
par
Clémence Alméras
Juliette Armantier
Adeline Boulard
Alexandre Bron
Eléa Brossier
Coralie Charles-Casini
Léa Cocagne
Claire Coustet-Larroque
Marion Dumas
Léo Gilles
François Hortal
Maxime Julien
Romane Périssé
Anthony Raynal
Pauline Sarrazy
Ninon Senac
Tsakaieva Leïla
A … AMITIE
B …BIBLIOTHEQUE
C …CHANT
D …DESTRUCTION
E …EXPERIENCE
F …FANTÔME
G …GENERIQUE
H …HISTOIRE
I …INCONSCIENT
J …JE/JEU
K …KALEÏDOSCOPE
L …LABYRINTHE
M …MUSE
N …NOYADE
O …ORPHEE
P …PINCEAU
Q …QUAND ?
R … REPETITION
S … SCENE
T …TRAVELLING
U …UNION
V …VEGETATION
W …WAGON
X … X INCONNU
Y …YEUX
Z …ZOOLOGIE
A… amitié
Si Alain Resnais est le cinéaste que l’on connaît aujourd’hui, c’est grâce à l’amitié qu’il a emprunté cette voie sous l’impulsion de son amie monteuse Myriam Bosoutzky qui le pousse à s’inscrire à l’Institut Des Hautes Études Cinématographiques (IDHEC). L’amitié sera tout le long de son œuvre un moteur et une ligne directrice à suivre, étant le plus souvent à l’origine de ses nombreux projets.
Tournage de Mon oncle d’Amérique
Tournage de L’Année dernière à Marienbad
Alain Resnais et son atelier
C’est à l’image des films du réalisateur de L’Année dernière à Marienbad qui prennent souvent l’allure d’une chimère constituée de fragments de réalité que Sabine Azéma, sa femme et muse, décrit l’équipe qui entoure Alain Resnais : « C’est comme un puzzle, un puzzle dont tous les morceaux autour de la personnalité de Resnais auraient trouvé leur place ». On remarque en effet que tout au long de son œuvre, des collaborateurs sont venus se joindre à Resnais pour ne plus jamais en partir, aboutissant à la création d’une véritable compagnie ou plutôt d’un « atelier » comme se plaît à l’appeler François Thomas. Ainsi, Sacha Vierney a régulièrement accompagné le réalisateur derrière la caméra depuis Nuit et Brouillard (1956) ; de même, Hiroshima mon amour a scellé le lien entre le metteur en scène et ses petites mains sur le plateau : Sylvette Baudrot et Jean Léon respectivement scripte et assistant réalisateur. Les célèbres décors dans lesquels se meuvent les personnages resnaisiens sont depuis 1961 l’œuvre de Jacques Saulnier, enfin Albert Jurgenson s’occupe de la dernière écriture de ces films réputés atypiques dans leurs mise en forme à partir de 1968 où il fait ses armes sur Je t’aime, je t’aime. Ce sont ses têtes d’affiches qui donne à l’œuvre d’Alain Resnais une dimension de troupe qu’il retrouve d’un film à l’autre comme une bande d’amis qu’il n’a pas l’occasion de revoir entre deux tournages. Pierre Arditi se confie à ce propos à François Thomas en ces termes : « Du travail sont nées des complicités qu’elles soient humaines ou professionnelles et je ne peux pas détacher l’une de l’autre […] il y a une espèce de rencontre qui s’est liée entre nous cinq [Azéma, Ardant, Dussolier, Arditi et Resnais] ». C’est dans cette optique, que le réalisateur, lui-même ancien membre d’une troupe de théâtre, écrit des rôles pour des comédiens en particulier, comme c’est le cas de Dick Bogarde qui signe pour Providence alors qu’aucun scénario n’est encore écrit. L’acteur américain affirme : « Alain Resnais ne travaille pas avec nous mais pour nous ». Jorge Semprun dans L’Atelier d’Alain Resnais décrit Resnais comme une sorte de chef d’orchestre qui harmonise les talents et avance que ce qui encourage le réalisateur à mettre en scène Stavisky, c’est de faire un film avec Jean-Paul Belmondo et Charles Boyer sur la musique de Stephen Sondheim. La vie est un roman est une métaphore filée d’une production à plusieurs dont les personnages de Michel Forbek, George Leroux ou encore Elizabeth Rousseau sont les avatars du metteur en scène. En effet, ils essaient respectivement de réunir un groupe de personnes autour d’une expérience, d’un colloque ou d’un projet pédagogique.
Un univers de l’enfance fédérateur
C’est lorsqu’il rend visite à son grand-père parisien qu’Alain Resnais se familiarise avec les comédies musicales aussi bien françaises qu’américaines et qu’il développe un goût pour les écrits de l’École surréaliste, il devient ainsi un fervent admirateur d’André Breton. Le futur réalisateur de On connaît la chanson est adhérent du ciné-club de la Maison des Lettres à Paris où il rencontre Christian François Bouche-Villeneuve, plus connu sous le pseudonyme de Chris Marker. Ce dernier est chargé de l’atelier théâtre, discipline qu’affectionne Resnais dans sa jeunesse qui veut devenir acteur. En plus du théâtre, les deux hommes partagent la passion de la Bande-Dessinée. Jean-Luc Douin rapporte ces propos d’Alain Resnais : « Il est sympa ce mec […] même que comme moi, il trouvait follement séduisante la trop perfide Dragon Lady ». C’est le début d’une longue amitié qui connaîtra quelques collaborations dont la plus célèbre est Les statues meurent aussi sorti en 1953. Ils sont rejoints par d’autres individus partageant ce même goût du fantasque, si bien que d’après Dominic Marchais, ils forment une société secrète de canulars avec ses codes ses rituels. L’imaginaire fantaisiste qui parsème la filmographie du réalisateur est à nouveau mise en évidence par le scénariste Jean Gruault à propose de Mon Oncle d’Amérique : « Notre Histoire de tête de rat c’est notre goût pour le cinéma fantastique un peu mal foutu des années cinquantes. Car nous aimons beaucoup les monstres Resnais et moi : Famous monsters, Monsters’Parade, il est abonné à toutes ces revues là. » Il y a une dimension générationnelle qui recouvre l’œuvre resnaisienne comme en témoigne ce portrait « frenchouillard » d’après l’expression du réalisteur, que dresse ce dernier film. Le scénariste dans son entretien avec François Thomas dit : « Resnais et moi sommes de la même génération donc il m’est plus facile de dialoguer sur ce fond culturel qu’avec par exemple Truffaut qui était plus jeune […] Quant à Roger Pierre [Jean le Gall dans Mon oncle d’Amérique], ce sont des éléments pris à nos propres biographies. C’est au fond ce que nous aurions été Resnais et moi si nous avions été de bons élèves ». Agnès Varda dans un hommage rendu à Resnais à sa mort en 2014 évoque le trio qu’ils formaient avec Chris Marker : « Nous étions tous les trois complices d’une certaine idée de cinéma ».
Une écriture à plusieurs mains
Si Resnais entretien une fidélité rare avec son équipe, il y a cependant une certaine mobilité autours de ceux que le réalisateur appelle les « auteurs » de ses films : les scénaristes, même si Jean Gruault est omniprésent. En effet, Resnais prône le renouvellement pour éviter la sclérose dans son travail. Resnais réalise un film pour connaître la réaction de l’écrivain devant le résultat final, c’est le défi que Resnais se lance à chacun de ses travaux, et c’est à travers cette épreuve qu’il jauge la validité de l’œuvre. Il s’exprime par ailleurs quant au choix de ses collaborateurs pour l’écriture du scénario dans la revue Cinéma 63 n°80 « Mais il se trouve que je ne peux travailler qu’avec des amis, des gens avec qui je m’entends bien. Et je suis persuadé que la lecture de certaines œuvres peut remplacer dix ans d’amitié. Mon choix n’est donc pas un choix « littéraire » pour la littérature mais un choix de gens avec qui j’ai établi par la lecture des rapports de sympathie »
De plus, l’écriture du projet ne se fait pas sans la troupe, comme en témoigne Pierre Arditi et son investissement sur le scénario de L’Amour à mort : « Nous avons fait deux ou trois séances ensemble et nous avons fixé une version définitive ». Un film d’Alain Resnais s’écrit donc à plusieurs mains car Selon Sabine Azéma « [ils] se retrouve[nt] tous autour de mes rêves, des mêmes désirs, [ils] parle[nt] la même langue »
Analyse : Un cinéma de la rencontre
Le Chant du Styrène (1958) A l’instar de Mon Oncle d’Amérique dans lequel la fiction se mélange aux thèses de Laborit qui lorsqu’on l’enregistre n’a pas vu le film tourné, Le Chant du Styrène est déjà entièrement monté et tourné quand Queneau rejoint le projet. Il y a donc une dialectique qui se créée entre les deux hommes, entre la littérature et le cinéma, entre le visuel et le verbal. En effet, image et son fonctionnent indépendamment sur des registres différents. L’ironie que revêt le court-métrage naît de la dynamique de cette association qui accouche d’un décalage entre ce qui est vu et ce qui est entendu. |
B…BIBLIOTHEQUE
« Qui sait si ces feuilles ne recèlent pas quelque autre texte révélateur qui témoignera le plus sûrement de notre civilisation », voilà ce qu’affirme Resnais à travers la voix de Jacques Dumesnil dans Toute la mémoire du monde. La littérature a toujours été importante dans le cinéma de Resnais et sa conservation encore plus. Il voit dans cet art, ainsi que dans le cinéma, un moyen de conserver toute la mémoire du monde.
Toute la mémoire du monde Les statues meurent aussi Je t’aime Je t’aime
Littérature, auteurs et scénario
Resnais considère le cinéma comme un art collectif et que par conséquent chaque personne y a son rôle. Ainsi, il est très important pour lui que le scénario soit écrit pour son film, il fait donc très peu d’adaptations et choisit toujours des écrivains pour faire les scénarios de ses films. Resnais est un cinéaste qui a travaillé avec beaucoup d’auteurs connus : Jean Cayrol pour Nuit et Brouillard et Muriel, Raymond Queneau pour Le chant du Styrène, Paul Eluard pour Guernica, Alain Robbe-Grillet pour L’année dernière à Marienbad, Jacques Sternberg pour Je t’aime, je t’aime et surtout Marguerite Duras pour Hiroshima Mon Amour.
Les personnages resnaisiens sont également férus de lecture : des magazines que feuilletent Hélène dans Muriel aux romans qu’Emmanuelle Riva regarde dans la bibliothèque d’Hiroshima Mon amour. Chez Resnais, on croise beaucoup d’écrivains : de roman dans Je t’aime, je t’aime, de lettres dans Les herbes folles, de thèses dans On connaît la chanson. La littérature peut être au centre de l’action comme dans le documentaire Toute la mémoire du monde et le livre y devient même un personnage que l’on suit de sa publication à son rangement dans la Bibliothèque Nationale Française. Enfin, on retrouve le texte écrit sous toutes ses formes : sur des pancartes dans Hiroshima Mon Amour, en chanson dans Pas sur la bouche et les autres films musicaux et surtout en dessin dans I want to go home.
La bande dessinée, l’empreinte de la modernité
La bande dessinée a toujours fascinée Resnais, et elle est à la fois cachée et omniprésente dans toute sa filmographie. Elle se rapproche en quelque sorte du cinéma car elle traduit cette idée de mouvement avec l’écriture-parole mêlée à l’image. Dans Mon oncle d’Amérique, on retrouve une séquence où le petit garçon lit des bandes dessinées en cachette. Cette scène fait référence à l’enfance de Resnais, notamment avec cette narration « Je préférai les romans d’aventure que j’allais lire dans un arbre. » Il aurait même confié à Enki Bilal : « Quand je suis fatigué, je lis un roman ; quand je suis en pleine forme, je lis une bande dessinée. » Dans Toute la mémoire du monde, Resnais filme des revues de comics archivées dans la Bibliothèque et les associe à des témoignages de notre civilisation. Il porte donc la bande dessinée sur un piédestal, et en vient même à l’inclure dans ses films, comme on peut le voir dans I want to go home avec des petites bulles de bande dessinées qui apparaissent à l’écran pour conseiller les personnages. Il s’inspire aussi beaucoup de la BD notamment pour le personnage de L’année dernière à Marienbad qui joue aux cartes et qui est tiré d’un personnage de bande dessinée, le magicien Mandrake, mais également pour ses décors de films, dessinés par Enki Bilal dans La vie est un roman ou pour des passages introductifs avec les cartons dessinés par Floc’h dans Smoking No Smoking. Les affiches des films de Resnais sont également composées par des dessinateurs de Bandes dessinées : Enki Bilal pour Mon Oncle d’Amérique et la Vie est un roman, Floc’h pour Smoking, On connait la chanson et Pas sur la bouche et enfin Blurch pour Les herbes folles, Vous n’avez encore rien et Aimer, boire et chanter, dont il a aussi dessiné les inter-séquences.
De la bibliothèque au musée : la volonté de conserver la mémoire
La mémoire est au centre de la filmographie de Resnais, que ce soit par les souvenirs ou par la Pensée. Resnais est très attaché à la conservation des choses, notamment du savoir, des arts et même des souvenirs. Ainsi, dans sa filmographie d’avant 1968, chaque film est une sorte de « musée en lui tout seul ». Nuit et Brouillard se fait récit des camps de concentration et ainsi permet de garder en mémoire l’événement qu’il est, pour Resnais, dangereux d’oublier. Guernica fait également le récit d’un événement historique qu’il ne faut pas oublier car la mémoire de l’histoire guide les générations à venir. Dans Marienbad, Je t’aime Je t’aime et Muriel, ce n’est pas la mémoire de l’Histoire qui est remise en cause mais bien la mémoire des hommes, de la petite histoire comme le dit lui même Resnais. On peut sommairement dire que le passage de grande Histoire à la petite se fait par le passage du documentaire à la fiction et que le point de ralliement, c’est Hiroshima Mon amour. On passe donc de la bibliothèque comme mémoire du monde, au musée comme rappel d’une mémoire qui est sans arrêt niée. Ce « Tu n’as rien vu » évoque la nécessité d’un devoir de mémoire face au négationnisme qui apparaîtra après l’époque où Resnais réalise ses premiers court-métrages. Le musée, c’est la preuve de la mémoire, la preuve de l’existence du souvenir. Pour cette raison, on le retrouve dans Les statues meurent aussi et dans Hiroshima Mon Amour. On peut aussi noter que les bibliothèques et les livres sont pour Resnais des musées en eux-mêmes. Resnais parvient même à se moquer lui-même de cette volonté de mémoire exacerbée dans On connait la chanson avec le personnage d’Agnès Jaoui qui fait sa thèse sur « Les chevaliers paysans de l’an mil au lac de Paladru », simplement pour faire « parler les cons » comme elle rétorque au personnage de Jean-Pierre Bacri.
