Plus ultra : l’Ulysse de Dante
Emmanuel Lacoue-Labarthe

1. Ulysse dans La Divine Comédie
L’idée de cette petite conférence m’est venue en lisant et relisant La Divine Comédie. Au chant XXVI de L’Enfer, Dante et son guide Virgile atteignent la fosse[1] où sont punis les conseillers perfides et les coupables de ruse. Là, ils aperçoivent Ulysse et son compagnon Diomède, qui expient au sein d’une flamme fourchue plusieurs fautes commises ensemble, dont la ruse bien connue du cheval de Troie. Ulysse apparaît donc comme un damné jeté en enfer par le jugement divin.
Désirant en apprendre davantage, Dante et Virgile lui demandent alors comment il est mort. Ulysse leur répond qu’en quittant la magicienne Circé, son désir l’a poussé non à rentrer à Ithaque, mais à continuer à explorer le monde. Ses compagnons et lui prirent donc la mer et arrivèrent au « passage étroit où Hercule posa ses signaux afin que l’homme n’allât pas au-delà », non piú oltre, ne plus ultra : il s’agit, bien sûr, des colonnes d’Hercule, c’est-à-dire du détroit de Gibraltar. Or, au lieu de rebrousser chemin, tenu en respect par l’avertissement de ne pas aller plus loin, Ulysse proposa au contraire à ses compagnons de passer outre et de s’aventurer au-delà en leur disant :
« Ô frères […]
ne refusez pas l’expérience,
en suivant le soleil, du monde inhabité.
Considérez votre semence :
vous ne fûtes pas faits pour vivre comme des bêtes
mais pour suivre vertu et connaissance. »
Les compagnons d’Ulysse acceptèrent avec enthousiasme et leur « vol fou » – ce sont les mots d’Ulysse lui-même – les conduisit à un terrible naufrage qu’il décrit ainsi :
« Une montagne nous apparut, brune
par la distance, et qui semblait si haute
que je n’en avais jamais vu de pareille.
Nous nous réjouîmes, et la joie se changea vite en pleurs,
car de la terre nouvelle un tourbillon naquit,
qui vint frapper le navire à l’avant.
Il le fit tournoyer trois fois avec les eaux ;
à la quatrième il dressa la poupe en l’air,
et enfonça la proue, comme il plut à un Autre,
jusqu’à ce que la mer fût refermée sur nous.»[2]
L’Ulysse de Dante ne rentre donc pas à Ithaque, contrairement à celui d’Homère : il brave l’interdit, s’aventure dans le monde inhabité et finit englouti par les flots avec ses compagnons.
Soit, mais en quoi est-ce important ? Pourquoi des auteurs comme Vladimir Jankélévitch ou Primo Lévi ont-ils accordé une place centrale à ce récit de Dante et à la figure d’Ulysse qu’il propose ? Et pourquoi Dante lui-même a-t-il inventé une telle figure ?
2. Jankélévitch
Commençons pas les idées de Vladimir Jankélévitch. C’est d’abord en réfléchissant sur l’aventure qu’il s’intéresse à l’Ulysse de Dante[3].
L’aventure véritable, nous dit-il, est celle qui est vraiment aventureuse, c’est-à-dire inattendue, incertaine et risquée. Ce n’est donc pas celle de l’aventurier professionnel, pour qui l’aventure n’est qu’un moyen presque comme un autre de gagner sa vie, un véritable « système de vie », écrit Jankélévitch, qui comporte certes quelques risques, mais qui n’en est pas moins bien installé. Mais l’aventure véritable, ce n’est pas non plus celle qui est subie comme une malédiction et sans aucun goût pour l’aventure, sans aucun désir de s’aventurer. Or, selon Jankélévitch, c’est sur ce point que l’Ulysse d’Homère s’oppose fortement à celui de Dante.
a) Dans L’Odyssée, Ulysse vit certes de nombreuses péripéties, mais il ne les a pas du tout cherchées ou voulues : la légende dit en effet que lorsque Ménélas est venu lui demander son aide pour aller récupérer Hélène à Troie, Ulysse ne s’est résigné qu’avec peine, à contre-cœur, et parce que, comme tous les prétendants d’Hélène, il avait juré de porter secours, si cela s’avérait nécessaire, au mari que le père d’Hélène choisirait pour sa fille. Certains récits[4] disent même qu’Ulysse aurait simulé la folie pour tenter d’échapper à l’expédition troyenne et qu’il aurait fallu poser Télémaque, son fils, encore bébé, devant le soc de sa charrue pour qu’il arrête de labourer son champ et reconnaisse qu’il n’était pas fou.
