L’objet du grenier n°2 – L’Omphale de plâtre. Marie Perny. 19-04-22.

L’objet du grenier n°2 – L’Omphale de plâtre
Marie Perny

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Cette deuxième conférence que j’ai le plaisir de vous donner nous entraine de nouveau dans le grenier pédagogique de notre établissement, pour en dénicher les secrets et les curiosités qui le rendent à la fois singulier et représentatif de l’histoire de l’éducation, et plus précisément celle des filles.
S’il n’y avait pas eu la première conférence sur l’équilibriste et les objets scientifiques de la fin du XIXe siècle, j’aurais été obligée de vous rappeler que notre lycée ouvre en 1884, que c’est alors le premier lycée public pour filles de Toulouse et qu’il suit l’application de la loi de 1880 qui crée les tout premiers lycées publics pour filles en France. J’aurais également du expliquer que l’enseignement secondaire n’était pas la continuité de l’enseignement primaire et que l’un et l’autre formaient deux mondes séparés : le primaire était l’école des classes populaires et des masses et concernait des élèves jusqu’à l’âge de 16 ans tandis que le secondaire était l’école de la bourgeoisie, que seuls 5% d’une classe d’âge allait au lycée au XIXe siècle et jusque dans les années 1930.
Peut-être vous est-il arrivé de faire cette expérience alors que vous gravissiez ou descendiez l’escalier d’honneur de l’hôtel Dubarry : éprouver la sensation d’y être observé silencieusement. Pas étonnant, vu le nombre de fantômes qui ont du y élire résidence au fil des siècles. Mais en regardant autour de soi, on peut remarquer sur un piano d’ornement, silencieux depuis longtemps, un buste au regard oblique (figure 1).
Examinons tout d’abord l’objet qui a, il faut le dire, assez belle allure. A première vue il s’agirait d’un buste, que l’on pourrait penser en marbre. La pose est altière, le profil grec, l’ensemble est assez noble. Si l’on s’approche davantage, deux détails intriguent : la trace d’un mufle de lion et de deux crocs sur la tête du personnage. Aurions-nous affaire à une représentation d’Hercule ? Mais une inscription sur le socle nous indique trois éléments : 1349 – Omphale – Musée de Berlin (figure 2).


Trois indications qui sont autant d’énigmes : à quoi correspond ce numéro ? Sans doute à un numéro d’inventaire, mais de quoi ? Musée de Berlin : c’est le signe que nous sommes face à une copie d’un original, situé dans un musée de Berlin – soit, mais lequel ? Omphale ? Omphale était une reine de Lydie chez qui Héraclès – ou Hercule – a du passer quelques temps à la demande d’Apollon pour expier un crime. Subjugué par elle, il est son esclave et se soumet à tous ses désirs, jusqu’à lui donner la peau du lion de Némée et sa massue, emblème de sa force. L’auteur latin Lucien de Samostate écrit : « Tandis qu’Omphale, couverte de la peau du lion de Némée, tenait la massue, Héraclès, habillé en femme, vêtu d’une robe de pourpre, travaillait à des ouvrages de laine, et souffrait qu’Omphale lui donnât quelquefois de petits soufflets avec sa pantoufle ».
C’est donc une histoire d’inversion des genres et des relations entre homme et femme, de subversion des normes établies entre les genres, qui a pu faire frémir dans la tragédie grecque de Sophocle Les Trachéniennes ou faire rire les Romains du premier siècle à la lecture d’Ovide. Pensez donc, le grand héros Hercule, filant la laine…
L’irruption de cette Hercule au féminin dans notre lycée m’a ravie. En effet, l’ouverture des lycées publiques pour filles à partir de 1880  a entraîné toute une série de réactions manifestant les craintes de voir la place traditionnelle des femmes bouleversée et avec elle, la société toute entière.
Ainsi, un journal conservateur toulousain écrivait en janvier 1884 qu’il « est à craindre (…) qu’il ne sorte de ces lycées, sans parler d’une catégorie nouvelle d’insupportables pédantes (…), tout un clan de libres penseuses et aussi (…) de libres non-penseuses » alors qu’un journal satyrique parisien dessinait en août 1884 le produit à venir de ces lycées sous la forme d’une femme au comportement masculin délaissant sa machine à coudre (figure 3)