Toute la mémoire du monde : scène du cheminement du livre (9’00-13’00)
Dans cette séquence, on suit le parcours d’un livre intitulé Mars, qui est un livre qui n’a jamais existé puisqu’il a été créé pour le film. Le titre du livre, la photo de Lucia Bose en couverture, le dessin de chat à l’intérieur et la table des matières sont une accumulation de références au groupe d’amis de Resnais ayant participé au film : Agnès Varda, Chris Marker, Armand Gatti etc. |
- . . Chant
Resnais dit à propos de ses personnages : « Je les place là un peu comme le musicien plaque des accords » (Image et Son, février 1960)
L’Année dernière à Marienbad
On connaît la chanson
Muriel ou le temps d’un retour
Voix et voix off
Les courts-métrages de Resnais mettent en évidence une nouvelle forme filmique centrée sur la voix off. Dans un documentaire classique, le commentaire prend la forme d’une voix off incorporelle et anonyme qui incarne l’omniscience et l’objectivité. Cette voix qui assimile la représentation et le réel, nous donne à voir les images en les recouvrant d’un point de vue, et a pu être un outil de propagande dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, ou encore des guerres coloniales. Mais Resnais a su lui donner une autre forme en repensant son rapport à l’image et au spectateur, questionnant ainsi les limites de la représentation. Dans Nuit et Brouillard, le commentaire, à travers les images du camp, de l’organisation des bâtiments, explique avec un pragmatisme glaçant les fonctions mentales qui président à l’organisation du camp à travers les choses et les victimes. La voix dépasse l’horreur visible et révèle ce qui ne l’est pas. Le spectateur est ainsi dans l’esprit des bourreaux, poussé à imaginer ce qu’il ne voit pas, et directement confronté à une réalité qui n’est pas complètement abolie, une réalité que les photos d’archives, à l’époque déjà bien connues du public, ne suffisent pas à momifier et à mettre complètement à distance.
La voix off permet en outre un jeu entre rupture et continuité. Hiroshima mon amour est centré sur une voix off de femme, qui se détache sans cesse des images et nous fait voir le visible autrement : la représentation d’un monde anéanti prend la forme d’une rencontre entre des éléments dissemblables (deux villes, deux personnages, deux traumatismes…). De la même manière, dans Guernica, la voix de Maria Casarès énonce le commentaire poétique écrit par Paul Éluard, qui crée le lien entre des images disparates, de natures (tableaux, sculptures, coupures de journaux…) et de périodes différentes.
On notera aussi la tendance de Resnais à choisir des acteurs dont les accents et les modulations de la voix sont très musicales.
Chanson et musique
« C’est peut-être à cause de mon amour pour l’opéra que je considère que la musique est le prolongement de ce qu’indiquent la continuation des comédiens : quand je ne peux pas leur demander d’aller jusqu’au hurlement ou au sanglot, j’insère une phrase musicale ».
Resnais utilise le chant comme un moment émotionnel fort, sorte de communication collective. Dans On connaît la chanson, on reconnaît cette parole autre qui transcende le sentiment individuel.
Resnais écoute beaucoup de musique. Il exige la plupart du temps des compositions originales, et demande à ses musiciens de s’imprégner d’œuvres antérieures qu’il a déjà en tête (dans Marienbad, par exemple, il a souhaité que Francis Seyrig écoute beaucoup de Wagner et compose pour de l’orgue, au service d’un aspect religieux, mystérieux). La musique a un rôle majeur, tant dans ses fictions que dans ses documentaires, et ce pour susciter l’émotion du spectateur. Dans Muriel, la musique vocale de Hans Werner Henze, envoûtante et déstructurée, contribue au climat d’oppression et d’étrangeté, et annonce (surtout au générique de fin), le rapport avec l’art musical qui sera au centre de L’amour à mort. Cette impression d’étrangeté inquiétante, cette fois davantage orientée vers la science-fiction dystopique, se retrouve dans la « musique sidérale et triste » (Douin) de Je t’aime je t’aime. A l’inverse, Resnais a souhaité que la musique accompagnant les images difficiles de Nuit et brouillard soit légère : « (…) plus l’image est violente plus la musique est légère. Eisler voulait montrer que l’optimisme et l’espérance de l’homme existaient toujours en arrière-plan ». Avec Hiroshima, il va plus loin : deux histoires parallèles, deux époques, à chaque fois une lumière et une musique différente. L’asynchronisme du son et de l’image et ce jeu de thèmes musicaux récurrents, qui se mêlent aux échos et répétitions du texte de Duras, touchent à la structure-même du film.
Structures musicales
« Je ne peux pas percevoir l’architecture globale d’un film sans la musique ; sans elle, le film serait émotionnellement incompréhensible ». De la conception des films au montage, la syntaxe, l’architecture du cinéma resnaisien se rapproche de structures musicales ; il part d’idées, de thèmes principaux, qu’il reprend, déplace, tissant autour d’eux des réseaux de variations. Il part de la musique pour concevoir le rythme du film : « Toute la mémoire du monde est partie de quelques mesures d’une opérette de Kurt Weill, Lady in the dark : cela a donné, séparés par des plans très brefs, de longs travellings, de grands mouvements qui correspondent aussi bien au baroque architectural de la Bibliothèque Nationale qu’à la mesure de Kurt Weill ». L’Amour à mort suit un rythme incantatoire, Resnais a souvent parlé de L’Année dernière à Marienbad comme d’une comédie musicale sans chansons, il aurait voulu que Le Chant du Styrène soit chanté, etc. « Nimbée des modulations chantantes de Delphine Seyrig, Muriel est une fugue, La vie est un roman un opéra (…), Mon Oncle d’Amérique un opéra-bouffe, Providence un quintette, Mélo une sonate » (Jean-luc Douin, Alain Resnais). Au niveau du montage, Resnais conçoit la pellicule comme une partition : « on colle la pellicule comme on compose. Je veux que la piste sonore soit musicale ».
Analyse : Hiroshima mon amour
Scène du bar : continuité & rupture ‘Elle’ évoque ses souvenirs, et les images de sa mémoire se mêlent à celle du présent sans délimitation claire. La musique, dans un premier temps une ballade lente qui pourrait être celle du bar, assure la continuité entre ces images, en harmonie avec la voix quasi-incantatoire d’Emmanuelle Riva. Puis elle s’arrête pour laisser place au silence, dont la tension est accentuée par l’évocation orale, par Elle, de sons de sa mémoire que l’on entend pas (« on chante la marseillaise », « il y en a qui rient »…). Soudain, un cri, désynchronisé par rapport à l’image mais qui dénoue brutalement la tension et ramène à la violence du souvenir. La voix, la musique, le son participent ainsi des mouvements du film et créent l’émotion chez le spectateur. |
D… Destruction
Si Alain Resnais aime aborder la faculté de l’Homme à modeler son environnement, à coexister en société, à s’élever au rang d’être doué de raison, enclin à ses sentiments comme à sa volonté de construire un monde à sa mesure, il apprécie tout autant traiter de l’épuisement de cette humanité vouée à l’auto-destruction. Ainsi, qu’elle soit physique, psychologique, ou simplement cinématographique, la destruction reste un topos majeur de la carrière du cinéaste, un fil directeur amenant le spectateur dans les décombres de l’Histoire humaine.
Nuit et Brouillard (1955)
Hiroshima mon amour (1959)
Mon Oncle d’Amérique (1980)
- Décombres et débris : une destruction matérielle
Par destruction au cinéma, on comprend d’abord celle qui se voit. Les différentes guerres de l’Histoire (Seconde Guerre Mondiale, Shoah, attaques nucléaires, guerres civiles, …) sont traitées par Alain Resnais par ce qu’il reste après l’insurrection : un champ d’horreurs, un cimetière de ruines. Qu’il s’agisse des travellings aériens de Nuit et Brouillard (1955), de la promenade au cœur de la ville dans Hiroshima mon amour (1959), ou des plans silencieux à la fin de Mon Oncle d’Amérique (1980), tous exposent l’effondrement du béton, les tas de briques et de tuiles, la végétation mortuaire. Les débris occupent tout le plan, obsédant les yeux du spectateur comme l’espace de l’écran. Tandis que la caméra traverse la structure de ciment, solennelle mais fébrile, nous pouvons entendre à la dernière minute de Nuit et Brouillard : « Et il y a nous qui regardons sincèrement ces ruines, comme si le vieux monstre concentrationnaire était mort sous les décombres. ». Resnais souhaite tout dire par la simple évocation de la destruction : inutile de tout montrer, les débris sont la preuve inéluctable de l’horreur. Le cinéaste oppose ces bâtiments sans vie aux images d’archives ou aux reconstitutions de la destruction en marche (les nazis brûlant les corps dans les fours crématoires, les japonais fuyant la ville incendiée). La destruction physique apparaît alors comme la conséquence de la nature fragile de l’être humain, sa personnalité animale à vouloir dominer l’autre, l’écraser. Dans Mon Oncle d’Amérique, les images des décombres sont le résultat final d’une réflexion sur la nature de l’Homme ( « Et quand une seule pierre de cet édifice est enlevée, tout l’édifice s’écroule, il découvre l’angoisse, et cette angoisse ne reculera ni devant le meurtre pour l’individu, ni devant le génocide ou la guerre pour les groupes sociaux […] » ). Tandis que Guernica (1950) était l’occasion pour Resnais de montrer « la première manifestation de la volonté de destruction pour le plaisir de la destruction : faire une expérience sur du matériel humain, pour voir » (Resnais, Premier Plan, 1961), le cinéaste s’efforcera par la suite de dévoiler non plus cette destruction par le feu de la guerre, mais celle qui réside dans l’inconscient de chaque être humain réduit à sa perte, condamné à la mort.
- Une « Destruction capitale » des personnages
En effet, la destruction psychologique est celle qui obsède bien davantage le cinéaste. Ses personnages sont souvent en proie au doute, au vide de l’existence, à la recherche de sens. Plus précisément, on pourra dire que les longs-métrages sont le cheminement de cette instabilité, de cette personnalité prête à s’effondrer : qu’il s’agisse de Nevers dans Hiroshima mon amour (1959), Hélène, Alphonse et Bernard dans Muriel ou le temps d’un retour (1963), Diego dans La guerre est finie (1966), Claude Ridder dans Je t’aime je t’aime (1968), Kévin dans Providence (1977), Simon Roche dans L’Amour à mort (1984), … Bien souvent, la destruction est marquée par la mort : la mort de soi et les envies suicidaires (Claude Ridder ne trouve plus de sens à vivre, Simon Roche est dépressif, le père Kevin se laisse mourir et délire sous l’alcool, donnant lieu à une mort de la raison, mais aussi le traitement de Van Gogh dans l’œuvre éponyme, artiste maudit, l’image de la noyade, …), la souffrance de l’autre et le meurtre (l’interrogation sur la mort de Catrine, le meurtre final de Bernard, l’amant de Nevers mort durant la guerre, …). En outre, la mort concerne aussi l’impact de la destruction d’un pays sur le personnage, comme par exemple Diego, las du conflit révolutionnaire en Espagne. « Le monde où nous vivons est devenu mouvant, trouble, rempli de pièges. » Si la destruction peut être incarnée par la mort, la mort n’est finalement que la solution ultime à la souffrance. Or Resnais s’intéresse d’autant plus aux traumatismes des personnages tentant de vivre avec ce déséquilibre psychique : prisonnier de l’ambiguïté du réel et d’un passé douloureux, empêchant la reconstruction. Muriel, par exemple, superpose les êtres dans leur douleurs individuelles. Le film atteste l’impossibilité à dépasser ses traumatismes comme à cohabiter entre personnages détruits psychologiquement (Bernard ne se remettra pas de la torture infligée à la jeune algérienne, Hélène et Alphonse ne sortiront pas de leur sphère). Dans une lettre adressée à Alain Resnais le 26 Janvier 1969, Marguerite Duras reproche son refus à collaborer de nouveau pour son œuvre La Destruction Capitale. Dans ce film qui n’a jamais paru, elle aurait aimé mettre en valeur l’échec de ces personnages dans leur tentative de résilience : « La relation humaine dans La Destruction, même si la délicatesse en est choquée, c’est la négation absolue de la relation humaine telle qu’elle existe. ». Cette existence vaine apparaît au spectateur par les interrogations jamais résolues des personnages, par leur désarroi suite au traumatisme vécu, leur silence mémoriel. C’est ce qui fera dire à Marcel Blanc (André Dussollier) dans Mélo (1986) : « Je ne suis pas triste, j’ai perdu l’espoir d’être heureux. ». Finalement, par un non-sens de certaines images, par des effets de rupture et de répétition, les plans se succèdent dans un flou progressif, se désagrègent, tantôt dans une douleur individuelle, tantôt dans une angoisse collective.