De plus, nous dit Jankélévitch, dans L’Odyssée, Ulysse est attiré par les haltes bien plus que par le mouvement et il ne désire au fond qu’une chose : « rentrer à la maison, retrouver son épouse fidèle, sa Pénélope, et sa maison d’Ithaque, et la fumée de son petit village ». « Tenté par les délices de la flânerie et de l’école buissonnière, écrit Jankélévitch, Ulysse est pourtant un homme raisonnable qui ne pense qu’à se retrouver « at home » et [qui], pour réintégrer ses foyers, va au plus court ». Ce « faux voyageur » est donc « aventurier par force et casanier par vocation, et ses pérégrinations, à cet égard, sont des aventures un peu bourgeoises ».
L’Ulysse d’Homère est, ainsi, moins l’homme de l’aventure que d’une nostalgie close et un peu plate, qui n’aspire à aucun absolu, mais seulement au retour chez soi et au rétablissement du passé : il est « le héros du retour », le « voyageur du périple clos », qui est un « faux voyageur, un mauvais voyageur, un voyageur casanier »[5].
b) Par différence, le périple de l’Ulysse de Dante n’est, lui, pas du tout une « croisière circulaire » en mer, mais un « voyage rectiligne », écrit Jankélévitch, qui l’entraîne vers l’ouverture de l’océan et vers un monde nouveau et inconnu. Son aventure est donc bien plus aventureuse que celle de son homonyme homérique : elle est la figure de « l’aventure moderne », qui, nous dit Jankélévitch, s’oppose au « périple antique comme l’ouvert au fermé ».
Chez Dante, en effet, Ulysse est l’incarnation d’un inextinguible désir d’en apprendre toujours davantage, désir qui est prêt à braver tous les interdits et à affronter tous les risques pour s’aventurer vers de nouvelles expériences et connaissances. Au chant XXVI de L’Enfer, Ulysse déclare à Dante et Virgile : « Ni la douceur de mon enfant [Télémaque], ni la piété pour mon vieux père [Laërte], ni l’amour dû qui devait faire la joie de Pénélope, ne purent vaincre en moi l’ardeur que j’eus à devenir expert du monde et des vices des hommes, et de leur valeur »[6].
L’Ulysse de Dante est donc, selon Jankélévitch, la figure emblématique de l’authentique « curiosité aventureuse », il est le héros de l’aventure moderne, qui est essentiellement un « départ sans retour ». Mais il n’est pas seulement la figure de l’authentique aventure : il est également celle de la vraie nostalgie, qui est ouverte et non close, qui est « aspiration infinie »[7], désir d’un absolu qui n’est d’aucun lieu ni d’aucun temps et qui est, par conséquent, tendue vers l’avenir bien plus que vers le passé. Le « point douloureux » de la vraie nostalgie, écrit en effet Jankélévitch, « n’est pas ailleurs qu’ici ou ailleurs que là : ce point est ailleurs que tout ailleurs » ; il est « ailleurs que partout […], c’est-à-dire Nulle part ». C’est qu’en effet l’homme est cet être essentiellement ouvert et non fermé, dont la « vraie patrie » n’est par conséquent jamais seulement « de ce monde », mais toujours aussi « d’outre-monde » : elle « n’est repérable sur aucune carte » et se situe toujours en avant de lui, « à l’horizon de tout espoir »[8]. En ce sens, c’est bien l’Ulysse de Dante et non celui d’Homère qui est « le véritable voyageur nostalgique », celui de la « futurition aventurière » et de « l’odyssée infinie »[9].
3. Primo Levi
Mais venons-en maintenant à Primo Levi : quel rôle l’Ulysse de Dante a-t-il joué pour lui ?
L’un des chapitres de Si c’est un homme, dans lequel Primo Levi a fait le récit de sa déportation au camp d’Auschwitz-Monowitz, s’intitule Le chant d’Ulysse. Dans ce chapitre, il raconte l’échange qu’il a eu un jour, en allant chercher la soupe aux cuisines, avec un certain Jean[10].