J’y ai vu comme un clin d’oeil de l’histoire : cette Omphale, présente dans les registres du mobilier du lycée depuis 1884, rappelait qu’elle avait su dompter le grand Hercule, de même que les lycées de filles ont su s’imposer définitivement dans le système éducatif secondaire français.
Mais l’objet conservait sa part de mystère. Et d’abord, de quel objet parle-t-on ? D’une copie d’un original inconnu. Et cette copie est en plâtre. Et ce n’est pas un buste, mais un masque. Notre Omphale sonnait donc creux et pourtant elle restait à démasquer.
Afin d’élucider son mystère, rassemblons tous les indices à notre disposition.
Notre Omphale fait partie de toute une collection de modèles en plâtre : d’autres qui lui ressemblent sont tapis ici et là dans le lycée, essentiellement en Dubarry à l’exception d’un qui est au CDI.
Nous disposons aussi du contenu des registres d’inventaires du mobilier utilitaire et pédagogique du lycée à son ouverture et pendant les deux premières décennies de son développement.
Enfin, nous conservons trois beaux registres contenant des travaux d’élèves : une centaine de dessins datant de 1909 (rassemblés pour les 25 ans du lycée) et deux autres de 1924, pour l’anniversaire des quarante ans de l’établissement.
A partir de ces éléments, menons l’enquête à la découverte de l’enseignement du dessin dans un lycée de la fin du XIXe et au début du XXe siècle, car il s’agit bien d’un objet pédagogique que cette Omphale de plâtre.

1. La collection des modèles de plâtre du lycée :
Notre modèle fait partie d’une collection dont quelques rares spécimens sont encore conservés au lycée : neufs moulages de plâtre, de tailles variables, sur des époques et des sujets différents, qui décorent les salles de l’hôtel Dubarry et le comptoir de prêt du CDI (figure 4).

La consultation de l’inventaire du mobilier pédagogique des vingt premières années du lycée permet d’établir que la collection complète comptait 126 modèles en plâtre. Parmi ceux-là, deux seulement font partie de ceux qui ont été conservés. Les sept autres ont du être acquis après 1900, ce qui laisse supposer qu’il y avait plus de 130 modèles en tout au moment où la collection était à son plein épanouissement.
Par ailleurs, notre lycée s’est installé dans les locaux d’une ancienne pension privée, rachetée par la municipalité de Toulouse en 1882 : les locaux et le mobilier sont achetés ensemble. Parmi ce mobilier, il est mentionné 60 modèles de plâtre pour le dessin, sans que l’on sache lesquels. Notre collection est donc assez hétéroclite.
Aucun des plâtres dont nous disposons ne possède d’estampille de l’atelier qui l’a réalisé. Les inventaires ne mentionnent pas le nom du fournisseur.
Le numéro indiqué sur le socle de notre Omphale renvoie au catalogue de l’atelier des moulages de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, fournisseur officiel de tous les établissements scolaires de France. Cet atelier avait le droit de reproduire quelques pièces de musées européens (notamment anglais, allemands et italiens) : notre objet en est la manifestation.
Il y a eu à la fin du XIXe siècle une dotation nationale et centralisée de modèles de plâtre, pour uniformiser les pratiques du dessin dans les établissements scolaires, nous y reviendrons.