- Une destruction cinématographique, formelle
Aussi, de manière plus abstraite, Alain Resnais apparaît lui-même comme le cinéaste qui déconstruit. Il est le réalisateur qui expérimente sans cesse, et ce par la destruction des codes du Cinéma. Inspiré par le Nouveau Roman, ses collaborations avec Marguerite Duras ou Alain Robe-Grillet l’ont amené vers des réalisations plus complexes, où le fil narratif des films se dissout pour une structure obscure. L’année dernière à Marienbad (1961) peut être l’exemple le plus concret de cette déconstruction : le temps devient substance incommensurable et pourtant malléable, l’espace est à la fois clos et immensément vaste, le film ne semble avoir ni début ni fin, reflétant la boucle infernale dans laquelle les personnages sont faits prisonniers. Le montage resnaisien nous fait passer du cri au silence, du mouvement à l’immobilité, en un changement de plan. Alors que la représentation à l’écran semble insondable, c’est pourtant le sens qui, lui, est fort. Alain Resnais cherche dans la destruction cinématographique un « exhausteur de goût ». Dans Muriel, lors du passage du film amateur, Bernard narre la scène de torture : « Robert lui donne des coups de pieds dans les hanches. Il prend une lampe-torche, la braque sur elle… les lèvres sont gonflées, pleines d’écume… On lui arrache ses vêtements. On essaie de l’asseoir…., sur une chaise…., elle retombe. Un bras est comme tordu. Il faut en finir. Même si elle avait voulu parler, elle n’aurait pas pu ! Je m’y suis mis aussi. Muriel geignait en recevant des gifles, la paume de mes mains brûlaient. […] ». Le décalage entre les images et les paroles semble maximal : il suggère une défaillance de la représentation par l’image et une suprématie des mots. Le refus du cinéaste de proposer des images de cette expérience extrême est évident. Les paroles semblent plus à même d’exprimer cet événement. Resnais se pose alors la question de la représentation : si le récit de Bernard fait apparaître les absences des images, ces images éclairent aussi le récit de Bernard. La destruction formelle sert donc au sens : si Je t’aime je t’aime (1968) montre sans expliquer, si les scènes ne répondent pas entre elles, c’est parceque le personnage Claude Ridder fait une expérience d’ « absorbement », opposant fascination et hantise. La chambre obscure dans laquelle il est enfermé le rend physiquement impuissant, mais le plonge dans son passé. Resnais utilise ce temps onirique, hors du temps, pour construire un film depuis sa déconstruction. Finalement, selon Jacques Sternberg, cette déformation offre au spectateur l’effet d’une drogue : « Une couleur glauque, de toute façon, un climat d’oppression. En marge des définitions, elle demeure brumeuse, plus lointaine, incertaine, que véritablement équivoque. C’est une sorte de drogue-poison peu nocive à première vue ? Parce qu’elle n’éclate pas comme un coup de foudre ? Mais singulièrement entêtante, corrosive, de plus en plus lancinante. ». C’est à ne plus savoir si le film détruit les personnages, ou l’inverse. Les images ne sont plus que la psyché des protagonistes et des lieux, en pleine destruction.
Hiroshima mon amour : La visite du musée, ravage organisé mis sous verre… 5’30 » à 8’32 » Sous les paroles de Nevers (Emmanuelle Riva), le travelling resnaisien nous entraîne, nous pousse à voir la destruction organisée de la bombe nucléaire sur Hiroshima. Les commentaires, neutres mais quelques peu désabusés, appuient sur cette ribambelle d’objets, départis de leur faculté première. « Le fer, le fer brûlé, le fer brisé. Le fer devenu vulnérable, comme la chair. » Les matériaux ne sont plus qu’un témoignage de la mort, où matières vivantes et inertes se confondent : vélo brisé, « capsules en bouquet », corps atrophiés… défilé funèbre. L’éclatement des blocs de pierre répond à celui des bouts de chair étiquetés, conservés dans le formol. Puisque anéantie, il ne reste que le souvenir, les « reconstitutions » de cette destruction : paradoxalement, on montre le massacre par la maquette de la ville, l’avant-démolition. Finalement, cet extrait fait suite à la scène d’introduction du film, où la pluie de cendres sur l’étreinte charnelle donne déjà lieu à des corps brûlés, matière vivante disparaissant dans la fumée. Resnais fait ici écho à la peau calcinée des blessés, mise à jour par le travelling avant sur la photographie du musée. Toutes ces représentations, des outils déformés aux architectures démolies, contrastent avec l’entrée progressive dans le bâtiment (plans précédant l’extrait) où tout est droit, symétrique, propre. De même, la place de la Paix n’est plus qu’une surface lisse, immaculée. Ensuite, les travellings qui donnaient vie aux objets mortuaires font place à d’autres, les paroles de Nevers se taisent pour devenir réalité, pour s’incarner dans la mise en mouvement des corps convulsant, angoissés, fuyant. Par le cadrage, on voit nettement que le peuple japonais est fait prisonnier dans le tiers inférieur du plan (leurs corps noyés par l’eau, leurs têtes ne forment plus qu’une ligne indistincte) tandis que les deux autres tiers incendiés dominent l’écran. La succession d’images montre la progression de la destruction : une foule en fuite dans l’eau, puis entassée dans une vaste pièce, faible et gémissante, et enfin, ensevelie par les ruines, immobile. La destruction tant physique que morale ne peut être plus métaphorique que par le dernier plan : lorsqu’une jeune femme surgit, sursaut de vie quand tout est détruit ; il s’agit là d’images que Resnais emprunte à des films de fictions japonais, qui ont tenté de « reconstituer » le drame… sans vraiment y parvenir. |
E…Expérience
Le terme d’expérience est extraordinairement polysémique. Mais parce qu’il s’agit du sens le plus pertinent dans l’analyse du cinéma d’Alain Resnais, nous nous attarderons sur celui d’expérimentation, de test, d’approche à la fois novatrice et scientifique. Cette expérimentation est omniprésente dans le cinéma de Resnais et montre l’attention portée par le réalisateur à la représentation de l’imagination…sous toutes ses formes.
Je t’aime Je t’aime Van Gogh Smoking (deux comédiens)
L’expérience de la remontée dans le temps
Au-delà même du simple artifice de science-fiction, la remontée dans le temps chez Resnais vise avant tout à faire interagir les actions des personnages et la temporalité du film. En résulte des scènes où plusieurs temporalités sont entrecroisées dans la même image. On peut les appeler des « retours dans le temps » dans la mesure où il s’agit de faire exister matériellement une réminiscence. Véritables expérimentations cinématographiques, elles sont généralement rendues polysémiques par l’entrelacs des discours, des plans et du montage. On peut penser notamment à la scène d’Hiroshima mon amour où le personnage d’Emmanuelle Riva raconte son histoire d’amour passée à son actuel amant japonais. Dans cette scène, le discours de Riva est superposé aux images du passé, ce qui donne une scène où la temporalité est multiple, à la fois retour dans le temps et pourtant étape importante de la narration au présent.
Un « retour dans le temps » plus immersif et plus direct existe également, notamment, dans Je t’aime je t’aime. Dans ce cas là, l’expérience ne fait plus s’interpénétrer le passé et le présent mais explore le processus de remémoration de façon plus ancrée dans le souvenir, et son aspect à la fois fugace et traumatisant. Ici, le côté expérimental se remarque surtout au niveau du montage, où la même scène de baignade réapparaît à de multiples reprises au cours du film, mais à chaque fois légèrement différente de la précédente occurrence, de telle sorte qu’est mise au premier plan la volatilité du souvenir, ainsi que son caractère malléable.
Je t’aime je t’aime met également en avant la machine à remonter le temps comme objet et non comme concept, en insistant sur sa matérialité dans le présent (on peut noter que sa forme insolite attire également l’attention du spectateur sur l’objet). On peut assez facilement alors identifier l’influence de son ami Chris Marker (La Jetée, notamment), pour qui le retour dans le temps est une thématique qui permet de mieux saisir l’essence du présent comme lieu où se rejoignent les temporalités. Ainsi, le personnage de la jetée voit sa propre mort depuis le passé (lorsqu’il était enfant), devant lui (lorsqu’il meurt) et depuis le futur (lorsqu’il retourne dans le temps).
- Des personnages expérimentaux
L’expérimentation dans les films d’Alain Resnais passe également par la recherche de nouveaux personnages, inconnus au cinéma ou du moins originaux.
Ces personnages peuvent être expérimentaux par leur nature, c’est à dire par qui ils sont. Dans l’Année Dernière à Marienbad, par exemple, les personnages sont expérimentaux car on ne sait pas ce dont ils se rappellent et ce qu’ils ont oublié. La vérité est introuvable et le doute omniprésent dans leur paroles, qui généralement se contredisent. Ce qui est véritablement expérimental, c’est de projeter au spectateur des personnages dont on ne sait absolument rien, et dont on n’apprendra, du reste, jamais rien de certain sur leur passé.
Mais c’est principalement par la forme que Resnais expérimente de nouvelles façons de faire vivre un personnage au cinéma. Il insiste ainsi plus sur la mise en valeur d’un personnage plutôt que sur sa caractérisation. Dans Smoking et No Smoking, par exemple, la galerie entière des quelques neuf personnages du film sont joués par uniquement deux comédiens. Ainsi, ce qui n’aurait pu être qu’une comédie de mœurs « normale » devient un véritable défi pour les acteurs et le réalisateur. L’expérimentation consiste ici en un ajout de difficulté technique. Une autre expérience de Resnais sur la forme de ses personnages pourrait bien être le film Van Gogh, où il s’est agit d’animer un personnage peint en le confrontant à d’autres morceaux de tableaux. Le caractère figé du personnage oblige alors le spectateur à faire les liens entre les images pour pouvoir comprendre son action.
- L’expérimentation esthétique resnaisienne : à la recherche de nouvelles formes d’expression
Mais le personnage est également le support d’une autre expérience : celle de l’expression. Il paraît légitime de dire que, pour ce qui est du discours des personnages, l’approche de Resnais est expérimentale. En effet, les personnages resnaisiens sont véritablement porteurs du discours du réalisateur sur l’art en tant que moyen d’expression (et hobby de Resnais quand on constate son goût prononcé pour la littérature, la chanson et la bande-dessinée). Cet art nous le retrouvons couplé au cinéma dans un film comme I want to go home. Les personnages y font appel à la bande-dessinée pour s’exprimer (par le déguisement en personnages de comics par exemple).
La bande-dessinée n’est pas le seul art réutilisé par le cinéma de Resnais pour rechercher de nouveaux moyens d’expression à ses personnages. On peut penser notamment à la chanson. Déjà utilisée dans Muriel ou le temps d’un retour, elle est sublimée dansOn Connaît la Chanson. Dans ce film, c’est bien évidemment la spontanéité du chant qui en fait la force et l’originalité. Les personnages disposent alors d’un mode d’expression beaucoup plus décomplexé, qui leur permet de s’exprimer par une référence à une culture censée être connue du spectateur afin de lui signifier leur état d’esprit de façon plus parlante.
Le principal aspect de ces formes d’expression expérimentales est, en effet, qu’elles présupposent chez le spectateur une référence, une culture commune, afin de bien saisir l’entièreté du message.
Je t’aime je t’aime, 28:30 ; 30:55
Dans cette séquence, on retrouve une véritable expérience de remontée dans le temps, avec un retour à l’époque de la machine (via le plan sur les scientifiques). On voit ici, par le montage, l’expérimentation resnaisienne à son paroxysme. Le mélange des temporalités se traduit par l’enchaînement des différentes scènes, situées à des endroits différents dans le temps diégétique. Parallèlement le monologue du personnage (forme d’expression particulière, il convient de le souligner) fait parfaitement écho à la course de montres de la dernière scène. Il y a dans cette scène une expérience de cinéma rare, dans la mesure où le temps du film, via le montage, nous fait vivre la véritable détresse du personnage, exprimée dans un monologue afin de toucher directement le spectateur en mettant des mots sur son désespoir.
F…Fantôme
Le cinéma de Resnais est un cinéma hanté. Hanté de souvenirs, hanté de passés et hanté de fantômes allant d’Alphonse et ses allures de Nosferatu (Muriel ou le temps d’un retour) à A. qui, enveloppée dans sa longue cape noire et flottante, erre sans cesse dans les couloirs de Marienbad. Ces fantômes peuplent les lieux et personnages du réalisateur, leur imposant alors leur présence à la fois incertaine et obsessionnelle. Les films de Resnais se laissent alors envahir par ces spectres qui les guident et les parasitent sans cesse, enfermant donc à jamais son cinéma dans le piège de la mémoire.
L’Année dernière à Marienbad Hiroshima mon amour Nuit et Brouillard
Les fantômes du passétômes de la
« Je t’oublierai, je t’oublie déjà, regarde comme je t’oublie ! » s’exclame le personnage d’Emmanuelle Riva dans Hiroshima mon amour alors que le fantôme de son ancien amant refuse de la quitter et parasite son nouvel amour. Car Hiroshima mon amour est avant tout un film sur la difficulté de se débarrasser des fantômes du passé. Ceux-ci viennent se mêler au présent, ils imposent le voile léger mais pourtant constant de leur présence sur ce même présent. Ils viennent l’engluer de passé jusqu’à ce que les deux époques créent une temporalité hybride, un entre-deux temporel. C’est là que l’amant allemand mort et que l’amant japonais présent forment ensemble une entité unique et étrange, à la fois fantôme et vivante que le personnage d’Emmanuelle Riva tutoie, effaçant ainsi les barrières temporelles et individuelles qui séparent les deux histoires d’amour. Hiroshima et Nevers se mélangent alors que le fantôme du soldat allemand mort poursuit son amante dans son présent comme dans son avenir.
Des personnages poursuivis par des souvenirs, Resnais en filme beaucoup. Ainsi, Claude Ridder se retrouve prisonnier du fantôme de Catrine, comme de la machine qui l’envoie remonter le temps dans Je t’aime, Je t’aime. Là encore, le fantôme de l’amour perdu empêche le personnage d’avancer et l’enferme dans son passé au point qu’il décide de se suicider dès le début du film. Captif de l’absence de cet être, Claude ne parviendra pas, par la suite, à échapper à l’emprise de son souvenir et finira peut-être par en mourir. On peut également évoquer Bernard qui, poursuivi par le fantôme de Muriel (Muriel ou le temps d’un retour), cette femme torturée lors de la guerre d’Algérie, en vient à tuer un de ses anciens compagnons de guerre. On pensera aussi au personnage de X (L’année dernière à Marienbad) qui ne parvient pas à abandonner le souvenir de l’amour passé avec A au point que ce souvenir se répète en boucle sans pour autant n’être ni tout à fait le même ni tout à fait un autre, puisque continuellement déformé par la mémoire du personnage.
