle mobilise diverses connaissances et aptitudes :
Des connaissances littéraires et culturelles :
-Compréhension fine du discours littéraire et étude de sa mise en œuvre (conventions d’écriture, rhétorique du texte, diversités linguistiques, sociales ou régionales…).
-Connaissance des contextes culturels et historiques des œuvres
-Méthodologie de la traduction.
Des compétences linguistiques :
– Renforcement de l’appropriation de la langue (grammaticalité, idiotismes, richesse lexicale)
– Argumentation structurée en langue étrangère
-Une parfaite maîtrise du français (langue cible de la version)
Les trois heures hebdomadaires de cours dont nous disposons, en regard des six heures qui constituent le temps de l’épreuve le jour du concours, ne pourront être qu’un moment, certes privilégié, à l’intérieur d’un travail personnel régulier et soutenu.
Pour vous préparer au mieux à la rentrée de khâgne, je vous demande tout particulièrement de :
Revoir tous les faits de langue (morphologie verbale, syntaxe, lexique) vus en Hypokhâgne lors des devoirs de version, thème grammatical et thème littéraire.
– Revoir les éléments du cours de littérature d’Hypokhâgne qui concernent le XIX et le XX siècle.
– Consulter quelques chapitres relatifs à la littérature espagnole et hispano-américaine du XIX et du XX siècle dans un manuel de littérature afin de mieux vous constituer des repères dans l’histoire littéraire. 
(Exemples de manuel utilisable : Monica Dorange : Manuel de littérature espagnole (Hachette) 
– La lecture en espagnol de quelques œuvres est également conseillée pour avoir des textes une approche de première main, qui ne se limite pas à des connaissances littéraires générales.
Lire de la bonne littérature en français CAR la version est avant tout un exercice où seront évaluées non seulement votre compréhension de l’espagnol mais aussi la correction et précision de la langue française.
Les usuels indispensables :
Attention ! Pour l’épreuve un seul dictionnaire unilingue est autorisé :
– CLAVE, Diccionario de uso del español actual. Madrid, Ediciones SM, 2006, 2048 p., ISBN : 84-675-0921-X
Ce dictionnaire est donc obligatoire !
Vous pouvez également consulter pour vos traductions le Diccionario de la Real Academia Española (www.rae.es) ainsi que le très complet Diccionario del uso del español, de Maria Moliner.
Une grammaire d’espagnol vous sera précieuse pour l’analyse des textes avant leur traduction:
– Pierre Gerboin, Christine Leroy, Grammaire d’usage de l’espagnol contemporain, Hachette supérieur (plusieurs rééditions)
– Grammaire de l’espagnol moderne, de Jean-Marc BEDELPUF, 2010  (une des plus complètes)
– J. BOUZET, Grammaire espagnole, Belin, Paris. C’est la plus « commode », mais aussi la plus « limitée ».
Ayez aussi à votre disposition pour traduire :
– Un dictionnaire bilingue (Le Larousse convient parfaitement ou le Denis-Maraval-Pompidou chez Hachette)
– Une grammaire française (Le Bon usage de Grevisse, par exemple) / Riegel, Pellat, Rioul, Grammaire méthodique du français, Quadrige, 2001
– Le Bescherelle des conjugaisons.
– Un dictionnaire des synonymes (Henri Bertaud du Chazaud, ed. Quarto, chez Gallimard, un des plus complets)

Voici quelques autres idées de lectures utiles et agréables :

Littérature espagnole
Romans :
Josefina Aldecoa, Historia de una maestra, 1990
Javier Cercas, Soldados de Salamina, 2001
Alfons Cervera, Maquis, 1997
Carmen Laforet, Nada, 1944
Julio Llamazares, Luna de lobos, 1985
Carmen Martín Gaite, El Balneario, 1955
Alberto Méndez, Los girasoles ciegos, 2004
Antonio Munoz Molina, El invierno en Lisboa, 1987
J. Ramón Sender, Réquiem por un campesino español, 1950
Théâtre :
Federico García Lorca, La casa de Bernarda Alba, 1945
Antonio Buero Vallejo, Historia de una escalera, 1949

Littérature hispano-américaine :
Pérou :
Julio Ramón Ribeyro, Silvio en el Rosedal, (Cuentos), 1977
Mario Vargas Llosa, Los cachorros, 1967 (Nouvelle)
Cuba :
Alejo Carpentier, Guerra del tiempo, 1958
Leonardo Padura Fuentes, Pasado perfecto, 1991 (Roman noir)
Argentine :
Jorge Luis Borges, Ficciones, 1944 (Récits fantastiques) 
Julio Cortázar, Alguién que anda por ahí, 1974 (Récits fantastiques)
Silvina Ocampo, La furia, 1959 (Cuentos)
Ernesto Sábato, El Túnel, 1948 (Novela corta)
Juan José Saer, El entenado, 1983
Chili :
Luis Sepúlveda, Un viejo que leia novelas de amor, 1992 (Roman)
Antonio Skármeta, Un ardiente paciencia, 1985 (Roman)
Colombie :
Gabriel García Márquez, El coronel no tiene quien le escriba, 1962 ; Crónica de una muerte anunciada, 1982
Guatemala :
Augusto Monterroso, La oveja negra y otros relatos, (1998)
Mexique :
Juan Rulfo, Pedro Páramo, 1953
Ángeles Mastretta, Arráncame la vida, 1985
Carlos Fuentes, La frontera de cristal (1995)
Uruguay :
Eduardo Galeano, El libro de los abrazos, 1989
Bonnes lectures !