2. L’enseignement du dessin : une discipline du tronc commun des lycéennes.
Le dessin est rendu obligatoire dans l’enseignement primaire et secondaire au moment où se constitue l’école républicaine au tournant des années 1880 sous la IIIe République.
Le dessin a néanmoins été l’objet de nombreux débats dans l’enseignement depuis la fin du XVIIIe siècle et ses objectifs ont été précisés pendant le Second Empire, en lien direct avec l’industrialisation : ainsi le ministre Victor Duruy a pu écrire en 1865 que « le dessin était l’écriture de l’industrie ».
D’un point de vue pédagogique, les instructions officielles insistent sur l’exercice d’observation et de précision de l’oeil et de la main que le dessin représente, ainsi que le goût du travail précis et bien fait qu’il encourage. Comme dans beaucoup d’autres domaines touchant l’école, c’est une prise en compte complète de tous les aspects de l’enseignement du dessin qui est réalisée par la IIIe République : les méthodes d’enseignements, les cursus par types de classes et d’établissement, le mobilier, l’aménagement des classes, les supports pédagogiques, mais aussi la formation des enseignants et la mise en place d’un corps d’inspecteurs. L’enseignement du dessin devient donc une « affaire d’Etat » (cf article de R. d’Enfert).
Le dessin est obligatoire au lycée, tant pour les garçons que pour les filles. Pour ces dernières, il est dans le tronc commun pendant les trois premières années du cursus (qui en compte 5) et devient facultatif pour les deux dernières années d’études. Il est évalué à l’examen du certificat d’études secondaires, qui est passé à la fin de la 3e année, parmi 12 matières.
La IIIe république harmonise la formation et le recrutement des professeurs de dessin, qui sont reconnus par un certificat d’aptitude à l’enseignement, contrôlé par le Ministère. Ils sont rémunérés par l’Etat et non sur les moyens des établissements comme c’était le cas auparavant.
Au lycée de filles de Toulouse, il n’y a pas de professeur permanent entre 1884 et 1893, mais un ou deux professeurs extérieurs à l’établissement, dont M. Maurette, professeur aux Beaux-Arts de Toulouse.
A partir de 1893, une professeure titulaire est nommée : c’est une débutante, elle s’appelle Mademoiselle J. Lapasset, et va faire toute sa carrière dans ce lycée jusqu’à sa retraite en 1934. M. Maurette continue à donner quelques heures jusqu’en 1898 et une deuxième professeure de dessin, Mlle M. Sauvagnat, est nommée en 1906 (elle reste elle aussi jusqu’à sa retraite en 1938). L’enseignement du dessin est donc assuré pendant 40 ans par un personnel très stable, deux professeurs, pour un effectif allant de 500 à 1000 élèves sur la période.
De même qu’il existait des salles d’enseignement des sciences et d’enseignement de la musique, l’enseignement du dessin dispose d’une salle de classe spécifique.
Des consignes officielles précises sont données pour les aménager. Au lycée de Toulouse, la question des bâtiments a été pendant longtemps problématique : il s’est développé dans des locaux pré-existants et a été l’objet de constants remaniements, effectués toujours dans l’urgence de répondre au nombre sans cesse croissant des élèves face à l’exiguïté des lieux. Plusieurs grands projets d’envergure ont été conçus pour bâtir un lycée neuf et spacieux, mais les deux guerres mondiales y ont mis à chaque fois un coup d’arrêt, avant les travaux décisifs des années 1950 et 1960.
Sur les plans, difficile de trouver la salle de dessin qui n’est jamais indiquée en tant que tel.
Un registre du mobilier des dix premières années du lycée fait l’inventaire de la salle de dessin : 80 grands tabourets et 80 petits (adaptés aux élèves), seulement 5 tables de dessins, plusieurs planches murales anatomiques et représentant des dessins. Le lycée a également récupéré des chevalets et 6 portes-modèles de la pension privée qui occupait avant les locaux.
Si nous ne disposons pas de photographies de la salle de dessin à une quelconque époque, du moins pas à ma connaissance, nous en avons des… dessins réalisés par les élèves, issus des registres de 1924 (figure 5).

La salle était vraisemblablement à l’étage donnant sur la rue (Gramat ou Gatien-Arnoult ?), des rideaux aux fenêtres permettaient de choisir et de canaliser la source de lumière qui allait sur le modèle de plâtre installé en hauteur sur une tablette murale. Les élèves devaient être disposées tout autour pour le dessiner sous un angle précis.