Les personnages de Resnais sont donc hantés par des amours passés qu’ils ont perdues à jamais et dont ils ne parviennent cependant pas à se détacher. Parfois, le réalisateur crée, par ailleurs, des fantômes plus légers comme celui de l’ancien mari caché de Gilberte dans sa comédie musicale Pas sur la bouche, fantôme d’une vie passée et dissimulée qui poursuivra le personnage jusqu’à quitter cet espace révolu pour se matérialiser et la retrouver malgré elle dans sa nouvelle vie.
Histoire
Victimes de l’Histoire
Resnais est bien souvent qualifié de cinéaste de la mémoire. Si en effet cette appellation évoque ses personnages hantés par leur passé, elle concerne également, et bien plus encore, le domaine de la mémoire historique. En effet, ce cinéma est hanté par les fantômes de la guerre ou des époques révolues qui hantent le monde et ses personnages bien malgré eux. Ainsi, dans son court-métrage Nuit et Brouillard, en mélangeant images d’archives en noir et blanc et images contemporaines en couleur, Resnais fait revenir, sur les camps de concentration et d’extermination qu’il filme, l’ombre des fantômes de déportés qui y sont morts ou qui y ont perdu des êtres chers. Ces fantômes peuplent les lieux de leur absence et imposent à jamais leur souvenir morbide à l’Histoire commune.
Resnais invoque également par ses films les fantômes de la guerre qui a aussi marqué ses spectateurs contemporains à jamais. Ainsi, Hiroshima mon amour est hanté par la Seconde Guerre Mondiale tant à travers le vécu de la femme en France (tondue pour son histoire d’amour avec un soldat allemand) qu’avec celui du japonais. Tous deux sont liés à la fois par leur amour et par ce spectre commun. Le personnage éponyme de Muriel ou le temps d’un retour incarne, lui, le souvenir de la guerre d’Algérie et de ses méthodes de torture qui hantent le personnage de Bernard et qui sont au contraire volontairement oubliées par le reste de son entourage comme par le reste de la France. On ne sait que très peu de choses de Muriel et de ce passé qui est soigneusement noyé par la banalité routinière du quotidien, cette recherche du bonheur moderne, des personnages du film.
Resnais se fait donc cinéaste de la mémoire commune en imposant à ses personnages, comme à ses spectateurs, ces fantômes de périodes certes révolues, mais ineffaçables.
L’ombre de la mort dans le cinéma de Resnais
La Mort à l’oeuvre
Hanté par les fantômes du passé, le cinéma de Resnais revêt donc bien souvent le voile de la présence de la mort. Les fantômes du passé incarnent cette ombre qui pèse sur les personnages et à laquelle ils ne parviennent pas à échapper. Catrine est donc décrite par Claude (dans Je t’aime, je t’aime) comme une incarnation de cette mort qui suit les personnages de Resnais : « Toi, tu es étale, tu es un marécage, de la nuit, de la boue. Lugubre, tu donnes envie de se laisser couler en toi lentement mais à pic… Tu sens la marée basse, la noyade, la pieuvre. »
Les personnages se noient donc dans ces fantômes du passé dans lesquels ils s’enfoncent et se piègent petit à petit. Ils sont enfermés par cette présence de la mort qui envahit parfois jusqu’à leur environnement de vie. Hiroshima est marquée par la dévastation de la bombe atomique, Boulogne-sur-Mer semble mourir d’ennui et Marienbad revêt des airs de manoir hanté où les personnages errent sans but comme des fantômes condamnés à parcourir ces couloirs répétitifs pour l’éternité.
On peut remarquer que la mort semble étroitement liée à la filmographie de Resnais, puisque le réalisateur s’est vu perdre de multiples projets « mort-nés » allant de Schéma d’une identification (1946) à Ouvert pour cause d’inventaire (1956) en passant par le désormais mythique projet d’adaptation des Aventures de Harry Dickson qui sera victime de son ambition scénaristique après un peu moins de dix ans de travail. Tous ces films et courts métrages inachevés, perdus ou avortés se sont sans nul doute transformés en fantômes qui hantaient Alain Resnais lui-même.
L ‘Année dernière à Marienbad Lors de cette scène, les personnages de X et de A entament ensemble une valse lente. La musique jouée à l’orgue installe, par ce son inhabituel, une ambiance mystique qui pourrait également faire référence aux orgues des églises, ce qui évoque du même coup l’image sinistre du cimetière. Cette musique puissante et lente installe une atmosphère très onirique où les danseurs autour des personnages principaux acquièrent une apparence de fantômes épousant les ombres de l’hôtel par leurs silhouettes blanchâtres, floues et presque immatérielles. Ces silhouettes sont inexpressives et se laissent balancer par la valse mortuaire avec laquelle ils semblent ne faire qu’un, comme ils semblent ne faire qu’un avec ce grand hôtel sombre et vide. X et A sont donc eux aussi emportés dans cette valse spectrale onirique, tous deux rejoignant alors les rangs des êtres fantômatiques qui peuplent Marienbad. |
Bibliographie :
Gilles Deleuze, Image-Temps
« Harry Dickson », le grand film fantôme d’Alain Resnais », Le monde (02/03/2014)
René Prédal, L’itinéraire d’Alain Resnais Etudes cinématographique
G…GÉNÉRIQUES
Le 25 mars 2014 , Blow up, émission culturelle d’Arte lançait un épisode spécialement dédié aux génériques des films d’Alain Resnais… Mais qu’ont-ils de si exceptionnel ? Dans le cinéma d’Alain Resnais, le générique n’est pas à laisser de côté. Et pour cause : celui-ci fait partie intégrante du film.
Thème et typographie du générique resnaisien :
Il nous faut en effet remarquer que les génériques resnaisiens sont avant tout le fruit d’une collaboration. La typographie de ces génériques est donc toujours unique. On note spécifiquement qu’après 1968 les typographies utilisées sont presque de l’ordre de la bande dessinée. Dans ce cadre de la bande dessiné on peut par exemple penser à l’illustrateur Floc’h qui réalise les génériques de certains films de Resnais tel que Smoking/No Smoking ou encore On connait la chanson.
De plus, les génériques resnaisiens ont souvent pour but de donner une première impression sur l’intrigue globale du film. Ainsi, dans un premier temps, le générique prépare une ambiance, par exemple, dans le générique de Toute la Mémoire du Monde, on trouve déjà cette caméra inquisitrice qui nous guide dans les premières secondes de ce court-métrage documentaire. On trouve également cela dans les films de fiction notamment dans Hiroshima mon Amour où, dans l’image des ronces en négatif, se forme la possibilité qu’a la nature de renaître après la destruction. Ainsi, chaque générique a tendance à révéler quelque chose sur l’intrigue des films d’Alain Resnais. C’est le cas dans L’Année dernière à Marienbad où les lettres d’imprimante cherchent à signifier le caractère littéraire de cette oeuvre. Hommage peut-être au travail d’Alain Robbe-Grillet ou simple intérêt esthétique, ce générique est un bon exemple de la diversité typographique des génériques de Resnais.
Malgré cette diversité, on peut classer les génériques de Resnais dans différentes rubriques. Une première rubrique peut être faite dans la différenciation des génériques en couleur et des génériques en noir et blanc. Ainsi, pour les génériques en couleurs, on trouvera une dominance de la couleur rouge pour les titres. Le rouge des génériques de Je t’aime Je t’aime, l’Amour à mort, Le chant du Styrène ou encore Smoking/No smoking permet de mettre en avant les sentiments multiples que cherche à donner Resnais dans ses films. Tantôt l’amusement dans Smoking/No Smoking et Le Chant du Styrène et tantôt la passion dans Je t’aime je t’aime ou dans l’Amour à Mort. Au delà des couleurs, la taille des lettres et leur disposition sont également à prendre en compte. Nous pouvons ici voir avec l’exemple d’Hiroshima que les tailles des lettres diminuent dans un effet de symétrie dans toute la largeur du cadre mais on observe également que leur positionnement peut changer puisque qu’elles prennent des formes verticales comme horizontales à l’annonce de la musique par exemple. La disposition quant à elle fonctionnera souvent de manière originale : avec l’outil du collage dans le Chant du Styrène ou encore avec la séparation des femmes et des hommes dans Marienbad, ou encore avec la réalisation du générique oral de Pas sur la Bouche.
Comment organiser les génériques chez Resnais ?
Chez Resnais, les génériques n’ont pas d’organisation spécifique. Ainsi les places de chaque membre de l’équipe changent d’un générique à l’autre. On note cependant certaines généralités :
Dans un premier temps, on peut noter que Resnais ne se met jamais en avant dans ses génériques. Plutôt que la mention « un film de », il préférera celle de « réalisation ». De plus, à l’exception du générique de Gauguin où Resnais est le premier à apparaître sur le générique, on note que Resnais aura généralement tendance à ne pas se mettre en première ligne. La première place du générique sera généralement attribué aux acteurs comme dans le cas de Je t’aime Je t’aime ou encore à sa script, Sylvette Baudrot. Resnais, quant à lui, aura tendance à se placer avec le scénariste afin de mettre en avant le caractère collaboratif de son oeuvre.
Le générique de fin :
À l’instar de nombreux films de la même période, comme Les 400 coups de François Truffaut qui, comme Hiroshima sort en 1959, nous devons noter que le générique chez Resnais est un générique de début. Pourtant, existe-t-il chez Resnais un générique de fin ? Nous ne pouvons pas parler ici à proprement parler du générique de fin, mais du mot en lui même qui marque littéralement la fin du film. Celui-ci est toujours présent dans tous films de Resnais : discret dans Hiroshima mon amour, reprennant l’esthétique du film dans Van Gogh, camouflé dans Muriel ou encore oral dans Nuit et Brouillard. La spécificité de Nuit et Brouillard fait qu’il est le seul film de Resnais où ne figure pas le mot à proprement parler de « Fin ». Ce film se termine néanmoins par la voix de Michel Bouquet annonçant les derniers mots du texte du Cayrol : « un cri sans fin ».
Étude de séquence, le Générique de Van Gogh :
Ce court documentaire de 17 minutes consacré à Vincent Van Gogh et réalisé en 1947 présente de nombreuses spécificités et notamment celle du générique. En effet, rien que dans l’image qui sert de fond visuel, on retrouve la spécificité qui fera la spécialité du court métrage : le noir et blanc. Ce noir est blanc sert ici à mettre en valeur les mots présents au générique, notamment le titre qui s’incruste dans la toile de fond. Ce générique est également représentatif des autres génériques resnaisiens compte tenu de l’agencement de celui-ci. On retrouve en effet Pierre Braunberger, c’est-à-dire le producteur du film, comme premier nom cité. Par la suite, l’expression « un film de » sera utilisée pour présenter Gaston Diehl et Robert Hessens, les deux collaborateurs de Resnais. Celui-ci figure dans une énumération d’acteurs techniques du film, entre la régie, l’administration, le son et les effets spéciaux. On notera également que musique et commentaire se situeront eux à une place privilégiée du générique, c’est-à-dire la fin, soutenant une nouvelle fois la place sonore qu’attribue Resnais à ses films.
SOURCE :
Blow Up, Arte.
H… HISTOIRE
Les camps de la mort, la bombe d’Hiroshima, la colonisation, la guerre d’Algérie ou encore la dictature franquiste : tous les événements historiques controversés de l’époque se retrouvent dans les films de Resnais. A première vue, on pourrait penser à un cinéma très politique, à l’image de Claude Lanzmann ou de Michael Moore, tout particulièrement pour les documentaires dont la forme est adaptée à l’engagement. Mais chez Resnais, la notion de « devoir de mémoire » est oubliée, ainsi que toute forme de manichéisme : il ne reste plus que la mémoire de ces événements, et l’effet qu’elle produit sur ceux qui en sont victimes.
Nuit et Brouillard Hiroshima mon amour Muriel
L’engagement documentaire :
Le groupe de la Rive Gauche duquel Resnais se rapprochait n’était pas « militant », et Resnais ne s’est lui non plus jamais revendiqué d’un bord politique ou de l’autre ; il ne croit pas en la capacité de l’art à changer le monde. Il affirme d’ailleurs à Jean-Luc Douin « Je ne cherche pas à convaincre, sinon je ferais des conférences ». Mais on parvient tout de même à voir des prises de position assez nettes : Les statues meurent aussi est un pamphlet anticolonialiste qui pointe l’Empire français du doigt sur un ton très dénonciateur, reprochant l’aliénation des Africains et de leurs cultures par la colonisation. Loin du Vietnam est quant à lui une collaboration très engagée contre l’intervention américaine. Ces deux films sont ceux où l’engagement de Resnais est le plus manifeste ; le plus souvent, il se place du côté de l’émotion et de la recherche du bonheur, qui eux passent par le processus de mémoire. Dans Nuit et Brouillard, le ton de la voix off n’est pas élégiaque, il est presque dur, et ne cherche pas l’adhésion du spectateur ; mais le passage du noir et blanc à la couleur montre une volonté d’ancrer le discours historique dans le présent. Guernica, dans le même esprit, présente la mémoire comme une lutte contre la mort.
Une réflexion sur l’action politique :
« Ce qui le fait marrer, c’est l’inutile honnêteté des Alceste » a dit Floc’h d’Alain Resnais. En effet, son engagement se porte plus sur la question de l’action politique en elle même, et on retrouve un discours satirique sur les fameux « Alceste », les donneurs de leçons, en réalité entièrement détachés des événements. Cela commence par Loin du Vietnam et la représentation de Claude Ridder, intellectuel parisien qui pense s’engager par ses réflexions et ses lectures sur l’événement, elles-mêmes souvent basées sur la représentation qu’en font les médias, tandis que de l’autre côté les images d’archives montrent des massacres de masse. La guerre est finie le continue : le terrorisme des jeunes léninistes ou les grèves organisées par des expatriés à des centaines de kilomètres de l’Espagne semblent vains. Leurs ambitions sont trop hautes pour des personnes aussi loin de l’action, contrairement à l’humilité de la lutte de Diego et ses compagnons, qui sont traités chaleureusement.