Ludovic D’Agostin

Spécialité Espagnol 
2ème année


Contact : ludovic.dagostin@ac-toulouse.fr

ENSEIGNEMENT DE SPECIALITE
THEME ET LITTERATURE      CIVILISATION ET PRESSE

1. EPREUVE ECRITE DE THEME 
Il s’agit de l’épreuve de spécialité (appelée aussi option). Elle suppose un travail approfondi qui a été entrepris en première année. Il faut poursuivre nos efforts et même les redoubler pour préparer au mieux cette épreuve en gagnant en efficacité. (Coefficient 2).
La finalité consiste à permettre de faire le point sur les compétences linguistiques des candidats dans l’une et l’autre langue, « linguistique » étant entendu dans son sens le plus large : depuis la simple exactitude lexicale jusqu’à l’appréhension socio-linguistique et stylistique du texte-source, en passant naturellement par l’indispensable maîtrise de la morphosyntaxe de la langue castillane.
L’épreuve de thème est le reflet d’une longue et complexe préparation, à laquelle concourt tout ce qui touche à la langue-cible des candidats : exercices académiques, explications de texte, écrites et orales, dissertations, exposés, etc…L’expression authentique est évidemment privilégiée par rapport à la « langue de bois »… Les lectures et contacts personnels avec une langue authentique ainsi que l’utilisation des nouvelles technologies mettent à la portée de tous les étudiants journaux, films, romans, émissions de télévision et de radio. « Tout est bon pour appréhender et faire sien ce monde protéiforme qu’est une langue vivante, la langue castillane dans notre cas ». (ENS Lyon, rapport de jury 2005).
La première condition de notre travail passe par une connaissance solide de la grammaire de base et des conjugaisons en particulier. Par ailleurs il faut absolument « acquérir »du vocabulaire et ne pas cesser d’en apprendre. Pour cela il faut lire de tout ! Lire et noter les mots et expressions. Ce travail personnel et quotidien est indispensable. Le moment des vacances est idéal pour l’amorcer.

Dictionnaires :
Clave,Diccionario de uso del español actual.Ediciones SM ,2006 ISBN : 84-675-0921-X Excellent dictionnaire. Le seul autorisé pour l’épreuve de commentaire et de version. Il est donc obligatoire.
Larousse Grand dictionnaire français-espagnol, espagnol-français, 420.000 traductions, 2007. Ouvrage indispensable.
María Moliner, Diccionario de uso del español , Gredos, 1966(4èmeédition réactualisée en 2012). Une référence. Dictionnaire disponible au CDI.
Diccionario de la Real Academia de la Lengua Española (DRAE), Espasa Calpe, 1992 édition de poche en deux volumes. Utile dans la mesure où il ne se cantonne pas à l’usage actuel. Consultable gratuitement en ligne.
Manuel Seco, Diccionario de dudas y dificultades de la lengua española,Espasa Calpe, 1994.

Grammaires au choix  :
Jean-Marc Bedel, Grammaire de l’espagnol moderne, PUF, 1997. Excellent ouvrage, très complet.
Jean Coste et Augustin Redondo, Syntaxe de l’espagnol moderne, Sedes, 1965. Grammaire très intéressanteavec de nombreux exemples de phrases tirées d’œuvres littéraires.
Pierre Gerboin et Christine Leroy, Grammaire d’usage de l’espagnol contemporain, Hachette Université, 2014.
Michel Camprubi, Etudes fonctionnelles de grammaire espagnole, PUM, 2001.

La conjugaison
Bescherelle, El arte de conjugar los verbos españoles, Hatier, 1984. Plusieurs rééditions. Indispensable pour tout hispanisant.
González Hermoso, Los verbos españoles, Hachette, 2000. Disponible au CDI

Dictionnaires en français :
Petit Robert, Dictionnaire de la langue française, editions Le Robert, réactualisé chaque année. Indispensable.
Dictionnaire historique de la langue française, éditions Le Robert, deux volumes, 1992. Ouvrage passionnant consultable en bibliothèque.
Emile Littré, Dictionnaire de la langue française, Le livre de poche, coll. »La pochothèque », 1863.

Grammaires françaises/manuel de conjugaison
Grévisse/ Goosse, Nouvelle grammaire française, Duculot, 1990.
Grévisse, Le Bon usage, Duculot, 1993.
Bescherelle, L’art de conjuguer les verbes en français, Hatier, 1980 (Plusieurs rééditions). Fortement recommandé.

2. EPREUVE ORALE DE LITTERATURE SUR PROGRAMME (20 mn + 10 mn d’entretien)

Œuvres au programme de la session 2023 :
Tirso de MolinaEl Burlador de Sevilla, Ediciones Austral, 2010, ISBN 978-8467033960. 
Miguel DelibesCinco horas con Mario, Ediciones Austral, 2018, ISBN 9788423353705. 
José Marti, Ismaelillo. Versos libres. Versos sencillos, Madrid, Cátedra, 2005, ISBN 978- 84-376-0367-
Lectures complémentaires  
A propos de l’œuvre théâtrale de Tirso de Molina : 
Molière, Dom Juan (pdf)
Zorrilla, Don Juan Tenorio (pdf)
A propos de l’œuvre narrative de Miguel Delibes :
Delibes, El Camino (ed.destino)
Delibes , Los Santos inocentes (ed.destino)
Delibes, La Hoja roja (ed.destino)