Cet aperçu est conforme avec les photographies d’autres établissements scolaires qui existent (figure 6).
Par ailleurs ce dessin permet d’appréhender deux méthodes d’enseignement.Il représente un modèle de plâtre et un modèle « vivant » (un bouquet de fleurs fraîchement coupées), le tout dans une scène d’intérieur représentée en couleur. On voit ici autour d’un même objet la méthode dite géométrique et celle dite intuitive, deux méthodes dont il va être question.

3. La pédagogie du dessin : dessin géométrique et d’imitation face à la méthode intuitive

L’apprentissage du dessin comme celui d’une langue et d’une science :

Dès le Second Empire et particulièrement dans la mise en œuvre de l’école républicaine, il a fallu construire le dessin en tant que discipline d’enseignement pleine et entière, sérieuse et légitime, avec ses règles, sa langue et une progression encadrée.
Dans l’ouvrage fondamental autant que passionnant qu’est le Dictionnaire de Pédagogie dirigé par Ferdinand Buisson entre 1879 et 1887, l’article « Dessin » comporte 60 colonnes de textes (contre 35 pour l’article « Lecture »), signe du soin porté à la question. L’un des deux auteurs de l’article, Eugène Guillaume, directeur des Beaux-Arts de Paris et inspecteur général de dessin à la tête des 17 inspecteurs nommés en 1879, combat avec force l’idée selon laquelle le dessin ne relèverait que du sentiment et défend une pratique scientifique et exacte, qui exclurait les approximations.
Un cadre institutionnel uniformisé est alors déroulé par les programmes scolaires, avec le détail des méthodes et des modèles à copier. Une collection officielle est attribuée à chaque établissement scolaire, avec essentiellement des modèles en relief venant des ateliers de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Ces dotations de tous les établissements représentent un investissement important de l’Etat. Les lycées sont ceux qui reçoivent les collections les plus fournies.
Les modèles sont répartis par niveau et associés à une progression allant des formes les plus simples aux plus complexes : sont abordés successivement les formes géométriques, les frises et rosaces, les éléments du corps humains, puis les figures les plus complexes animales et humaines, jusqu’aux figures entières (figure 7).

Notre Omphale figure au programme de la 3e année du lycée du cursus des filles. Il faut noter que la collection du lycée dispose de quasiment tous les modèles préconisés : sa collection est donc très représentative des pratiques et des instructions officielles.
A partir de ces modèles, il s’agit d’apprendre et d’expérimenter la géométrie plane puis la perspective. Par la suite, les élèves apprennent progressivement à ajouter les ombres et les lumières pour travailler les effets de relief : c’est ce qui s’appelle dessiner d’après la bosse.

Quelles finalités à l’enseignement du dessin ?

Au même titre que les autres disciplines dans un lycée de filles, mais plus généralement dans un lycée à une époque où seule la bourgeoisie y avait accès, l’enseignement du dessin a une double finalité.
Une finalité utilitaire : développer des compétences techniques qui pourront servir à l’exercice éventuel d’un métier. Le dessin technique peut servir de base à des commandes industrielles, comme en atteste la réalisation de frises et d’objets ornés (motifs de tapisseries, de décoration d’objets). Ce sont des arts décoratifs et appliqués (figure 8).

Une finalité d’agrément et de construction du bon goût : le dessin permet d’avoir un jugement esthétique sûr et d’avoir reçu les mêmes leçons que les garçons du même milieu social. Les modèles sont pour une majorité issus de la période antique, et notamment grecque, posée comme pilier du bon goût et référence indépassable des Beaux-Arts. Il est à souligner que jusqu’en 1911, les femmes ne pouvaient pas fréquenter les ateliers des Beaux-Arts pour y apprendre à dessiner. L’apprentissage du dessin à l’école et notamment dans les lycées à partir de modèles souvent similaires à ceux des Beaux-Arts a ainsi permis de développer institutionnellement cette pratique et tout ce qu’elle suppose auprès d’un plus vaste public.

La collection des moulages : un musée scolaire ?