Histoire collective, histoire individuelle :
Bien que les thèmes abordés dans les longs métrages soient historiques, ils sont en réalité peu présents dans la narration. Leur place dans les films est plus profonde : Resnais part en effet d’un événement historique, collectif, pour aller vers des traumatismes plus individuels. C’est alors la mémoire qui fait le lien entre les deux, et resurgit chez les personnages dans leurs psychoses. Les personnages de Muriel ou le temps d’un retour sont particulièrement marqués par les différentes guerres qu’ils ont traversées : Bernard est inadapté au monde civil après les événements traumatiques d’Algérie, il est distant du reste des personnages, et semble incapable d’être heureux, rejetant même l’amour de Marie-Do avec qui sa relation est plutôt positive. Alphonse, quant à lui, remodèle ses souvenirs à sa guise, laissant planer le doute sur la réalité des événements.
L’impossible représentation de la barbarie humaine :
L’utilisation des images d’archives chez Resnais a une portée bien spécifique : elles ne marquent pas uniquement la volonté d’illustrer les événements historiques relatés, mais bien de poser une question sur leur représentation, sur la possibilité pour le public de s’imaginer la barbarie humaine. Nuit et Brouillard s’inscrit dans la continuité des récits des camps, qui à l’époque semblaient impensables ; en alignant les photographies de corps rongés par la famine et la maladie et de piles de cadavres, Resnais cherche à faire prendre la mesure de la violence. Pourtant, la plus grande des horreurs, celle du génocide juif, n’est que suggérée : aucune image ne montre explicitement l’extermination, puisqu’aucun témoin n’y a survécu. De là ne restent que les images des plafonds griffés par les mourants dans une dernière tentative de survie désespérée. Cette problématique du voir et du connaître se retrouve également dans Hiroshima, avec le fameux « Tu n’as rien vu à Hiroshima » accompagnant paradoxalement les images d’archives. Ces dernières semblent alors vaines : rien, à part le vécu, ne peut permettre à l’homme de connaître l’ampleur des événements.
La réception du public :
Ce n’est pas parce que Resnais refuse de s’affirmer comme cinéaste engagé que le public de l’époque voit ses films comme neutres ; aussi, il s’est fréquemment retrouvé confronté à la censure, tout particulièrement pour les documentaires. La censure la plus longue et la plus dure a concerné Les Statues meurent aussi : pendant quatre ans, le film a été entièrement interdit, puis pendant sept ans seule la première bobine (la moins anticolonialiste) a pu être diffusée ; ce n’est donc qu’en 1964, soit deux ans après la fin de l’Empire colonial, que le film a pu voir le jour en entier. Le film s’inscrit en effet dans un contexte de colonialisme sur le déclin, et l’Etat français n’a probablement pas voulu attiser les contestations en laissant ce film paraître. Nuit et Brouillard a lui aussi été censuré, pendant un temps moins long, du fait de cette image d’un gendarme français surveillant un camp de déportés à Pithiviers et allant à contre courant du mythe résistancialiste de l’époque. Ce furent là les deux seuls cas de censure réelle, mais plus tard Hiroshima mon amour se verra exclure de la compétition officielle du festival de Cannes pour éviter toute controverse par rapport à la bombe d’Hiroshima au niveau international, tout comme Nuit et Brouillard l’avait été auparavant pour ne pas froisser l’Allemagne…
Les Statues meurent aussi 4:11 – 6:04
Un plan rapproché en plongée de la pirogue des explorateurs qui descend un fleuve est raccordé avec un cut à un oiseau sculpté en bois. La voix off commente : « Et pourtant, lorsqu’au-delà des déserts et des forêts, il croyait aborder au royaume de Satan, le voyageur découvrait des nations, des palais. » : l’explorateur et l’africain sont alors mis au même niveau dans une volonté de réhabilitation de la culture africaine. Le mouvement des travellings et panoramiques qui s’enchaînent, avec des raccords francs ou en fondu enchaîné, redonne alors vie aux statues en les sortant de l’oubli. La variation de la durée des plans, de l’angle de prise de vue et de la grosseur des plans nous donne une impression d’abondance, mêlée au sentiment de reconnaissance que les répétitions sous forme de variation induisent. De cette manière, la caméra collabore au travail de remémoration qui s’inscrit dans un courant intellectuel de l’époque, celui de la montée des nationalismes et du panafricanisme.
Bibliographie :
Alain Resnais, René Prédal
« Resnais et l’engagement documentaire », Catherine du Toit
Filmographie :
Guernica (1950)
Les Statues meurent aussi (1953)
Nuit et Brouillard (1955)
Hiroshima mon amour (1959)
Muriel ou le temps d’un retour (1963)
La Guerre est finie (1966)
Loin du Vietnam (1967)
I…INCONSCIENT
« On ne fait jamais le film que l’on veut, mais lorsqu’on se place directement et sans moindre garantie sous la dépendance du hasard, il arrive que le génie inventif suive les diktats de l’inconscient et que les images nées d’un coup de dés obéissent à des impulsions simultanées » reprend Robert Benayoun. Puisqu’il s’agit bien, à travers cet inconscient, d’Arpenter l’imaginaire dans ses formes les plus profondes. Alors que Deleuze privilégie la place accordé au cerveau, il s’agit à travers cette thématique chère à Resnais de développer l’idée de l’intériorité et donc des parts importantes liées à l’inconscient.
La guerre est finie Je t’aime, je t’aime L’année dernière à Marienbad
Onirisme et imaginaire
Le rêve chez Resnais s’apparente à une ouverture vers l’inconscient, un monde obscur et ingouvernable où le ça submerge l’esprit du dormeur. Dans Hiroshima mon amour, l’héroïne confie « Nevers, c’est la chose au monde à laquelle, la nuit je rêve le plus. En même temps, c’est la chose au monde à laquelle je pense le moins. » En surgissant dans le présent, les souvenirs d’Emmanuelle Riva forment des images inconscientes qui la font avancer dans ce double rapport temporel. Dans le sixième numéro de la revue L’Esprit en 1960, Alain Resnais parle d’un « demi-sommeil » dans lequel on est conscient de se laisser aller vers l’inconscient. Prenons pour exemple L’année dernière à Marienbad où le réalisateur tente d’ « approfondir les forces du rêve ». Le force de l’imaginaire en vient à le faire advenir et exister véritablement dans la réalité et matériellement. A. apparaît quelques fois en double ou en triple sur le même plan et pourtant, il est toujours presque impossible de discerner où se trouve la réalité et où se trouvent les reflets. Les déambulations dans les couloirs de l’hôtel puisent donc dans la force de l’inconscient une absence de discernement et de réalité logique. Lorsque A. se déplace, X. apparaît plusieurs fois, dans des pièces différentes, comme une présence fantômatique. L’état de veille triomphe également quelques secondes dans la réalité dans le film La Guerre est finie. Pendant l’absence de Marianne, Diego va chercher un livre dans la pièce voisine et dessine un grand soleil sur le tableau noir, à côté d’une enfant qui dort. Il n’existe dans l’intrigue pas d’enfant pour Marianne, ni Diego. Le rêve en vient donc à un stade où il dépasse les limites nocturnes. Ainsi, la mauvaise matérialisation de l’inconscient devient le rêve de victoire par l’écorchement aux défaites.
Inconscient collectif
En plaçant ses films sous une tension historique, Resnais traite l’Histoire dans la perspective de la questionner mais surtout de l’étudier à travers des personnages qui en sont imprégnés pour pouvoir comprendre les couches sous-jacentes de celle-ci enfouies dans les consciences individuelles. C’est en ce sens que Resnais se détache de l’historien : il ne s’agit pas d’étudier l’événement historique entouré de son fil narratif, mais bien de faire ressortir les traces que laisse l’Histoire à travers des personnages ou des lieux pour questionner notre réalité. Ainsi, Nuit et brouillard révèle la volonté d’Alain Resnais de se placer dans la double signification de la mémoire, celle de ne pas oublier (comme dans Toute la mémoire du monde, ou par les images d’archives dans Nuit et Brouillard) et celle de dévoiler sa part non assumée, c’est à dire de rendre l’inconscient collectif à l’état de conscience. Dans Nuit et brouillard, il s’agit de montrer ce qui était « inimaginable » et qui le restait même après la découverte des camps. Il fallait combler la faiblesse de l’écrit et des paroles non écoutées en réanimant l’image d’archive pour réveiller l’inconscient collectif par un travelling entre passé et présent. Resnais voulait rectifier l’imaginaire collectif en rendant compte de la réalité des faits dans leur juste utilisation: « d’une expérience insaisissable, nous avons sélectionné les images majeures pour faire participer à une énorme tuerie les vivants d’aujourd’hui ».
Dans Muriel, il s’agit également de rendre compte de cet inconscient collectif cette fois sans attiser celui des spectateurs, mais en le leur montrant directement à travers les personnages eux mêmes. Ainsi, Bernard qui ment à propos du nom de la femme qu’il aime en le remplaçant par celui de celle qu’il a vu se faire torturer en Algérie, pourrait incarner la jeune génération des soldats d’une guerre trop vite enterrée.
Néanmoins, l’inconscient collectif n’est pas traité que de façon historique chez le réalisateur. Par exemple dans L’année dernière à Marienbad, il s’agit davantage de montrer les mouvements complexes du cerveau pour tenter de rendre compte de son fonctionnement universel : « l’inconscient est une chose commune à tous les hommes ». C’est bien en ce sens que Resnais refuse que l’on taxe son film d’intellectualisme, puisqu’il serait une référence à des impressions simples (avec des schémas dramatiques habituels: la femme qui tour à tour s’offre et se refuse, la peur du mari…).
Le chaos mental
Si la volonté d’Alain Resnais est bien de filmer les mouvements du cerveau comme dit précédemment, l’Année dernière à Marienbad témoigne de la volonté du réalisateur de brouiller les pistes pour en représenter le chaos mental. C’est dans cette perspective que l’on peut comparer Resnais aux écrivains du Nouveau Roman comme Claude Simon ou Robbe-Grillet , des écrivains préoccupés par la psychanalyse et du lien étroit et parfois indistinct entre conscience et inconscient. Resnais use du langage cinématographique pour démontrer qu’il peut, tout comme la littéraure, rendre compte de la complexité psychique de l’individu, en abolissant également toute temporalité logique et pouvoir ainsi construire un temps qui bascule sans transition de la pensée à l’action réelle. Dans l’Année dernière à Marienbad, le chaos mental est d’autant plus important que les pensées des personnages semblent s’entrecroiser si bien qu’il est souvent difficile de distinguer de quel personnage l’image provient. Par exemple, dans la scène du parc, les personnages sont figés avec leur ombre peinte à côté d’eux, alors qu’il n’y a pas de soleil. Le souvenir semble alors être une superposition entre un personnage qui se rappellerait la scène de jour et un autre de la scène de nuit…
On aboutit alors à des images qui n’ont plus de sens si elles ne sont pas ramenées à l’inconscient des personnages, que ce soit sous forme de rêve ou bien d’une pulsion comblée par l’imaginaire. Cela est particulièrement traité dans Je t’aime je t’aime où l’imaginaire se confond au souvenir réel, comme si le cerveau n’était qu’une synthèse brouillée d’un chaos mental. On peut évoquer la scène où Claude est au bureau, et où en arrière plan l’on découvre une femme nue dans une baignoire la jambe levée. Cette image onirique pourrait être la synthèse d’un souvenir et d’une pulsion sexuelle soudaine ou simplement le besoin d’embellir le quotidien, de choisir l’imaginaire. Le monde mental pour Resnais ne doit pas être vu comme un simple mélange entre réel et inconscient mais comme la possibilité de s’envoler vers la fantaisie voire même vers le merveilleux (comme le témoigne tous les symboles reliant du conte dans le film).
L’Année dernière à Marienbad : scène d’apparition de la chambre C’est dans son film de 1961 que Resnais développe le plus l’inconscient et la puissance du rêve. En effet, le film est en réalité une construction d’images retranscrivant le processus de la pensée. Le spectateur se crée ainsi un voyage dans l’intériorité des personnages sans savoir qui dit vrai, qui invente, qui construit, qui laisse son inconscient le guider. Si bien que certaines actions sont filées et se développent dans le cerveau autant que face à nous. Ces surgissements de pulsions intérieures adviennent donc dans des moments absolument inopportuns et ne constituent pas une scène, mais justement perturbent chacune d’elle. Dans L’année dernière à Marienbad donc, les images inconscientes sont multiples et envahissent l’écran sans prévenir. La chambre devient alors un lieu de l’imaginaire, représentatif des pensées de A. et de son rapport à la narration. Puisqu’en effet, cette pièce est d’abord incomplète, presque totalement vide et ce dans la mesure où la femme refuse la notion de chambre. Il n’y a aucun détail puisqu’elle n’est pas représentée dans les pensées de A. comme réelle ni comme un souvenir du passé. Mais au fur et à mesure du film, ce lieu devient de plus en plus précis, les détails de plus en plus nombreux. A, se laissant convaincre par X, croit en l’existence du lieu. Après avoir accepté qu’il s’y soit passé quelque chose, A. tergiverse et découvre toujours un peu plus ce dont elle se rappelle. Il va y avoir un moment dans le film où la chambre sera totalement vraie, elle sera le véritable souvenir, sans retenues ni mensonges. Et il s’agit pour le spectateur de déceler cet instant, aussi bref soit-il. En effet, la chambre passe petit à petit dans un délire total. Entre hypothèse et hallucinations, l’inconscient est en branle et se projette dans des instants de folie absolue. Le film et ces apparitions fulgurantes de la chambre de A., constituent de ce fait, une projection intérieure du personnage, la vision concrète de son inconscient nécessairement abstrait. |
Bibliographie :
Prédal, Chapitre VII « L’inconscient »
Jean-Luc Douin dans Alain Resnais chapitre « L’inconscient
Robert Benayoun dans Alain Resnais, arpenteur de l’imaginaire
Articles sélectionnés du Positif spécial Alain Resnais
Filmographie :
⁃ Van Gogh (1948)
⁃ Guernica (1950)
⁃ Nuit et Brouillard (1956)
⁃ Toute la mémoire du monde (1956)
⁃ Hiroshima mon amour (1959)
⁃ L’année dernière à Marienbad (1961)
⁃ Muriel ou le temps d’un retour (1963)
⁃ La Guerre est finie (1966)
⁃ Je t’aime, je t’aime (1968)
J… je / jeu
« Dit-il la vérité ? » « Qu’est ce qui est vrai ? » Voilà les questions que l’on peut se poser lorsque nous regardons un film d’Alain Resnais. Les événements sont en effet vus par la subjectivité des personnages. Il s’instaure ainsi un jeu entre ce que le personnage perçoit, ce qu’il montre de lui-même et la vérité. Mais, il faut aussi dire que les films d’Alain Resnais s’inscrivent dans l’espace du jeu lui-même, le jardin de Marienbad peut apparaître comme un damier géant par exemple. De plus, les personnages aiment jouer (aux cartes, aller au casino, …) et ils s’adonnent à l’ironie.