3. ANALYSE D’UN TEXTE HORS PROGRAMME / EPREUVE DE PRESSE

Durée :30 minutes
Le candidat dispose de 20 minutes maximum pour présenter son exposé, le temps restant étant consacré à l’entretien. « Les candidats sont invités à respecter ce découpage ; le jury sanctionne les candidats qui ne parviennent pas  à développer leur exposé au-delà de dix minutes ; pareillement, l’entretien intervient à part entière dans l’évaluation en ce sens qu’il est censé constituer, pour le candidat, l’occasion d’approfondir et d’affirmer son analyse, de lever d’éventuels malentendus, et en tout état de cause de mettre en évidence sa maîtrisedans le maniement spontanéde la langue ». ENS rapport du jury 2006.
Objectifs 
« L’épreuve a plusieurs finalités : elle vise à tester le niveau de langue des candidats, tant au niveau de la compréhension que de l’explication de texte ; elle vise à apprécier les capacités d’analyse et de synthèse tout comme la maîtrise d’un minimum de références solidesconcernant les grands problèmes du monde hispanique, lesquels peuvent parfois et de plusen plus se confondre avec ceux du monde tout court ». ENS rapport du jury 2006
Le rapport du jury 2012 insiste sur l’effort linguistiqueque doivent fournir les candidats dès la préparation de l’oral et la sévérité avec laquelle le jury entend sanctionner une mauvaise expression orale.
Méthodologie 
L’exercice est différent des questions de cours de civilisation (texte-prétexte). Cependant il suppose une connaissance claire des grands faits et repères historiques et des aspects de civilisation dominants.
Les candidats doivent en faire une analyse et un commentaire ordonnés. Il leur est demandé d’effectuer une synthèse fidèle et critique de l’article proposé, sans en négliger aucune partie.
« Le candidat insistera sur les principales idées exprimées par l’auteur, en manifestantcependant un recul indispensable[…] Face au texte, le candidat doit montrer sa capacité à déterminer les intérêts en cause, les enjeux ou les conséquences du problème posé. Peu importe que son point de vue personnel apparaisse au fil du résumé ou après. L’essentiel estque l’article reste toujours le point de référence de la réflexion. Il doit fournir la matière première de celle-ci et susciter la mobilisation de connaissances appropriées ».
Le texte « ne doit jamais être un prétexte à des développements généraux » ENS rapport du jury 2002. De  même le rapport 2016 souligne qu’un commentaire d’article de presse « ne peut, en aucun cas, être assimilé à une récitation de cours « . Sur le plan méthodologique lejury accepte « tout type de commentaires, linéaires ou composés, pourvu que celui-ci reflète une bonne compréhension du texte et une démarche analytique ».
Il appartient donc au candidat de définir la stratégie qui lui paraît le mieux adapté au document proposé.
Il est aussi rappelé que l’épreuve est un « exercice de communication. Le candidat doit savoir gérer son temps pour que l’ensemble du texte soit étudié et présenter un commentaireconstruit, sans répétitions inutiles ». ENS, rapport du jury 2016.
Contenu des articles 
Il s’agit  principalement d’articles de presse issus des médias espagnols et hispano-américains (El País, El Mundo, La Vanguardia, Público, Clarín, La Nación, El Universal, Granma,La Jornada ) qui traitent de l’actualité au sens large : questions de société mais aussi événements plus précis. Les articles peuvent être davantage orientés vers l’information ou l’expression d’une opinion. C’est pourquoi il est indispensable de prendre du recul par rapport à ce qu’affirme l’auteur, de déceler le parti-prisqu’il manifeste.
Connaissances requises et consignes de lecture 
Un étudiant d’espagnol se doit de connaître la géographie et les principaux faits historiques du monde hispanique et hispano-américain. De brefs moments de cours seront consacrés à une révision et une évaluation des connaissances des candidats dans ce domaine.
Cette connaissance du passé va de pair avec une attention particulière et régulière aux faits et aux événements qui se déroulent dans le monde. Tel est l’esprit de cette épreuve. Le plus souvent ces derniers portent sur des sujets récurrents dans l’histoire des pays et réactivés par l’actualité.
Pour cela il est indispensable de parcourir le plus souvent possible la presse espagnole et notamment le grand journal de référence « El País » (la version numérique www.elpais.com est partiellement accessible de manière gratuite) mais aussi  www.eldiario.es , www.publico.eswww.elmundo.es  . Vous pourrez ainsi alimenter votre connaissance de l’actualité et repérer des articles qui très régulièrement  constituent des sujets d’interrogation.
Lire c’est aussi s’intéresser à la langue : profitez-en pour relever mots et expressions et enrichir ainsi votre lexique.

Principales sources d’informations en Espagne et en Amérique Latine

Espagne
EL PAIS (centre gauche) , EL MUNDO (Droite libérale) sont les deux grands journaux de référence en Espagne. ABC(Monarchiste), LA RAZON (Droite decomplexée !)
CLAVE DE RAZON PRACTICA, revue d’information générale très bien documentée.
PUBLICO (gauche), EL DIARIO.ES  et EL CONFIDENCIAL sont trois sites web très consultés.
LA VANGUARDIA (journal de la bourgeoisie catalane) existe en castillan et catalan.
Les journaux régionaux à grand tirage : IDEAL (Andalousie), LEVANTE (Valence), EL NORTE DE CASTILLA (Valladolid), EL HERALDO DE ARAGON, EL PERIODICO DE CATALUNYA, EL CORREO VASCO,  LA VOZ DE ASTURIAS, EL COMERCIO, LA NUEVA ESPAÑA (Asturies), LA VOZ DE GALICIA.

Amérique
– CLARIN (Droite), LA NACION (droite) et PAGINA 12 (Gauche péroniste) en Argentine.
– EL MERCURIO DE CHILE, LA TERCERA (Droite)
– EL COMERCIO, LA REPUBLICA au Pérou.
– EL TIEMPO et EL ESPECTADOR en Colombie.
– EL UNIVERSAL (opposé au « chavisme ») et EL NACIONAL au Venezuela.
– EL UNIVERSAL, EXCELSIOR, LA JORNADA au Mexique.
– GRANMA (Parti Communiste) , JUVENTUD REBELDE (Jeunesses communistes) et www.14ymedio.com  de la blogueuse Y.Sánchez (Anticastriste) à Cuba.

Littérature française (2ème année) : Bibliographie 2025

ENS LSH-LYON, SESSION 2025

Programme de Littérature française

Axe 1 : genres et mouvements
– Domaine 1 : le roman
Axe 2 : questions
– Domaine 1 : l’œuvre littéraire, ses propriétés, sa valeur
– Domaine 2 : l’œuvre littéraire et l’auteur
Œuvres
– Guilleragues, Lettres portugaises, éd. A. Brunn, GF Flammarion, 2009 ; ISBN : 978-2-0812-1965-6.
– Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virginie, éd. J.-M. Racault, Le Livre de Poche, Classiques, 2019 ; ISBN : 9782253240280.
– Flaubert, Madame Bovary, éd. G. Séginger, GF, 2018 ; ISBN: 9782081422568.
– Marguerite Duras, Le ravissement de Lol V. Stein, Folio, 1976 ; ISBN : 9782070368105.