On pourrait penser que le Louvre s’est dupliqué dans les établissements scolaires par l’envoi de ces collections élémentaires, augmentées selon les volontés locales. Pourtant, ces plâtres n’avaient pas d’autres vocations que de servir à exercer l’oeil et la précision du geste des apprentis dessinateurs. Ils n’ont pas servi à des supports de cours d’Histoire ou d’Histoire des Arts, du moins pas avant le tournant de 1909.
C’est là la grande différence avec les musées universitaires qui se constituent à la même époque avec les mêmes moulages. Les universités possèdent de vastes collections de moulages intégrés aux locaux des universités complètement rénovées des années 1880. Ces collections servaient de supports à l’étude de l’archéologie à la fin du XIXe siècle, au moment où l’archéologie se structurait en discipline scientifique, notamment dans les facultés de Bordeaux, Lyon et Montpellier.
A Toulouse, un musée universitaire assez riche se déploie dans les bâtiments de la faculté des Lettres, rue Lautman, puis rue du Taur, dans au moins trois pièces (figure 9).

Sur une photo de 1910, on voit le bas-relief issu du temple d’Athéna Victorieuse, sur l’acropole d’Athènes, que notre lycée possède aussi et qui est toujours dans la salle des conseils en Dubarry. Ce moulage servait d’objet d’études historiques et archéologique à la faculté et de support de dessin dans un lycée.
Pendant la Première Guerre mondiale, les activités pédagogiques du lycée doivent laisser les locaux à un hôpital militaire. Les élèves sont réparties dans les locaux de la faculté de Lettres voisine : peut-être ont-elles découvert le musée des moulages universitaires et ont-elles enrichi leurs supports de dessins.

Contre la « dictature des plâtres », la réforme de 1909 et la méthode intuitive.

A partir de 1909, les programmes remettent drastiquement en cause les méthodes jusque là imposées. Ce n’est que l’affirmation d’un des courants qui animent le débat sur la question de l’enseignement du dessin depuis le début du XXe siècle, alors qu’une nouvelle génération d’enseignants arrive dans les établissements et où le monde immuable du lycée connaît des aspirations générales à une réforme en profondeur dans l’organisation des enseignements.
Lors d’un congrès de professeurs de dessin en 1900, un orateur tonne contre « la dictature des plâtres » et déplore la sécheresse de l’enseignement dispensé, qui écoeure les enfants au lieu d’en élever les aptitudes. Une sorte de querelles des Anciens et des Modernes autour des plâtres.
Les instructions demandent alors davantage de spontanéité dans l’apprentissage du dessin en utilisant des modèles issus du quotidien ou encore de l’imagination. On voit ici qu’au-delà du dessin, ce sont certainement des conceptions très différentes de la pédagogie qui s’entrechoquent dans ces successions d’instructions officielles.
Le registre des dessins de 1924 du lycée de filles de Toulouse montre qu’une synthèse entre les deux méthodes s’effectue.
Il contient toujours des dessins géométriques, selon la méthode progressive et adaptées à chaque classe, réalisés au fusain et d’après modèles de plâtre (figure 10).

Mais on y trouve aussi beaucoup de fleurs d’après modèle vivant, comme sur des planches naturalistes. Il est tentant d’imaginer que ce sont les fleurs du parc du lycée qui ont servi de modèle (figure 11)


On remarque aussi l’apparition de la couleur, que ce soit des pastels, de l’encre, de la gouache ou des aquarelles.