Je t’aime Je t’aime L’année dernière à Marienbad Muriel ou le temps d’un retour
- Un univers ludique
Robert Benayoun dit d’Alain Resnais : « L’enfant Resnais avait autant de gravité et de sérieux que l’adulte possède d’élan, de naïveté et d’innocence ». On retrouve cet univers enfantin plein de jeux dans le cinéma de Resnais. Cet univers ludique est notamment très présent dans La vie est un roman où Pierre Arditi joue le rôle de Robert Dufresne, qui est un spécialiste dans l’étude des jeux pour enfant. Malgré le fait qu’il se présente en agitant une multitude de jouets divers et variés aux participants du colloque, il apparaît qu’il est celui qui est le plus proche d’eux, qui les comprend le mieux. Dans I want to go home aussi, les adultes se prennent à retomber en enfance notamment en se déguisant en personnages de bande-dessinées.
Mais, les adultes jouent à leurs propres jeux. En effet, Hélène, dans Muriel quitte constamment Alphonse pour aller au casino, elle dilapide son argent et emprunte à son amie. Elle trouve un moyen de s’échapper à son quotidien dans le jeu. Aussi, Claude Ridder dans Je t’aime Je t’aime joue à de multiples jeux tout au long du film. Il organise des « courses contre la montre », il fait la différence entre entre le temps du bureau et le temps du dehors. De la même manière, on lui propose de choisir entre deux femmes se trouvant dans une salle de bain. Claude Ridder comme Hélène jouent à des jeux qui dévoilent une certaine solitude, une tristesse. Leurs jeux ne sont pas distrayants et dévoilent une forme d’enfermement comme le jeu de Marienbad où deux personnages s’affrontent.
Les personnages abordent l’aspect ludique du jeu par l’ironie notamment. Ainsi, le personnage de Claude Ridder est très ironique. Il dit notamment : « le suicide c’est bon pour la santé ». De plus Bernard dans Muriel, cherche à retrouver le rire dans son magnétophone. Lors du premier repas d’Alphonse et Françoise à Boulogne, Bernard se met des lunettes de farces et attrape. Les personnages recherchent une légèreté de ton qu’ils n’arrivent plus à trouver.
Un Jeu sur le « Je » des personnages
Les personnages dans les films d’Alain RESNAIS se présentent, se définissent eux-mêmes. La plupart portent des masques et cachent leur véritable identité. Ils se présentent comme Bernard dans le Kaléidoscope de Marie-do dans Muriel ou le temps d’un retour. Alphonse, dans ce même film, est un mythomane qui se présent comme un ancien patron de bar à Alger. Il dit y avoir vécu 15 ans et avoir eu une certaine influence. De la même manière, dans La Guerre est finie, Diego a une multitude d’identités du fait de son engagement dans la résistance contre l’Espagne Franquiste. Il s’appelle à la fois Diego, Domingo, Carlos, Francisco… Il joue ainsi sur ces multiples identités et dit même à un moment du film : « parfois quant on m’appelle de mon vrai nom, je sursaute ».
Un jeu sur le point de vue
A l’instar de Diego dans La guerre est finie qui pense, contrairement à un autre militant qu’on voit mieux de « près » :
« – Ils sont trop près des choses pour voir les choses clairement
– Oui parce qu’ici à deux milles km kilomètres distance on les voit mieux ?
– Bien sûr on a une vue d’ensemble »,
les personnages des films d’Alain Resnais voient les événements de « près », de manière subjective. Le cinéaste joue donc sur les points de vue pour donner une vue de « près » des événements. Dans Hiroshima mon amour, même si le film devait être au départ un documentaire sur la bombe atomique, Resnais a trouvé préférable de faire un film sur « l’idée de la bombe, présente en arrière fond, qui ne serait pas présente à l’écran ». Ainsi, les personnages du film « ne participeraient pas directement au drame mais soit s’en souviendrait, soit en éprouveraient les effets ». On voit donc comment l’élément d’Hiroshima n’est pas vu au travers une reconstitution, mais au travers d’un jeu de points de vue des personnages. Au début du film, la française énumère ce qu’elle à vu à Hiroshima : l’hôpital, le musée, les rescapés… mais, le japonais lui répond : « tu n’as rien vu à Hiroshima ». En effet, elle n’était pas présente lors de l’explosion, sa subjectivité ne peut donc pas avoir « vu Hiroshima ».
Les personnages sont donc enfermés dans leur subjectivité. Dans L’année dernière à Marienbad, le narrateur (X) pourrait être le démiurge de l’hôtel de Marienbad. Il est possible qu’il ait imaginé toute cette histoire et qu’il essaye de contrôler les autres personnages. A se fait donc diriger par le personnage de X, lorsqu’il dit qu’elle se trouve dans le jardin, qu’elle se tourne vers lui, elle s’exécute. Dans Providence, nous avons une nouvelle fois affaire à un démiurge, pour écrire son nouveau roman, il doit contrôler son imagination, modifier la réalité (la vie de son fils et de sa belle-fille). Tout le film se concentre donc sur sa propre subjectivité.
Le Jeu de Marienbad.
« Je vous propose un autre jeu plutôt, je connais un jeu auquel je gagne toujours.
– si vous ne pouvez pas perdre ce n’est pas un jeu.
– Je peux perdre mais je gagne toujours.
– Essayons »
Voilà le premier échange de de M. et X. dans le film. Les deux personnages sont dans une relation de compétition. Une compétition dans le jeu que propose M., un jeu qui se joue avec des cartes, des allumettes, des dominos… mais aussi pour A. M. est son mari et X. la convoite, il veut l’amener avec lui, lui faire quitter Marienbad.
Même si M. paraît maître dans le jeu, il est perdant en amour. A plusieurs reprises les deux hommes vont s’affronter. X. continue à défier M.
De plus, M. affronte un grand nombre de personnes tout en gagnant toujours, tout le monde se demande quelle est l’astuce : faut-il commencer, prendre un nombre impair, pair, changer de rangée ? Il est possible de croire que M. est le maître du jeu de Marienbad (le jardin ressemble à un damier). Pour s’échapper de cet espace, les habitants doivent passer par lui. D’ailleurs, avant le dernier plan sur l’hôtel dans la nuit, nous voyons le visage de M.
FILMOGRAPHIE
Muriel ou le temps d’un retour, Alain Resnais, 1963
La Guerre est finie, Alain Resnais, 1966
Hiroshima mon amour, Alain Resnais, 1959
L’année dernière à Marienbad, Alain Resnais, 1961
Je t’aime Je t’aime, Alain Resnais 1968
Providence, Alain Resnais, 1977
La vie est un roman, Alain Resnais, 1983
I want to go home, Alain Resnais, 1986
K… Kaléidoscope
Un kaléidoscope désigne un ensemble de trois miroirs formant un triangle équilatéral, dont les faces réfléchissantes sont disposées de manière à ce que leurs images réfléchies se rencontrent. En d’autres termes, les miroirs sont face à face, et de ce contact lumineux découle une myriade de couleurs différentes. On serait tenté d’appliquer cette définition au montage resnaisien, dans la mesure où celui-ci se caractérise par la succession rapide d’images bien différentes entre elles. Cela provoque des associations dignes de la littérature surréaliste, qui assemble arbitrairement des éléments qui n’ont aucune raison de se rencontrer. Mais plus encore, l’idée du kaléidoscope nous invite à considérer ces images comme des variations centrées autour d’un même thème, et non comme une suite incohérente de photogrammes.
Je t’aime je t’aime L’Année dernière à Marienbad Muriel
Un montage du contraste
Resnais élabore un montage de la liaison. Au début de Hiroshima mon amour (1959), l’étreinte entre les deux personnages principaux est alternée avec des images des conséquences de la bombe atomique sur Hiroshima. Nous voyons les corps d’enfants brûlés par la déflagration, des peaux marquées à vie par la radioactivité, des panoramiques qui nous dévoile la désolation (presque aucun bâtiment encore debout), ou encore l’image particulièrement forte d’une femme morte dont on ouvre les yeux avec des écarteurs. Ces images d’archives témoignent du réel ; elles n’en proposent pas une abstraction, mais en dévoilent la vérité exacte. Ces images sont indissociables des traumatismes qui hantent les personnages de Riva et Okada. Les personnages oscillent entre le présent et le passé qui surgit à leur conscience ; on observe « de l’un à l’autre un va-et-vient permanent comparable à celui du plongeur qui va fouiller une épave », comme peut le dire Bernard Pingaud dans « A propos d’Hiroshima mon amour ». Resnais nous montre ainsi à quel point le monde déteint sur les individus qui le vivent.
La création d’une nouvelle cohérence par le montage
Les images sont conçues comme des fragments d’une totalité par rapport à laquelle elles résonnent. C’est ce que l’on trouve dans Van Gogh (1949), notamment dans la manière dont Resnais filme le célèbre tableau des Mangeurs de pommes de terre. Ce sont d’ailleurs des paysans tout ce qu’il y avait de plus commun. Les gros plans sur les visages et la façon dont ils se succèdent dans le montage semblent inaugurer un dialogue. On en repère d’abord un sur une femme, puis sur un homme, et ensuite sur les mains qui tiennent des fourchettes et piquent des pommes de terre. De même, on note un zoom sur une fenêtre dans une maison depuis l’extérieur (9:00) : « il rentre tout enfiévré le soir dans sa chambre solitaire » : nous en déduisons que cette fenêtre est bien celle de sa chambre grâce au mouvement de caméra en corrélation avec la voix-off ; ce que le raccord avec zoom arrière de l’intérieur de la chambre vient nous confirmer (il s’agit du tableau La Chambre à coucher). De même, dans Providence (1977), les images sont ordonnées par la conscience et la voix du narrateur, créant l’histoire qui se déroule sous nos yeux au fur et à mesure. Ces images sont les reflets de sa pensées ; on peut parler de kaléidoscope au sens où ces images peuvent être très hétérogènes (telle l’autopsie du cadavre apparaissant soudainement).
Débordement d’objets et flux de l’inconscient
Le montage resnaisien, en se proposant comme une variation autour d’un même thème, joue des effets d’accumulation. C’est ce que l’on trouve dans les premières scènes de Muriel (1963). Une succession de plans très courts donne un effet d’étouffement : on parcourt du regard tous les objets que détient un antiquaire. « Je vous reconnaîs à ces détails » dira Alphonse quand il rentrera dans l’appartement. Resnais présente des éléments du quotidien (la bouilloire, le lustre, chaise, poignée de porte avec main gantée dessus, le pendule). On peut parler dans cette situation de montage kaléidoscopique car les plans présentent chacun un objet qui fait écho à son quotidien, à sa personnalité. En attendant, Hélène est absente de l’image, comme toujours en décalage. Dans L’Année dernière à Marienbad (1961), les objets qui surgissent à l’écran trahissent l’inconscient des personnages principaux. Par exemple, quand G. Albertazzi tente une fois de plus de convaincre D. Seyrig, on observe un défilé d’objets, entrecoupé de plans où D. Seyrig se retourne ou détourne la tête pour les regarder (avec à chaque fois des angles de cadrage différents). On trouve des outils de coutures (on dirait des instrument de chirurgiens), ornés de dorures et présentés selon un demi-cercle sur une table ; des gants blancs, des bijoux, une paire de jumelles, un réveil, des flacons, une mallette… Cela peut symboliser des flashs qui surgissent à sa conscience et la submergent. Tous ces objets apparaissent comme des indices. Mais Resnais met court à toute interprétations possibles : les plans sont trop brefs pour que nous puissions les décrypter. Comme le dit Jacques Brunius, dans « Chaque année à Marienbad ou la discipline de l’incertitude », « le seul ordre est celui dans lequel ces événements, réels ou imaginaires, remémorés ou inventés, lui viennent à l’esprit [au Narrateur] ». Cette dispersion du regard témoigne de l’impossibilité de cerner les choses réelles ; c’est la perte de point fixe, pour reprendre les termes de Deleuze dans L’Image-temps. Le moment où Marie-Do se sert d’une lentille déformante pour observer Bernard illustre bien cette idée (cf. image plus haut) : Bernard est insaisissable. On peut également songer au plan final de Mon Oncle d’Amérique (1980), où une suite de plans, en raccord dans l’axe, nous présente un mur peint (imitant un décor végétal). Mais chaque plan étant plus précis décompose l’image, qui nous apparaît de plus en plus flou, jusqu’à n’être plus que quelques points de couleurs.