maryse.palevody@orange.fr

muriel.rossetti1882@gmail.com



Espagnol Spécialité Programme et bibliographie 2025

Professeur : Ludovic D’Agostin
Spécialité Espagnol

ENSEIGNEMENT DE SPECIALITE
THEME ET LITTERATURE      CIVILISATION ET PRESSE



1. EPREUVE ECRITE DE THEME 
Il s’agit de l’épreuve de spécialité (appelée aussi option). Elle suppose un travail approfondi qui a été entrepris en première année. Il faut poursuivre nos efforts et même les redoubler pour préparer au mieux cette épreuve en gagnant en efficacité. (Coefficient 2).
La finalité consiste à permettre de faire le point sur les compétences linguistiques des candidats dans l’une et l’autre langue, « linguistique » étant entendu dans son sens le plus large : depuis la simple exactitude lexicale jusqu’à l’appréhension socio-linguistique et stylistique du texte-source, en passant naturellement par l’indispensable maîtrise de la morphosyntaxe de la langue castillane.
L’épreuve de thème est le reflet d’une longue et complexe préparation, à laquelle concourt tout ce qui touche à la langue-cible des candidats : exercices académiques, explications de texte, écrites et orales, dissertations, exposés, etc…L’expression authentique est évidemment privilégiée par rapport à la « langue de bois »… Les lectures et contacts personnels avec une langue authentique ainsi que l’utilisation des nouvelles technologies mettent à la portée de tous les étudiants journaux, films, romans, émissions de télévision et de radio. « Tout est bon pour appréhender et faire sien ce monde protéiforme qu’est une langue vivante, la langue castillane dans notre cas ». (ENS Lyon, rapport de jury 2005).
La première condition de notre travail passe par une connaissance solide de la grammaire de base et des conjugaisons en particulier. Par ailleurs il faut absolument « acquérir »du vocabulaire et ne pas cesser d’en apprendre. Pour cela il faut lire de tout ! Lire et noter les mots et expressions. Ce travail personnel et quotidien est indispensable. Le moment des vacances est idéal pour l’amorcer.

Dictionnaires :
Clave,Diccionario de uso del español actual.Ediciones SM ,2006 ISBN : 84-675-0921-X Excellent dictionnaire. Le seul autorisé pour l’épreuve de commentaire et de version. Il est donc obligatoire.
Larousse Grand dictionnaire français-espagnol, espagnol-français, 420.000 traductions, 2007. Ouvrage indispensable.
María Moliner, Diccionario de uso del español , Gredos, 1966(4èmeédition réactualisée en 2012). Une référence. Dictionnaire disponible au CDI.
Diccionario de la Real Academia de la Lengua Española (DRAE), Espasa Calpe, 1992 édition de poche en deux volumes. Utile dans la mesure où il ne se cantonne pas à l’usage actuel. Consultable gratuitement en ligne.
Manuel Seco, Diccionario de dudas y dificultades de la lengua española,Espasa Calpe, 1994.

Grammaires au choix  :
Jean-Marc Bedel, Grammaire de l’espagnol moderne, PUF, 1997. Excellent ouvrage, très complet.
Jean Coste et Augustin Redondo, Syntaxe de l’espagnol moderne, Sedes, 1965. Grammaire très intéressanteavec de nombreux exemples de phrases tirées d’œuvres littéraires.
Pierre Gerboin et Christine Leroy, Grammaire d’usage de l’espagnol contemporain, Hachette Université, 2014.
Michel Camprubi, Etudes fonctionnelles de grammaire espagnole, PUM, 2001.

La conjugaison
Bescherelle, El arte de conjugar los verbos españoles, Hatier, 1984. Plusieurs rééditions. Indispensable pour tout hispanisant.
González Hermoso, Los verbos españoles, Hachette, 2000. Disponible au CDI

Dictionnaires en français :
Petit Robert, Dictionnaire de la langue française, editions Le Robert, réactualisé chaque année. Indispensable.
Dictionnaire historique de la langue française, éditions Le Robert, deux volumes, 1992. Ouvrage passionnant consultable en bibliothèque.
Emile Littré, Dictionnaire de la langue française, Le livre de poche, coll. »La pochothèque », 1863.

Grammaires françaises/manuel de conjugaison
Grévisse/ Goosse, Nouvelle grammaire française, Duculot, 1990.
Grévisse, Le Bon usage, Duculot, 1993.
Bescherelle, L’art de conjuguer les verbes en français, Hatier, 1980 (Plusieurs rééditions). Fortement recommandé.

2. EPREUVE ORALE DE LITTERATURE SUR PROGRAMME (20 mn + 10 mn d’entretien)



Œuvres au programme de la session 2025 :

Pablo Neruda, Canto general, éd. de Enrico Mario Santí, Madrid, Cátedra (coll. Letras Hispánicas), 2005 ; ISBN : 978-84-376-0930-0. Le programme porte sur les sections 1, 2 et 3. –
Ramón de la Cruz, Sainetes, éd. de Francisco Lafarga, Madrid, Cátedra (coll. Letras Hispánicas), 2006 ; ISBN 978-84-376-0936-2. Le programme porte sur les pièces : « La Crítica, la Señora, la Primorosa, la Linda », « Los picos de oro », « El casamiento desigual », « Introducción a la Tragedia ridícula de Manolo », « Manolo », « La república de las mujeres » et « Las provincias españolas unidas por el placer ». 
Eduardo MendozaRiña de gatos. Madrid 1936 (2010), Barcelone, Booket (Planeta), 2015 ; EAN : 978-84-080-0437-0. 

3. ANALYSE D’UN TEXTE HORS PROGRAMME / EPREUVE DE PRESSE (20 mn + 10 mn d’entretien) sans dictionnaire autorisé)

Le candidat dispose de 20 minutes maximum pour présenter son exposé, le temps restant étant consacré à l’entretien. « Les candidats sont invités à respecter ce découpage ; le jury sanctionne les candidats qui ne parviennent pas  à développer leur exposé au-delà de dix minutes ; pareillement, l’entretien intervient à part entière dans l’évaluation en ce sens qu’il est censé constituer, pour le candidat, l’occasion d’approfondir et d’affirmer son analyse, de lever d’éventuels malentendus, et en tout état de cause de mettre en évidence sa maîtrisedans le maniement spontanéde la langue ». ENS rapport du jury 2006.