Conclusion :

Et notre Omphale ? A-t-elle été dessinée en 1909 ou en 1924 ? Hélas non. Et qu’elle est donc son original ?
Après avoir procédé à quelques recherches infructueuses dans divers catalogues, j’ai sollicité une amie spécialiste en histoire romaine qui elle-même a sollicité une de ses connaissances spécialistes en histoire grecque: rien, cette Omphale n’était pas connue et ne figurait dans aucun catalogue de sculpture antique européen, et notamment allemand. L’original aurait-il été détruit pendant la Seconde Guerre mondiale ? Pendant la guerre froide ? C’était peu probable.
Alors j’ai contacté les conservatrices des musées de plâtres universitaires de Montpellier, Lyon et Bordeaux. L’une m’a mise en relation avec la conservatrice du département des moulages du Louvre. Aucune ne connaissait cette Omphale. Enfin, une docteure en histoire de l’art, auteure d’une thèse sur les musées universitaires de plâtres, à qui cette Omphale ne disait rien malgré les 5000 références répertoriées dans son travail m’a suggéré de poursuivre mon enquête auprès des conservateurs allemands.

(Je remercie chaleureusement Sarah Rey, maître de conférence à l’Université de Valencienne ; Marion Lagrange, Alexia Seguin, Lina Roy, des gypsothèques universitaires de Bordeaux, Montpellier et Lyon ; Elisabeth Le Breton, conservatrice au département des Antiquités du Musée du Louvre ; Soline Morinière, docteure en histoire de l’Art, spécialiste de l’histoire des collections de tirages en plâtre universitaires).

Quelques mots-clefs tapés en allemand sur un moteur de recherche m’ont conduit sur la page de l’actuel atelier des moulages des musées berlinois qui propose toujours à la vente des copies de la fameuse Omphale, mais cette fois des pieds à la tête, peau de lion et massue incluses. Par la même occasion, on apprenait enfin la provenance de la statue originale : loin d’être une œuvre antique, il s’agissait d’une sculpture de plâtre réalisée entre 1825 et 1827, par le sculpteur Friedrich Tieck, pour l’épouse de Wilhelm von Humboldt, Caroline, qui avait réalisé dans leur résidence de Schloss Tegel à Berlin un musée des antiques, fait de pièces originales, de moulages et de sculptures contemporaines dans un style antique et classique (figure 12).

Notre Omphale de plâtre est donc la réplique d’une Omphale de plâtre. La copie d’une rêverie antique. Que cette obscure sculpture décorative ait été sélectionnée par les ateliers berlinois, puis par ceux du Louvre, puis par le Ministère de l’Instruction publique appartient certainement à une chaîne de hasard, guidée par la recherche de lignes claires et pleines, idéalement antique et pédagogique.
Que cette Omphale de plâtre qui n’a jamais été en marbre et qui feint d’être antique se retrouve dans l’hôtel Dubarry n’est finalement pas étonnant : le lieu est chargé d’étrangeté, d’hétéroclite et de trompe-l’oeil.
Mais dans ce jeu d’illusion, une certitude : cette Omphale a été vue, observée, scrutée, dessinée, puis quasiment oubliée, sans pour autant que son mystère soit dévoilé. Encore n’a-t-elle pas disparue comme la plupart de ses camarades de collection.
Un rapport d’inspection de 1964 (cité par R. d’Enfert) relatait que « le souvenir des exercices interminables et fastidieux, les exigences excessives ont créé contre le plâtre une disgrâce générale ». Il est temps de lever cet état de disgrâce et de porter un œil attentif quoiqu’amusé sur ces plâtres qui en ont beaucoup essuyés. Comme la plupart des objets de notre grenier, ils ne demandent qu’à témoigner.

Bibliographie indicative :

Sur les objets en tant que sources et sur l’histoire de l’éducation :
On renvoie aux ressources bibliographiques de la Midi-Conférence sur l’objet du grenier n°1.

Sur l’histoire de l’enseignement du dessin dans le système scolaire public :
D. Poulot, J.-M. Pire, A. Bonnet (dir.), L’Education artistique en France. Du modèle académique et scolaire aux pratiques actuelles, XVIIIe-XIXe siècles, Presses universitaires de Rennes, 2010.
Alain Bonnet, « L’introduction du dessin dans le système public d’enseignement au XIXe siècle », p. 263.
Renaud d’Enfert, « L’enseignement du dessin au XIXe siècle : une affaire d’Etat ? », p. 285.

Sur l’histoire du lycée Saint-Sernin :

Le livret interactif :