Je t’aime je t’aime, 1968 (52:50 → 54:09) : Un miroir déformant Ce film est certainement le plus représentatif du pouvoir de fragmentation du montage dans le cinéma de Resnais, qui unit paradoxalement ces plans en les faisant vibrer sous une même tonalité. Ils semblent agencés arbitrairement, nous faisant passer d’une époque à l’autre en brutalisant la chronologie classique. L’extrait étudié ne présente pas un montage très vif, mais l’hétérogénéité de ses plans illustre l’incessant va-et-vient qui caractérise tout le film. Nous retrouvons Claude Ridder dans un café, accoudé à une table auprès d’une femme, et dit : « si un jour, pendant la guerre, on m’avait dit que j’aurais pu parler de ça devant un verre… ». Et nous n’en saurons pas plus : on ignore quel était le sujet de cette conversation. Ensuite, nous le voyons sortir d’un appartement pour aller chercher des cigarettes. Une femme est allongée dans son lit. Une fois la porte fermée, il se retourne et voit une femme assise sur les escaliers. C’est une femme à qui il demande ce qu’elle fait là, à quoi elle répond qu’elle ne pouvait plus dormir et qu’elle avait peur de mourir… Puis, il l’emmène. Nous passons en suite dans un train, un wagon-restaurant plus précisément, où Ridder parle à un homme que nous n’avons jamais vu jusqu’alors. Il raconte qu’un jour il a trouvé dans une salle de bain d’une chambre (d’hôtel certainement) une jeune femme qu’il ne connaissait pas et qui allait prendre son bain, une femme très séduisante. À quoi il enchaîne qu’il ne s’est absolument rien passé… Son compagnon de voyage lui demande s’il l’a revu, à quoi il répond seulement dans ses rêves. Dans le plan suivant, nous le voyons dans son bureau se redresser avec étonnement. Il avance un peu à côté du bureau sur sa chaise à roulette et se retourne. Il remarque alors, sur le bureau d’un employé, affairé au téléphone, une baignoire dans laquelle se trouve une femme nue et qui lui sourit. On peut certainement voir en cela la matérialisation de son rêve, le reflet de ses fantasmes. Souvenirs et réalités se mêlent dans un montage proprement kaléidoscopique, qui offre de multiples variations sur un même thème, autour d’un même personnage. |
Bibliographie :
Bernard Pingaud, « A propos d’Hiroshima mon amour »
Gilles Deleuze, L’Image-temps
Jacques Brunius, « Chaque année à Marienbad ou la discipline de l’incertitude »
Filmographie :
Van Gogh, 1948
Hiroshima mon amour, 1959
L’Année dernière à Marienbad, 1961
Muriel, 1963
Je t’aime je t’aime, 1968
L….LABYRINTHE
L’entrée dans un film de Resnais est similaire à celle d’un labyrinthe. Perdu entre les différentes strates temporelles, entre les différents espaces du film, le spectateur doit rester attentif afin de ne pas s’égarer. Personnage et spectateur ne doivent pas se faire piéger par les impasses narratives et doivent tenter de se faire leur propre chemin au sein de cet espace filmique où les parcours sont multiples.
La guerre est finie L’année dernière à Marienbad Toute la mémoire du monde
un espace labyrinthique
« Toujours des murs, toujours des couloirs, toujours des portes, et de l’autre côté encore d’autres murs. Avant d’arriver jusqu’à vous, avant de vous rejoindre, vous ne savez pas tout ce qu’il a fallu traverser. Et maintenant vous êtes là où je vous aie mené, et vous vous dérobez encore. » dit le narrateur de l’Année dernière à Marienbad. Dès l’ouverture du film, le travelling nous dévoile un espace composé de portes et de couloirs semblables et toujours répétitifs qui forment un véritable espace labyrinthique qui se détache totalement du monde extérieur. Ce même espace fait de couloirs et de colonnes est préfiguré par la visite resnaisienne de la BnF dans Toute la mémoire du monde. Resnais peut alors être considéré comme un architecte qui cherche avant tout à mettre en place un espace « dont il n’y a pas moyen de s’échapper » où le hasard a une place primordiale. Le monde resnaisien est alors « un monde clos, enfermé » comme l’écrit Prédal qui ne laisse la place à aucune fêlure. Ainsi, si le travelling donne l’impression d’un mouvement et d’une possibilité d’échappatoire, il est en vérité synonyme d’immobilité et d’inertie de sorte que les couloirs de la Bnf, l’atelier quinze, les hôpitaux à Hiroshima ou encore les champs déserts de Nuit et Brouillard deviennent comme des prisons, des cercles de l’Enfer qui sont à l’image de la méditation. Le labyrinthe devient alors la signification concrète du cerveau, dans Marienbad, le château, par l’enchevêtrement de ses corridors innombrables, de ses multiples pièces et recoins, commandé par l’escalier principal monumental, et le jardin, par ses allées rectilignes mais coupées de contre-allées, ne dessinent-ils pas, de façon lancinante, une géométrie propre à retranscrire visuellement le réseau mémoriel des émotions et des idées de notre univers intérieur personnel. En effet, comme l’analyse Thierry Jousse, l’attrait irrésistible à l’égard du modèle cérébral fait de Resnais un cinéaste de la composition plus que de l’intrigue et du développement. A la différence des auteurs comme Mankiewicz, Ford ou Eastwood qui interrogent la mémoire à partir d’un seul point du présent, le présent se déplace aussi sans cesse chez Resnais faisant de ses films un labyrinthe dans lequel errent ses personnages et ses spectateurs.
des personnages perdus dans le labyrinthe de leur vie
Il semble que Resnais cherche « à construire un labyrinthe afin d’étudier ensuite le comportement des ses personnages lâchés dans le dédale….un talent d’entomologiste en somme » (Prédal).
Les personnages semblent soumis au hasard. X souligne « je franchissais ces même portails, choisissant mon chemin comme au hasard parmi le dédale des itinéraires semblables ». Le hasard façonne les rencontres : « Vous n’aviez jamais l’air de m’attendre, mais nous nous retrouvions à chaque détour d’allée, derrière chaque buisson – au pied de chaque statue- au bord de chaque bassin. C’était comme s’il n’y avait eu, dans tout ce jardin, que vous et moi » rappelle X à A dans L’année dernière à Marienbad. Tout l’histoire de Alphonse et Hélène dans Muriel semble être issue de hasards malheureux : si Hélène avait reçu une certaine lettre, leur histoire d’amour aurait pu prendre un chemin différent. La narration naît elle-même du hasard : pourquoi raconter l’histoire de ce personnage plutôt que celle d’un autre ? Resnais filme des bribes de conversation qui semblent aussi intéressantes que l’histoire qui est en train d’être racontée. Le propos du film aurait pu aussi bien être tourné vers ce couple discutant vigoureusement d’une certaine Lucienne partie, marquant le début peut-être d’un drame, dans La guerre est finie.
Dans un labyrinthe, le recommencement est de mise pour tenter, après avoir emprunté plusieurs fois le même chemin, de choisir la bonne bifurcation. Les personnages de Resnais semblent être au cœur d’un éternel recommencement. Aux scènes qui se répètent de manière légèrement différentes dans Marienbad font écho les objets qui se répètent à l’écran dans les films plus réalistes tel que le trousseau de clé dans Muriel. Dans La guerre est finie, la vie de Diego n’est-elle pas une éternelle répétition ? « Tu es passé ; une nouvelle fois tu regardes la colline…tu franchis cette frontière, une nouvelle fois… ». Prédal met en évidence que « Toute tentative de diversion ou de séquence annexe est donc impossible car la labyrinthe ramène toujours ceux qui s’y hasardent au centre de la figure, c’est-à-dire au sujet du film. ». En effet, tout ramène au cœur du labyrinthe : le sujet du film. Toutes les conversations surprises dans L’année dernière à Marienbad font écho à l’histoire principale. Un couple discute et leur conversation ressemble étrangement à celle de A et X « Vraiment, cela semble incroyable. Nous nous sommes rencontrés, déjà, autrefois. »
le film, une chasse au trésor : la recherche du secret de l’oeuvre
Pour Resnais, il ne s’agit pas de rompre avec le récit, mais bien au contraire d’en multiplier les modes et ainsi d’accroître les possibilités romanesques. A cet égard, les trois intrigues de La vie est un roman ou le « ou bien ou bien » de Smoking/No Smoking sont exemplaires. La composition, au sens le plus musical du terme, permet à Resnais d’ouvrir le cinéma à la fragmentation, au multiple, à la polyphonie, à la virtualité et à la recomposition de ce matériau éclaté. Le spectateur est face à un ensemble d’affects, d’histoires de souvenirs, de pensées, de mots, d’images qui intègrent la multiplicité du monde… Il s’agit de recomposer cet ensemble à la manière d’un puzzle qui donne à voir la complexité de l’homme moderne et de son histoire. Autant que de composition, on peut parler de mise en réseau des récits et des sentiments dont le metteur en scène est un architecte et le spectateur une sorte d’opérateur qui peut « cliquer » sur les différents possibles de ce labyrinthe narratif. Je t’aime je t’aime est cette « spirale spatio temporel » en « perdition » , pour reprendre les termes de R. Benayoun qui nous enferme dans un labyrinthe d’hypothèses et de re-construction perpétuelle. Resnais a d’abord envisagé la version totalitaire de la programmation et son horreur pure -Les camps, la bombe atomique- avant de lancer lui même des hypothèses en résonance avec la science contemporaine, ses principes d’incertitude et ses sous-ensembles flous, qui introduisent l’aléatoire dans la machine. Ainsi, le hasard, source d’angoisse dans Marienbad et surtout dans Muriel, devient ensuite dans Je t’aime, je t’aime, Mon oncle d’Amérique ou Smoking/no smoking, la source et le principe d’une nouvelle liberté pour l’homme contemporain ; au labyrinthe s’est substitué le diagramme.Thierry Jousse conclut son analyse en se demandant si « la mélodie secrète, cette part de la réalité qui nous échappe et qui nous hante, qu’on pressent chez Stavisky, n’est-elle pas en dernière instance le véritable objet de la quête d’Alain Resnais ? Ses dispositifs, parfois très proches des mathématiques, n’ont-ils pas pour fonction de capturer cette mélodie secrète, bien plus profonde que les apparences de la profondeur ? »
Le labyrinthe de l’appartement Muriel ou le temps d’un retour , 1h48min40 – fin Simone, à la recherche d’Alphonse, pénètre dans l’appartement d’Hélène. Espace labyrinthique où à chaque pas, le personnage découvre une nouvelle porte menant à un nouveau lieu ou la faisant revenir à son point de départ : le salon. Par un travelling, unique plan mobile du film, le spectateur accompagne le personnage dans sa quête de réponses. Elle ne trouve pas Alphonse, ni quiconque qui pourrait lui expliquer la situation. Le personnage est enfermé dans le labyrinthe qu’est cet appartement sans en trouver la sortie. Cet espace est la métaphore du labyrinthe de l’histoire. Les portes donnant sur des chambres vides vont penser à tout les bourgeons d’histoires que Alphonse a inventé. Cet espace est toujours instable en acquérant toujours une nouvelle configuration par les meubles qui arrivent et qui partent, par l’ancien et le moderne. Cet espace devient le symbole de l’égarement des personnages entre le passé et le présent tel Bernard et Hélène. |
Bibliographie :
Alain Resnais Liaisons secrètes, accords vagabonds, « Le terrier » Suzanne Liandrat-Guigues, Jean-Louis Leutrat
L’itinéraire d’Alain Resnais, « Un espace labyrinthique », René Prédal
Filmographie :
L’année dernière à Marienbad, 2min16-6 min ; 9min45
Muriel ou le temps d’un retour : 1h48min40 – fin
La Guerre est finie : 16 min ; 42 min-43min30
M… MUSE
La muse chez Resnais n’est pas seulement une femme magnifiée par le poète et source de son inspiration. Elle est une compagne, un alter ego, à la fois obsédante et mystérieuse, mais aussi figure de l’amour fou ; marquée du sceau de la connivence et de l’indépendance, porteuse d’un projet commun idéal.
L’année dernière à Marienbad La Guerre est finie Hiroshima mon amour
Muse et surréalisme
L’œuvre de Resnais est fortement influencée par le surréalisme, et la figure féminine accède souvent au statut de muse en ce sens qu’elle est l’expression de l’amour fou, théorisé par Breton et cher au cinéaste :« je suis pour l’amour fou, malgré la part de mythe et mystification qu’il comporte. Et je tiens Breton pour un des plus grands poètes de l’amour ». L’amour fou de Breton consiste en la fusion des cœurs et une relation charnelle passionnelle. Le montage de Resnais est lié à l’esthétique surréaliste, et dans la description de la femme aimée on retrouve cette influence. En effet, la passion vouée à la femme par les surréalistes est représentée au moyen de la fragmentation, de l’adoration métonymique pour des membres du corps féminin. Ainsi, retrouve-t-on dans les scènes d’amour une fragmentation des corps révélatrice de cette passion charnelle. Dans La guerre est finie, la séquence avec Nana en est la plus frappante illustration, avec d’une part la réification du corps de la jeune femme eu travers du découpage de son corps par le montage et le cadrage, et d’autre part une déréalisation sublime, produit de cette fragmentation, mais aussi de l’effacement du décor. Les parties érotiques du corps de Nana font converger passion charnelle et pureté d’un amour idéal. Dans le même film, les inserts sur les mains de Diégo et Marianne lors de leurs retrouvailles s’inscrivent dans cette perspective et font de l’acte sexuel un événement de pure communion, de construction d’un avenir commun, thématique chère aux surréalistes. Aussi, la dimension charnelle et pure de la femme aimée met en œuvre l’imaginaire et le fantasme au cœur du réel. L’apparition érotique d’une femme dans la salle de bain de Rider est à la fois l’empreinte du mélange du réel et du fantasme dans le réel, et par le jeu des miroirs, elle est fragmentée et semble irréelle : « je vais prendre les deux » déclare le poète quand il n’y a qu’une intéressée dans la pièce. On peut parler de muse pour qualifier ce personnage féminin non seulement parce qu’elle incarne un fantasme érotique, mais aussi en vertu de l’inspiration poétique qu’elle dégage, Claude Ridder étant le poète désœuvré par excellence, et dont sa poésie, comme celle de Sternberg, est celle d’une dérision vis-à-vis du quotidien le plus banal. Cette muse inspire ainsi une profonde insatisfaction poétique, un manque d’absolu poétique qui mène le personnage au suicide. Muriel dans le film au titre éponyme évoque les méandres de l’imaginaire torturé de Bernard. Dans L’Année dernière à Marienbad, c’est une muse qui se caractérise par l’obsession qu’elle provoque au travers d’un montage répétitif, et dont la fragmentation psychologique, avec le motif évolutif de la chambre en particulier, est à la fois un idéal féminin insaisissable et énigmatique, induisant une recherche poétique dans le film.