Objectifs 

« L’épreuve a plusieurs finalités : elle vise à tester le niveau de langue des candidats, tant au niveau de la compréhension que de l’explication de texte ; elle vise à apprécier les capacités d’analyse et de synthèse tout comme la maîtrise d’un minimum de références solidesconcernant les grands problèmes du monde hispanique, lesquels peuvent parfois et de plusen plus se confondre avec ceux du monde tout court ». ENS rapport du jury 2006
Le rapport du jury 2012 insiste sur l’effort linguistiqueque doivent fournir les candidats dès la préparation de l’oral et la sévérité avec laquelle le jury entend sanctionner une mauvaise expression orale.

Méthodologie
 
L’exercice est différent des questions de cours de civilisation (texte-prétexte). Cependant il suppose une connaissance claire des grands faits et repères historiques et des aspects de civilisation dominants.
Les candidats doivent en faire une analyse et un commentaire ordonnés. Il leur est demandé d’effectuer une synthèse fidèle et critique de l’article proposé, sans en négliger aucune partie.
« Le candidat insistera sur les principales idées exprimées par l’auteur, en manifestantcependant un recul indispensable[…] Face au texte, le candidat doit montrer sa capacité à déterminer les intérêts en cause, les enjeux ou les conséquences du problème posé. Peu importe que son point de vue personnel apparaisse au fil du résumé ou après. L’essentiel estque l’article reste toujours le point de référence de la réflexion. Il doit fournir la matière première de celle-ci et susciter la mobilisation de connaissances appropriées ».
Le texte « ne doit jamais être un prétexte à des développements généraux » ENS rapport du jury 2002. De  même le rapport 2016 souligne qu’un commentaire d’article de presse « ne peut, en aucun cas, être assimilé à une récitation de cours « . Sur le plan méthodologique lejury accepte « tout type de commentaires, linéaires ou composés, pourvu que celui-ci reflète une bonne compréhension du texte et une démarche analytique ».
Il appartient donc au candidat de définir la stratégie qui lui paraît le mieux adapté au document proposé.
Il est aussi rappelé que l’épreuve est un « exercice de communication. Le candidat doit savoir gérer son temps pour que l’ensemble du texte soit étudié et présenter un commentaireconstruit, sans répétitions inutiles ». ENS, rapport du jury 2016.

Contenu des articles 

Il s’agit  principalement d’articles de presse issus des médias espagnols et hispano-américains (El País, El Mundo, La Vanguardia, Público, Clarín, La Nación, El Universal, Granma,La Jornada ) qui traitent de l’actualité au sens large : questions de société mais aussi événements plus précis. Les articles peuvent être davantage orientés vers l’information ou l’expression d’une opinion. C’est pourquoi il est indispensable de prendre du recul par rapport à ce qu’affirme l’auteur, de déceler le parti-prisqu’il manifeste.

Connaissances requises et consignes de lecture 

Un étudiant d’espagnol se doit de connaître la géographie et les principaux faits historiques du monde hispanique et hispano-américain. De brefs moments de cours seront consacrés à une révision et une évaluation des connaissances des candidats dans ce domaine.
Cette connaissance du passé va de pair avec une attention particulière et régulière aux faits et aux événements qui se déroulent dans le monde. Tel est l’esprit de cette épreuve. Le plus souvent ces derniers portent sur des sujets récurrents dans l’histoire des pays et réactivés par l’actualité.
Pour cela il est indispensable de parcourir le plus souvent possible la presse espagnole et notamment le grand journal de référence « El País » (la version numérique www.elpais.com est partiellement accessible de manière gratuite) mais aussi  www.eldiario.es , www.publico.eswww.elmundo.es  . Vous pourrez ainsi alimenter votre connaissance de l’actualité et repérer des articles qui très régulièrement  constituent des sujets d’interrogation.
Lire c’est aussi s’intéresser à la langue : profitez-en pour relever mots et expressions et enrichir ainsi votre lexique.

Principales sources d’informations en Espagne et en Amérique Latine

Espagne
EL PAIS (centre gauche) , EL MUNDO (Droite libérale) sont les deux grands journaux de référence en Espagne. ABC(Monarchiste), LA RAZON (Droite decomplexée !)
CLAVE DE RAZON PRACTICA, revue d’information générale très bien documentée.
PUBLICO (gauche), EL DIARIO.ES  et EL CONFIDENCIAL sont trois sites web très consultés.
LA VANGUARDIA (journal de la bourgeoisie catalane) existe en castillan et catalan.

Amérique
– CLARIN (Droite), LA NACION (droite) et PAGINA 12 (Gauche péroniste) en Argentine.
– EL MERCURIO DE CHILE, LA TERCERA (Droite)
– EL COMERCIO, LA REPUBLICA au Pérou.
– EL TIEMPO et EL ESPECTADOR en Colombie.
– EL UNIVERSAL (opposé au « chavisme ») et EL NACIONAL au Venezuela.
– EL UNIVERSAL, EXCELSIOR, LA JORNADA au Mexique.
– GRANMA (Parti Communiste) , JUVENTUD REBELDE (Jeunesses communistes) et www.14ymedio.com  de la blogueuse Y.Sánchez (Anticastriste) à Cuba.