Celui-ci, jeune étudiant juif alsacien, était le Pikolo du Kommando de Chimie auquel appartenait Levi, c’est-à-dire qu’il en était le livreur-commis aux écritures, préposé à l’entretien de la baraque, à la distribution des outils, au lavage des gamelles et à la comptabilité des heures de travail. Or, malgré ce poste situé à un échelon très élevé dans la hiérarchie de ceux confiés aux détenus, Jean restait – chose rare – très humain avec ses camarades. De plus, quoique parlant déjà deux langues (le français et l’allemand), il désirait apprendre l’italien et avait donc, un peu comme Ulysse, le désir d’en savoir sans cesse davantage.
Ainsi, en cheminant vers les cuisines, Primo tenta d’apprendre à Pikolo, quelques rudiments d’italien en lui citant des vers de Dante. Or, après avoir prononcé les vers du chant XXVI dans lesquels Ulysse rappelle à ses compagnons leur véritable dignité et vocation — « Considérez votre semence, dit Ulysse : vous ne fûtes pas faits pour vivre comme des bêtes, mais pour suivre vertu et connaissance » —, Primo Levi eut une sorte d’illumination qu’il décrit ainsi :
« Et c’est comme si moi aussi j’entendais ces paroles pour la première fois : comme une sonnerie de trompettes, comme la voix de Dieu. L’espace d’un instant, j’ai oublié qui je suis et où je suis.
Pikolo me prie de répéter. Il est bon, Pikolo, il s’est rendu compte qu’il est en train de me faire du bien. A moins que, peut-être, il n’y ait autre chose : peut-être que, malgré la traduction plate et le commentaire sommaire et hâtif, il a reçu le message, il a senti que ces paroles le concernent, qu’elles concernent tous les hommes qui souffrent, et nous en particulier ; qu’elles nous concernent nous deux, qui osons nous arrêter à ces choses-là avec les bâtons de la corvée de soupe sur les épaules. »
Pour Primo Levi, l’Ulysse de Dante est donc, avec son désir de connaissance et son esprit d’aventure, une figure, si ce n’est la figure, voire le modèle, de la dignité humaine. Il est celui qui comprend et qui incarne par son choix de poursuivre l’aventure au-delà des colonnes d’Hercule, que toute la dignité et vocation de l’homme réside dans le désir de vertu et de connaissance et dans l’audace de placer cet idéal plus haut que le souci de conserver sa vie.
Puis, en se rappelant les vers suivants, qui décrivent le naufrage infligé à Ulysse et à ses compagnons, naufrage voulu et approuvé par « un Autre », dit le texte[11], c’est-à-dire par Dieu, Primo Levi dit avoir eu une deuxième « fulgurante intuition, et qui, écrit-il, contient peut-être l’explication de notre destin, de notre présence ici aujourd’hui… ». Mais cette intuition n’est pas expliquée dans Si c’est un homme : ce n’est que beaucoup plus tard, dans un entretien[12], que Primo Levi a tenté de la formuler, tout en précisant le caractère très incertain et hypothétique de son idée :
« Je voulais dire, déclare-t-il à son interlocutrice qui s’appelle Daniella Amsallem, […] qu’Auschwitz fût la punition de la civilisation juive par les barbares, par l’Allemagne barbare, par le nazisme barbare ; c’est-à-dire la punition de l’audace, tout comme le naufrage d’Ulysse est la punition de l’audace de l’homme par un dieu barbare. Je pensais en particulier à cette veine de l’antisémitisme allemand qui frappait principalement l’audace intellectuelle des Juifs, comme Freud, Marx, Kafka et tous les innovateurs, en somme, dans tous les domaines. C’était cela qui dérangeait un certain philistinisme allemand, beaucoup plus que le fait du sang et de la race. »
Pour Levi, la barbarie consiste donc à condamner le désir de savoir, la libido sciendi, qui fait pourtant la dignité de l’homme, et à détruire ceux qui lui donnent vie. Il y aurait donc une sorte de parallélisme entre la barbarie nazie à l’égard des Juifs et celle du Dieu qui fait périr Ulysse dans La Divine Comédie.