INFOS PRATIQUES

Pour obtenir des attestations de niveau CECRL (A1 à C1) vous pouvez vous inscrire gratuitement à des sessions d’examen organisées par le CLES si vous êtes inscrits comme étudiant à l’UT2J :  https://www.univ-tlse2.fr/accueil/formation-insertion/decouvrir-formations/certificat-competences-langues-enseignement-superieur-cles

Le beau soleil le jour saint Valentin. A.-S. André. 14-02-23

Podcast
https://audioblog.arteradio.com/blog/192901/podcast/198531/le-beau-soleil-le-jour-saint-valentin-anne-sophie-andre-14-02-2023

Le Beau Soleil, le jour Saint Valentin

Le chromo choisi pour illustrer l’affiche de cette conférence réunit tous les poncifs associés à la Saint Valentin : un angelot, des fleurs porteuses d’un message secret (en l’occurrence des myosotis, Forget-Me-Nots en anglais, « ne m’oublie pas ») des guirlandes et bien sûr un coeur rouge. Il ne manque plus que les chocolats et un air sirupeux pour compléter le cliché.
Cette Saint Valentin commerciale que vous croyez connaître et qu’il est de bon ton, dans les cercles intellectuels, de tenir à distance, savez-vous qu’en réalité elle est l’héritière de toute une histoire complexe, qui plonge ses racines dans le lointain passé de notre civilisation?
Mais tout d’abord, qui était saint Valentin et quel rapport entretenait-il avec Amour? Je ne ferai pas durer le suspense : saint Valentin a bien existé : il a même existé plusieurs fois et à plusieurs endroits! Pour faire simple, plusieurs personnages du Bas Empire romain ont porté ce nom, sans que leurs mérites ou prétentions à la sainteté soient exceptionnels. Ce que l’on sait c’est qu’un Valentin fut décapité près de Rome, le 14 février entre 270 et 280 après Jésus-Christ. Pour en finir avec Valentin, il faut savoir qu’il fut très généreux en reliques, et que son culte s’est répandu un peu partout dans l’espace romain, mais il était imploré pour protéger les vignes, les vaches, les abeilles ou les oignons[1], ce qui ne laisse pas d’interroger sur sa transformation en saint patron des amoureux.
Jean-Claude Kaufmann, dans son ouvrage très documenté Saint Valentin, Mon Amour! établit une corrélation entre la date avérée de son martyre, le 14 février, et les fêtes romaines des Lupercales, fêtes de la purification où il était de tradition que les hommes nus fouettent le ventre des jeunes femmes (elles-mêmes peu vêtues) avec des lanières confectionnées dans la peau des animaux sacrifiés au début des cérémonies afin d’encourager la fertilité. Ce rapprochement des corps entraînait-il un rapprochement des coeurs? Difficile de le savoir. Ce qui est certain, en revanche, c’est que l’Eglise naissante ne voyait pas d’un bon oeil ces fêtes et fit tout ce qui était en son pouvoir pour les canaliser.
Jean-Claude Kaufmann pense que la Saint-Valentin a été associée à l’amour par coïncidence de dates,[2] en pleine période de Carnaval, à un moment où tout était permis, et notamment une forme de libération sexuelle permettant de secouer quelques semaines la chape de plomb d’une société extrêmement rigide. Son argumentaire est très séduisant, mais il me semble plus s’appliquer à Carnaval. En revanche il évoque une pratique qui va nous permettre de faire un bond de la fin de l’Empire Romain au XIVème siècle : celle de la loterie amoureuse, permettant à des couples de hasard et éphémères de se former. Or pour indiquer à l’élu de son coeur qu’on le choisit, encore faut-il le lui dire, ou pour reprendre la formule attribuée aux troubadours, « aimer, c’est le dire »[3].
Ainsi, tandis que dans les communaux des villages Jeannette et Jeanneton sont appariés lors de rondes où l’on clame « J’aimerai qui m’aimera », à la cour du roi Richard II d’Angleterre, en pleine guerre de Cent Ans , et sans que l’on sache précisément pourquoi, on assiste à la floraison de toute une série de poèmes invoquant diversement Saint Valentin. Français et Britanniques se disputent un peu la paternité de cette nouvelle mode, mais il semble bien que ce soit le grand Geoffrey Chaucer, avec son Parlement des Oiseaux, qui a le premier établi le lien entre le 14 février, jour de la Saint Valentin, l’arrivée du printemps et le renouveau du sentiment amoureux. (En ce qui concerne le printemps, n’oublions pas qu’en raison du calendrier julien, le 14 février de la fin du XIVème siècle était plus tardif; cela dit, le soleil rayonnant aujourd’hui est bien dans la note).

Geoffrey Chaucer[4]
The Parliament of Fowles

Now welcome, somer, with thy sonne softe,
That hast thes wintres wedres overshake
And driven away the long nyghtes blakes !
Saynt Valentyn, that art ful hy on-lofte,
Thus syngen smale foules for thy sake :
Now welcome, somer, with thy sonne softe,
That hast thes wintres wedres overshake.
Wel han they cause for to gladen ofte,
Sith ech of hem recovered hath hys make,
Ful blissful mowe they synge when they wake :
Now welcome, somer, with thy sonne softe,
That hast thes wintres wedres oversake.


(Le parlement des oiseaux)
Sois bienvenu, été, toi et ton doux soleil
Vous dissipez la rigueur de l’hiver,
Vous écartez des nuits l’obscurité !
Saint Valentin, toi qui résides au ciel,
Les oiseaux chantent ce chant pour te fêter :
Sois bienvenu, été, toi et ton doux soleil
Vous dissipez la rigueur de l’hiver.
Infatigables, bien sûr ils crient merveille,
Puisque chacun sa chacune a trouvé,
Dès le réveil, joyeux ils vont chanter :
Sois bienvenu, été, toi et ton doux soleil
Vous dissipez la rigueur de l’hiver.

Nathalie Koble souligne que d’emblée les poèmes sont écrits dans les deux langues de la cour (l’anglais et le français, voire l’anglo-normand), où une culture des jeux d’esprit favorise les assemblées courtoises : 
« comme les oiseaux rassemblés en parlement, les poètes exercent dans des communautés d’appartenance, qui associent étroitement activités poétique et politique. »[5] Les spécialistes d’anglais de khâgne seront intéressés de savoir que Jean de Gand, le puissant oncle de Richard II, était le mécène de ces rencontres. 
C’est en 1401 que la mode de poèmes inscrits dans un calendrier littéraire se transporte en France puisque cette année-là, une Cour amoureuse est lancée autour du roi Charles VI, dont Nathalie Koble nous dit qu’il s’agissait d' »une réunion poétique mensuelle initialement destinée à contrer les malheurs de l’Histoire par la pratique de la poésie. »[6] Christine de Pisan s’y illustre notamment avec un Virelai dont je vous cite les deux premiers quatrains :
Très doux ami, qu’il t’en souvienne
C’est aujourd’hui que je te prends
Pour amant : que ton coeur m’appartienne,
Je veux qu’il soit tout entier mien,
Car c’est la coutume, entre amants,
Et tu le sais, bien ordonnée,
Que le premier jour du printemps
On prenne un ami pour l’année.

A cette époque en effet, la culture des deux cours est très poreuse, au gré à la fois des revendications anglaises sur une bonne part du territoire français mais aussi des alliances princières (la deuxième épouse de Richard II, Isabelle de France, fille de Charles VI, n’avait pas sept ans lors de leur mariage célébré à Ardres près de Calais en 1399 pour conclure une trêve dans la Guerre de Cent Ans.


Les témoignages des contemporains s’accordent à dire que Richard, très critiqué par ailleurs pour sa gestion des affaires du royaume, s’est toujours montré très gentil avec la fillette.)
Charles d’Orléans, neveu de Charles VI et futur époux d’Isabelle, fut retenu prisonnier à la Tour de Londres pendant vingt-cinq ans ans, au contact culturel de ces cercles poétiques, est s’est illustré lui aussi par plusieurs rondeaux thématiques autour de la Saint-Valentin, dont celui qui m’a inspiré le titre de cette conférence, composé dès le départ dans les deux langues, et dont voici le premier vers en anglais et français du XIVème siècle.

Dans le dur lit d’ennuyeuse pensée
Whan fresshe Phebus, day of seynt Valentyne,
Le beau souleil le jour saint Valentin

Le poème entier est une illustration très classique de la double thématique du renouveau et de la perte amoureuse, génératrice de rêverie mélancolique (pensée signifie rêverie en français médiéval, qui constituent l’un des topoi de la poésie amoureuse).

Le beau soleil de la Saint-Valentin
a apporté sa chandelle allumée
pour pénétrer hier de bon matin
à pas feutrés dans ma chambre fermée.
Cette lumière qu’il avait apportée
m’a réveillé du sommeil de souci
qui me tenait pour la nuit endormi
dans le dur lit d’ennuyeuse pensée.
Ce même jour partageant le butin
des biens d’Amour les oiseaux rassemblés
se sont tous mis à parler leur latin
et à piailler réclamant la livrée
que la nature leur avait réservée :
un compagnon que chacun se choisit –
moi je restai réveillé par leurs cris
dans le dur lit d’ennuyeuse pensée.
Alors en larmes j’ai mouillé mon coussin
et j’ai pleuré sur ma dure destinée
disant : « Oiseaux, vous prenez le chemin
de vos plaisirs, de la joie désirée,
chacun de vous est bien apparié,
moi mon amie, la mort me l’a ravie
et j’ai sombré dans la mélancolie
dans le dur lit d’ennuyeuse pensée.

Nous voici donc à la Renaissance, et aussi bien en France qu’en Angleterre, avec des formes un peu différentes, la Saint-Valentin est devenue, selon la formule de N. Koble, « une pratique courtoise inscrite dans la langue » puisque le mot « valentine » désigne à la fois l’objet aimé et le poème composé en son honneur.[7]
Fêtes romaines puis carnavalesques, raffinement poétique de cours, comment, de ce haut lignage sommes-nous parvenus aux explosions de cœurs et de chocolats actuels? A bas bruit tout d’abord, au rythme de la vie rurale, gouvernée par un cycle de célébrations rituelles dont la Saint-Valentin faisait partie. Plus nous nous rapprochons de notre époque, plus les objets témoins de cette présence dans la culture populaire française et anglaise s’offrent à nous, miraculeusement préservés.

Ainsi, le Metropolitan Museum de New York conserve, dans une boîte spéciale, toute une collection de cartes de la Saint-Valentin, dont les plus anciennes sont difficiles à distinguer des images pieuses.


Cette illustration française sur parchemin date du XVIIIème siècle; comme par magie, des coeurs poussent sur les arbres, et le message implicite est que la force de l’amour conjugal (suggéré par l’église) protègera le couple (le village) des vicissitudes de la vie (la tempête). On voit bien tous les éléments codés qui font l’ordinaire des représentations picturales de la Saint-Valentin.
En Angleterre, la coutume d’échanger des billets pour la Saint-Valentin perdure de son côté, et le romancier Thomas Hardy, dont les romans ruraux publiés à la fin du XIXème siècle mettent en scène le crépuscule d’un monde sur le point d’être englouti par l’urbanisation née de la Révolution Industrielle, a immortalisé les pratiques de la Saint-Valentin dans son roman Loin de la foule déchaînée. L’ethnologue française Yvonne Verdier lui a consacré des pages magnifiques, qui nous permettent également de comprendre comment la coutume de la Saint-Valentin s’est maintenue :
« En effet le valentinage se faisait aussi sous la forme d’un tirage au sort public: la veille de la fête, le 13 février, jeunes gens et jeunes filles d’un même village se rassemblaient entre eux, semble-t-il, sur une hauteur ou dans un pré à l’écart. Selon un voyageur français qui observe la coutume près de Londres, à la fin du XVIIIè siècle: «Chacun et chacune écrivent leurs vrais noms ou des noms empruntés sur des billets séparés, roulent ces billets et tirent au sort, les Filles prenant les billets des Garçons et les Garçons les billets des Filles. De sorte que chaque garçon rencontre une fille qu’il appelle sa Valentine et chaque fille rencontre un garçon qu’elle appelle son Valentin.» Ou encore, autre mode d’élection par le hasard, le jeune homme décide de prendre pour Valentine la première fille qu’il rencontre en sortant de chez lui le matin du 14 février, lui adressant ces mots : Be my Valentine. Ainsi les formes de la coutume oscillent-elles entre les deux pôles : celui d’un choix amoureux librement consenti, mais généralement tenu caché dans le billet doux, bénéficiant en quelque sorte du secret de la correspondance, et celui d’un appariement par le sort d’un vaste jeu de loterie, tenu cette fois au grand jour. »[8]
Yvonne Verdier montre ensuite comment la Saint-Valentin est inscrite par Hardy dans la trame de son roman, la coutume devenant l’un des pivots de l’intrigue amoureuse, intrigue, soit-dit en passant, qui met en scène l’une des plus remarquables héroïnes de la fiction victorienne, Bathsheba Everdene. Mais je m’avance, car Bathsheba a acheté la carte qu’elle envoie dans le roman, alors qu’au moins jusqu’aux années 1840, la plupart des cartes étaient « faites maison », comme cet exemple conservé au Victoria & Albert Museum de Londres l’atteste.