Et dans un autre entretien[13], Primo Levi va même jusqu’à faire un parallèle entre la cruauté dont Dante lui-même fait preuve au chant XXXIII de L’Enfer à l’égard d’un damné et celle des nazis vis-à-vis des Juifs. Dans cet épisode de La Divine Comédie, Dante refuse de libérer les yeux d’un damné entièrement pris dans la glace, alors même qu’il lui avait promis de le faire : « et ce fut courtoisie, dit-il, d’être envers lui vilain »[14]. D’où le commentaire de Primo Levi :
« En d’autres termes, c’était un devoir pour Dante, que de se montrer cruel avec lui. Je pense que quelque chose de semblable s’est produit en Allemagne. Le sentiment que Dante, qui était un fervent catholique, éprouvait à l’égard des damnés, qui n’avaient plus aucun droit et qui devaient être forcés de souffrir, était peut-être celui des nazis envers les Juifs : il fallait les forcer à endurer autant de souffrance que possible. »
4. Dante et son Ulysse
Primo Levi nous invite donc, pour finir, à nous demander quel est le rôle et la signification de cet Ulysse de Dante pour Dante lui-même. Ulysse est-il pour lui, comme pour Primo Levi et Vladimir Jankélévitch, une figure positive de l’aventure authentique, de la vraie nostalgie et de la dignité humaine ou bien est-il une figure négative de la ruse et d’un désir de savoir orgueilleux, et plein de démesure, d’hubris ? Mon sentiment est qu’il est les deux à la fois.
D’un côté, en effet, Ulysse apparaît comme doublement condamnable aux yeux de Dante, qui a affirmé très explicitement dans certains textes l’intention morale de sa Divine Comédie[15] : Ulysse est condamnable non seulement pour ses multiples ruses et tromperies, qui lui valent d’avoir été jeté en Enfer, mais aussi, et peut-être surtout pour la vanité de sa libido sciendi et de son esprit d’aventure, qui lui valent d’avoir été englouti par les flots. À quoi bon, semble nous dire Dante, explorer le monde inhabité, alors qu’il y a tant à apprendre des hommes ? Et, quitte à transgresser un interdit, ne vaut-il pas mieux s’aventurer dans les abîmes de l’Enfer, c’est-à-dire dans les tréfonds de l’âme humaine, plutôt que de parcourir des océans dépeuplés ?
En adoptant ce premier point de vue, Dante serait donc une sorte de précurseur des moralistes qui, de Montaigne à Rousseau en passant par Pascal[16], ont dénoncé d’un même geste la libido sciendi, désir de savoir du savant et du voyageur, la libido sentiendi, désir du plaisir sensuel des voluptueux et la libido dominandi, désir dominateur des conquérants et des tyrans. Au point de faire l’éloge d’une certaine forme d’ignorance conçue comme rejet de la vaine curiosité, c’est-à-dire de la curiosité oublieuse de la primauté du bien et de notre vocation morale. Cette ignorance « forte et généreuse », écrit Montaigne, qui consiste à « châtrer nos appétits désordonnés », à « émousser cette cupidité qui nous époinçonne à l’étude des livres », et à « priver l’âme de cette complaisance voluptueuse qui nous chatouille par l’opinion de science », « ne doit rien en honneur et en courage à la science », car, écrit-il, elle est une « ignorance pour laquelle concevoir il n’y a pas moins de science que pour concevoir la science »[17]. Quant à Rousseau, il dénonce certes l’ignorance « féroce et brutale, qui naît d’un mauvais cœur et d’un esprit faux » ; l’« ignorance criminelle qui s’étend jusqu’aux devoirs de l’humanité ; qui multiplie les vices ; qui dégrade la raison, avilit l’âme et rend les hommes semblables aux bêtes ». Mais, nous dit-il, « il y a une autre sorte d’ignorance raisonnable, qui consiste à borner sa curiosité à l’étendue des facultés qu’on a reçues ; une ignorance modeste, qui naît d’un vif amour pour la vertu, et n’inspire qu’indifférence sur toutes les choses qui ne sont point dignes de remplir le cœur de l’homme, et qui ne contribuent point à la rendre meilleur […]. »[18]
Ulysse serait donc pour Dante un anti-modèle. Pourtant, d’un autre côté, il semble aussi l’admirer profondément : comme l’écrit Jean-Louis Poirier, le caractère « indéniablement sublime » des vers consacrés à Ulysse laisse deviner « une indéfinissable proximité, une incontestable sympathie de Dante à l’égard de ce damné »[19] et de sa soif de connaissance. En effet, dans son œuvre intitulée le Banquet, Dante reprend à son compte l’idée aristotélicienne du caractère naturel du désir de savoir : « Comme le dit le Philosophe au début de la Première Philosophie[20], écrit-il[21], tous les hommes désirent naturellement savoir. […] Parce que la science est l’ultime perfection de notre âme, en quoi réside notre ultime félicité, nous sommes tous par nature sujets à la désirer. » Dante se range donc ici non seulement du côté d’Aristote, mais aussi de Cicéron, qui affirme[22] :
« Nous avons, innée en nous, une telle passion d’apprendre et de savoir qu’on ne peut douter que la nature humaine n’y soit irrésistiblement entraînée et sans l’attrait d’aucun profit. »
Ou encore du côté de Francis Bacon, qui dénoncera quelques siècles plus tard[23] les funestes colonnes d’Hercule imposées aux sciences par l’excessive admiration donnée aux choses déjà inventées et qui constituent un fatal frein au progrès du savoir.