Il se peut que cette carte ait été conçue comme une demande en mariage, car d’après la tradition, si un homme donnait un gant à une femme le jour de la Saint-Valentin et qu’elle le portait jusqu’à Pâques, cela signifiait que ses sentiments étaient partagés. Le superbe poème (!) inscrit en dessous du gant corrobore cette interprétation. 
Autre exemple conservé au Metropolitan Museum of Art, dont la complexité est assez époustouflante. (Le lien renvoie vers l’image animée de cette carte très particulière).
Mais tout ceci prend du temps et en cette deuxième moitié de XIXème siècle, tout s’accélère : les trains et les bateaux à vapeur, les papeteries industrielles et les rotatives permettent d’imprimer à bas coût des milliers de cartes bon marché; la mise en place de la poste et du timbre à un penny en 1840 seront déterminantes et les années 1850-1900 sont l’âge d’or de la carte de la Saint-Valentin en Grande-Bretagne tout d’abord. 
Et comme l’illustration qui suit vous le montre, Chat GPT n’a rien inventé : la panne d’inspiration pouvait guetter quiconque et les Victoriens avaient trouvé la parade :


(https://www.vam.ac.uk/blog/wp-content/uploads/00002-scan_2022-01-27_10-58-32-2048×1185.jpg)
Quelle que soit votre occupation, ce recueil propose des vers de circonstance tout faits pour déclarer votre flamme. J’aime tout particulièrement la réponse suggérée pour repousser les avances d’un forgeron :

I never can, for one great cause, be by a Blacksmith won;
I must make all the noise myself, my husband must make none.


Jamais je ne pourrai d’un forgeron être la flamme
Car de nous deux suis seule à pouvoir faire du ramdam 
(traduction libre par mes soins)

Simultanément, dans les jeunes États-Unis d’Amérique, la tradition des cartes de Saint-Valentin se répand, en provenance d’Angleterre, et il n’échappe pas aux papetiers locaux qu’il y a là un marché à prendre. En effet, contrairement à la mère patrie, l’Amérique fronce le sourcil sur les fêtes traditionnelles, qui ne rentrent pas dans le cadre de la théologie puritaine (on ne fêtait pas Noël) ou qui, en encourageant les débordements, risquent de mettre à mal l’éthique de travail et la profitabilité. Le développement de la société de consommation dans les dernières décennies du XIXème siècle va entraîner un brutal renversement de perspective, sous l’impulsion de publicistes et d’industriels qui avaient senti que toutes ces fêtes étaient autant d ‘occasion de consommer potentielles. 
Ainsi que l’écrit l’historien Leigh Eric Schmidt :
« Les fêtes permettraient d’organiser la consommation de façon ordonnée, en accordant le cycle rituel au commerce. …Si du point de vue des industriels il y avait trop de fêtes, de celui des nouveaux commerçants, il n’y en avait jamais assez. »[9]
La Saint-Valentin n’échappe pas à cette réinvention commerciale, car elle permet d’écouler les stocks d’images invendus de la nouvelle année. Les fleuristes n’ont pas tardé à emboîter le pas, suivis par les chocolatiers et autres confiseurs. Mais ce qui caractérise la Saint-Valentin, par rapport à d’autres fêtes commercialisées, c’est que son appropriation commerciale initiale dérive directement des pratiques ancrées dans le folklore culturel.
Voici un exemple animé de la production industrielle haut de gamme des années 1860-1900.
Et une illustration 2022, caractéristique de l’humour grinçant des féministes britanniques : le texte reprend sa place, l’illustration étant délibérement surjouée. (Capture d’écran Instagram, 5 janvier 2023).


De ses origines pluriséculaires, la Saint-Valentin a gardé en partage un dynamisme qui se manifeste au travers de réinventions constantes, en faisant l’incarnation moderne de la « mouvance » médiévale, cet art de la métamorphose vivante, pour reprendre la terminologie de Paul Zumthor. Si les sirènes du marketing ne cessent de trouver de nouvelles mélodies entêtantes pour nous inciter à consommer l’amour (littéralement si l’on songe aux gâteaux créés pour l’occasion), elles ne peuvent cependant gommer certaines caractéristiques fondamentales de cette journée associant retour du beau soleil et célébration du sentiment amoureux : aujourd’hui au lycée la distribution de roses confectionnées par les élèves en est la manifestation éclatante et sympathique. 


[1] L’un de mes étudiants de khâgne m’a signalé le poème de Carol Ann Duffy, Valentine, où le Je poétique offre un oignon à l’être aimé en guise de cadeau de Saint Valentin, variation très ironique sur notre thème, mais je ne crois pas que Duffy avait connaissance de cette fonction protectrice de St Valentin. Un grand merci en tous les cas à P. Bondarenko pour la référence.
[2] Jean-Claude Kaufmann, Saint Valentin, Mon Amour!, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2017, ch. 1 passim.
[3] Nathalie Koble, « La Tradition Poétique de la Saint-Valentin (XIVe-XXIe siècles) », Po&sie, 2014/2, n°148, p. 68.
[4] Tous les extraits de poèmes médiévaux sont extraits de l’article de N. Koble.
[5] Koble, loc. cit., p. 69.
[6] Koble, ibid.
[7] Cette tradition poétique de la Saint-Valentin perdure jusqu’à nos jours, et dans les deux langues, je vous renvoie à l’anthologie élaborée par Nathalie Koble pour vous en faire une idée.
[8] Yvonne Verdier, Coutume et Destin, Thomas Hardy et autres essais, Paris, 1995, p. 95.
9] Leigh Eric Schmidt, The Commercialization of the Calendar: American Holidays and the Culture of Consumption, 1870–1930, Journal of American History, Volume 78, Issue 3, December 1991, Pages 887–916, https://doi.org/10.2307/2078795, p. 889.