Au point qu’on en vient à se demander si Dante n’a pas puisé dans la figure d’Ulysse, ou plutôt dans l’invention de cette figure, l’audace et le courage de cette folle aventure littéraire et poétique qu’est La Divine Comédie : aventure non moins folle et dangereuse, en effet, que le « vol fou » d’Ulysse et de ses compagnons puisque Dante se permet d’y anticiper le Jugement dernier en décidant qui sont les damnés, n’hésite pas à juger et condamner certains papes en les accusant d’avoir prostitué l’Église et prétend raconter comment un simple mortel, lui-même, a pu descendre les cercles de l’Enfer, gravir le mont du Purgatoire et s’élever jusqu’au cercle ultime du Paradis. « Très souvent, écrit l’écrivain argentin Jorge Luis Borges dans son essai sur Le dernier voyage d’Ulysse[24], la rédaction de La Divine Comédie aura dû paraître [à Dante] non moins ardue, peut-être même non moins risquée et fatale que l’ultime voyage d’Ulysse. […] Dante a été Ulysse et il a pu redouter en quelque sorte le châtiment d’Ulysse. »
Pour conclure, je propose donc l’idée suivante : si l’Ulysse de Dante est pour Jankélévitch la figure de l’aventure et de la nostalgie véritables, s’il est pour Primo Levi la figure de la dignité humaine, il semble être pour Dante lui-même la figure ambivalente de l’absence de scrupule et de la vanité, certes, mais aussi de l’audace éblouissante à la source de laquelle toute grande création humaine doit nécessairement puiser.
[1] 8e fosse du 8e cercle.
2] Enfer, XXVI, 112-142.
[3] Cf. L’Aventure, l’Ennui, le Sérieux, Chapitre I, p. 187-198
[4] Notamment un résumé des Chants cypriens, épopée perdue qui ouvrait le Cycle troyen : cf. article Télémaque sur Wikipedia.
[5] L’irréversible et la nostalgie, p. 351 & 382.
[6] Enfer, XXVI, 94-100.
[7] L’irréversible et la nostalgie, p. 352.
[8] Ibid., p. 361-2.
[9] Ibid., p. 382-3.
[10] Cf. Jean Samuel, Il m’appelait Pikolo, Pocket.
[11] Le tourbillon « enfonça la proue, comme il plut à un Autre, jusqu’à ce que la mer fût refermée sur nous », écrit Dante.
[12] Entretien avec Daniella Amsallem du 15 juillet 1980 : cf. Daniela Amsallem, Mes deux rencontres avec Primo Levi, in Témoigner n° 119 (2014). Texte cité par Myriam Anissimov, Primo Levi ou la tragédie d’un optimiste, JC Lattès, 1996, p. 265. Cf. aussi l’intervention de Daniela Amsallem au Colloque « Primo Levi. L’homme, le témoin, l’écrivain » : 11 avril 2012.
[13] Avec Risa Sodi en 1987 : cf. Conversations et entretiens, p. 230-231.
[14] Enfer, XXXIII, 151.
15] Cf. Épîtres, XIII, 16 : « Le genre philosophique, auquel appartient le tout et la partie, est le comportement moral, c’est-à-dire l’éthique, car aussi bien le tout [La Divine Comédie] que la partie [Le Paradis] ont été conçus en vue non pas de la spéculation mais de l’action. »
[16] Cf. Pensées, Fragment 460 (éd. Sellier).
[17] Montaigne, Essais, Livre III, Chapitre XI & XII, p. 1030 & 1039.
[18] Observations de J.-J. Rousseau sur la Réponse à son Discours [Réponse à Stanislas], in op. cit., p. 54.
[19] Ne plus ultra, IV, 3, p. 255.
[20] Cf. Aristote, Métaphysique, Livre A, 980a22.
[21] Convivio, I, I.
22] De finibus, V, 18.
[23] Cf. le frontispice du Novum Organum et le texte de l’Instauratio magna cité par Poirier (Ne plus ultra, p. 213).
[24] Cf. Œuvres complètes, T. II, Pléiade, p. 843-4.