femmes énigmatiques et mystérieuses
Les héros de Resnais sont le plus souvent des héroïnes. Et même si Diego est le protagoniste de La Guerre est finie, les corps de Nadine et de Marianne sont idéalisés. Malgré cette place essentielle que ces femmes occupent dans ses films, Resnais les a rendues énigmatiques. Jusqu’à la fin du film éponyme, Muriel reste une énigme pour le spectateur. Il ne devinera sa silhouette que sur une photo. Et même si on connaît son histoire, Hélène ne l’a jamais vue, elle est malade et elle ne l’est pas… Elle n’a aucune réalité physique dans le film. Pourtant, dans Hiroshima mon amour, c’est physiquement aussi que la Française est mystérieuse pour Lui. Sous la douche, il prend son visage et lui dit « tu es une belle femme tu sais ». Aussi, il l’a observée au café, et remarquait son ennui : « tu t’ennuyais de la façon qui donne aux hommes l’envie de connaître une femme ». Elle intrigue donc les hommes par sa manière d’être, elle est une énigme en soi. Romaine de Mélo est un mystère pour son mari puisqu’elle le trompe. Mais elle restera une énigme pour Marcel, jusqu’à la fin. Parfois, les personnages masculins de Resnais en viendront à faire des suppositions sur les femmes mystérieuses. On peut même en venir à se demander si, dans L’année dernière à Marienbad, si A n’est pas le seul fruit de l’imagination de X. Le doute plane sur la mort de Catrine dans Je t’aime je t’aime ; est-ce que Ridder l’a vraiment tuée ? Ou est-ce qu’il s’imagine l’avoir tuée ? D’ailleurs, il lui a dit : « Je crois que j’ai tenu à toi avant t’avoir vu, quelques secondes avant ». Ces mots signifient qu’elle était déjà une obsession, même avant de la rencontrer. Et qu’elle le restera, sans que Ridder ne puisse trouver de réponse à l’énigme que pose cette femme. La scène de la conversation téléphonique dans la cabine qu’il a avec elle est révélatrice.
Étude d’extrait La conversation téléphonique entre Ridder et Catrine Catrine apparaît dans cet extrait comme une femme très complexe, qui donne du soucis à Ridder. En effet, cette conversation téléphonique dans la cabine montre une Catrine qui se plaint de ne pas pouvoir dormir. Elle dit : « J’ai terreur », ce qui ne semble avoir aucune signification pour Ridder. Il n’y trouve aucune logique, ce qui montre qu’il est lui très pragmatique. Il se rapporte à « ce qui se dit », c’est-à-dire « j’ai peur ». Cependant, elle ne semble pas se sentir dans cet état là. Catrine insiste sur le fait qu’elle a un œil qui veut lire, et l’autre qui veut dormir. On peut s’intéresser précisément au son de sa voix au téléphone. Elle n’est pas assoupie, étouffée, comme on pourrait l’attendre par une tradition cinématographique. Car c’est Ridder que nous voyons à l’écran pendant tout l’extrait, en plan fixe. La conversation téléphonique habituellement met en avant l’interlocuteur à l’autre bout du téléphone par une voix sourde, étouffée. Ici, la voix de Catrine est partout, comme surplombante. Puisque Catrine lui paraît incompréhensible, Ridder répond « Tu es complètement… je ne sais pas ce que tu es, mais tu es quelque chose complètement ». Cela montre bien que Catrine reste une femme énigmatique pour lui, qu’il n’arrive pas lui-même à la caractériser. Malgré tout, elle reste une obsession pour lui puisqu’elle est « quelque chose complètement ». |
Bibliographie
L’itinéraire d’Alain Resnais, René Prédal
Filmographie
Hiroshima mon amour
L’année dernière à Marienbad
Muriel ou le temps d’un retour
Je t’aime je t’aime
La Guerre est finie
Mélo
N…NOYADE
« Ce qui me plaît dans la mort, c’est la paresse de la mort, cette fluidité un peu dense et engourdie de la mort, qui fait qu’en somme, il n’y a pas de morts, mais uniquement des noyés. » dit Stavisky d’après une pièce de Giraudoux. La noyade est en effet un thème omniprésent dans la filmographie de Resnais que ce soit par la reprise du thème mythique de l’inconnue de la Seine, par la représentation du suicide ou encore par un imaginaire de l’eau considérable.
Hiroshima mon amour
Je t’aime je t’aime
Mélo
L‘inconnue de la Seine
L’inconnue de la Seine est le mythe d’une femme noyée dans la Seine qui a longtemps nourrie l’imaginaire littéraire et artistique. Maurice Blanchot parle d’une « adolescente aux yeux clos, mais vivante par un sourire si délié, si fortuné […]qu’on eût pu croire qu’elle s’était noyée dans un instant d’extrême bonheur », Paul Eluard écrivit à André Breton qu’il avait rêvé d’elle, Jules Supervieille en fit l’une des nouvelles de son recueil l’Enfant de la haute mer, Aragon fait de la « Joconde du suicide » le thème essentiel d’Aurélien, Nabokov ou Didier Blonde également s’en sont fortement inspiré. Cette Ophélie moderne devient donc l’image culte de la femme noyée que Resnais reprend à son compte également. L’image la plus évocatrice serait sans doute celle de Romaine dans Mélo qui, à cause d’un chagrin et d’un dilemme trop lourd, ne trouve pas d’autre solution que de se donner la mort dans la Seine. Au début du film se dégage déjà « ce petit visage pur et fier » qui est comme un masque. Le seul plan d’extérieur dans ce film est cette plongée nocturne sur les eaux de la Seine dans « ce grand fossé noir » comme l’écrit Aragon. De manière plus imagée, Emmanuelle Riva dans Hiroshima mon amour est une noyée. Prise entre la Loire et le fleuve Ota, la Française plonge tantôt dans le fleuve de ses souvenirs de Nevers, tantôt elle est emportée par le fleuve Léthé. Outre ces deux figures exemples, il y a une noyée dans l’Amour à mort, et deux noyés dans Je t’aime je t’aime sans oublier les mots de Claude Ridder à l’encontre de Catrine «Tu sens la marée basse, la noyade, la pieuvre ». Ridder, coincé dans sa sphère, est comme englué dans une gangue qui semble animée d’une vie propre, il ressemble à ces personnages qu’on recouvre de sable, lors des jeux de plage, et ce n’est peut-être pas un hasard si l’image de la plage est omniprésente dans le film. Ce qu’il vit est cependant bien plus dramatique, car son ensevelissement s’apparente à un enterrement vivant, ou à une lente noyade qui met à jour les pensées suicidaires du personnage.
Le suicide
« Le suicide, c’est excellent pour la santé ! » dit Claude Ridder en essayant de mettre une distance pour éviter tout pathos. Les personnages resnaisiens sont lazaréens et gardent les troubles tels que le mal de vivre, la déprime, l’instabilité, l’hésitation qui les poussent souvent au suicide ou à envisager le suicide, comme c’est le cas de Stavisky obsédé par le suicide de son père. Outre le double suicide de Claude Ridder, Van Gogh lui aussi met fin à ses jours « le 27 juillet, 1890 » la voix off nous dit qu’il est « trop jeune pour connaître sa gloire mais sur d’elle au milieu d’un champ devant son chevalet, Van Gogh se titre une balle dans le cœur. ». Dans L’Année dernière à Marienbad parmi l’une des interprétations de la statue présente dans le jardin les « personnages » « viennent d’arriver en haut d’une falaise abrupte. Il retient sa campagne, pour qu’elle ne s’approche pas du bord, tandis qu’elle lui montre la mer, à leurs pieds, jusqu’à l’horizon ». Un recadrage transforme un bassin en vaste étendue marine. Le suicide est donc imagée par la noyade. La mort et l’eau s’entrecroisent intimement, tout comme la mort donne à voir la finitude de l’homme, la mer selon les propos de Françoise dans Muriel est « le bout du monde. »
L‘imaginaire de l’eau
L’imaginaire de l’eau se présente parfois de manière oblique chez Resnais. Dans toute la mémoire du monde, la BnF se présente comme un sous-marin. Ghislain Cloquet note d’ailleurs que « Resnais voulait qu’on traverse la Nationale « comme dans une fusée , ou comme un poisson dans l’eau ». Cette traversée dans les profondeurs des eaux font que la mer est présente dans Stavisky, Providence, Mon Oncle d’Amérique ou encore dans Muriel, les personnages sont comme obsédés par elle. Françoise, lors de sa sortie avec Bernard demande : « On va voir la mer ? », puis, lorsqu’ils sont sur la plage elle s’interroge : « Où est la mer ? Elle a disparue. ». Cette thématique de l’eau se trouve également dans Hiroshima mon amour sous un aspect à la fois musicale, auditif, visuel et symbolique de celui du fleuve qui coule et qui rappelle le vieux topos du « temps qui coule ». Tout est envahi par une atmosphère liquide, une atmosphère de profondeurs sous-marines. L’eau qu’elle soit sous l’aspect de la neige dans L’amour à mort ou Cœurs, de brouillard comme l’évoque Nuit et Brouillard, ou sous l’aspect de la pluie, s’épanche dans les films de Resnais. Diego dans La Guerre est finie évoque un « langage magique pour faire tomber la pluie », les rues sont mouillées dans Hiroshima mon amour ou dans Muriel, Ridder se trouve sous la pluie au bord de la mer, alors qu’il vient juste d’évoquer le beau temps sans oublier l’eau qui ruisselle sur les murs du sous-sol humide de Nevers, tout comme le sang coule sur les doigts de la Française. Enfin, l’image énigmatique du début d‘Hiroshima mon amour où les corps sont enlacés et couverts de sueurs pareilles à la rosée, si ce n’est une pluie de cendres atomiques. Mais si l’eau est si importante dans la filmographie de Resnais, c’est qu’elle représente avant tout ce que Deleuze nomme les « nappes » du temps. L’eau est alors plus qu’une simple thématique, c’est ce par quoi les temporalités se fondent. C’est pourquoi, lors du trajet de la gare à l’appartement au début de Muriel, la phrase banale de Françoise : «Il pleut. J’ai reçu une goutte », fait de la goutte le symbole du temps d’un retour.
Hiroshima mon amour : scène du bar , 44’22-49’34
La Française et le Japonais bavardent au café du Fleuve, au bord d’une eau qui envahit la scène grâce aux reflets clairs qui ondoient sur les vêtements et les visages des protagonistes. En effet, la Française est éclairée alors que le visage du Japonais est dans l’ombre. L’idée d’une lumière liquide finit par s’imposer et à se lier à l’eau qui coule le long des murs de la cave de Nevers que la Française, en plongeant dans les nappes de passé, met à jour. La Française est alors dans cette scène une véritable noyée. Elle éprouve une attirance mystérieuse pour la Loire qu’elle qualifie de « si belle », « si douce », qu’elle essaie de remonter à contre courant pour retrouver son amour de jeunesse. Mais si l’atmosphère liquide la plonge dans les profondeurs de son passé, elle reste agrippée aux mains du Japonais et boit avec empressement son verre de bière qu’on pourrait lier à l’eau de l’oubli puisqu’ immédiatement après elle dit : « Après je ne sais plus rien ». Mais les souvenirs semblent comme submerger la Française la menant à une douce noyade, c’est pourquoi son amant la tient sans cesse par la tête comme pour lui permettre de garder la tête en dehors de l’eau, en dehors de ses souvenirs. Enfin, c’est seulement la gifle du japonais qui permet de faire émerger de nouveau la Française noyée dans sa mémoire. |
Bibliographie :
Liandrat-Guigues/ Leutrat : Alain Resnais Liaisons secrètes, accords vagabonds : «Eau » p. 112 ; « L’inconnue de la Seine » p.116
Jean Drouin : Alain Resnais : « Mélo » ; « Suicide »
Gilles Deleuez Image-Temps
Filmographie :
Hiroshima mon amour 1959
Muriel ou le temps d’un retour 1963
Je t’aime je t’aime 1968
Stavisky 1974
L’amour à Mort 1984
Mélo 1986
O… Orphée
Orphée, tout comme Lazare, revient de parmi les morts. Il est l’inventeur de la poésie et des arts, il incarne par excellence la fonction lyrique en art. Chez Resnais, la figure d’Orphée est aussi bien présente au travers des personnages lazaréens et l’empreinte omniprésente de la mort que dans la présence du surnaturel qui lui est liée.
Muriel Nuit et brouillard Je t’aime, je t’aime
Un monde concentrationnaire
Resnais est lié aux romanciers et artistes de l’après-guerre qui ne perçoivent pas la possibilité d’un monde lavé des affres de la guerre et dans lequel une vie libre et insouciante serait possible. A ce propos René Prédal paraphrase jean Cayrol : « l’univers des romanciers s’identifie donc à un monde concentrationnaire et leurs personnages à ses prisonniers. ». Le monde que représente Resnais soumet en effet ses personnages à des déterminismes puissants et annihile leur capacité d’exister par eux-mêmes et d’exercer leur propre volonté. Les protagonistes des films de Resnais sont objectivés, ils ne sont jamais sujets. Ainsi, dans L’Année dernière à Marienbad , les personnages sont caractérisés par une léthargie qui les extrait de toute temporalité définie, dans un château dont les décors saturent le cadre et écrasent,les acteurs qui semblent autant prisonniers de leurs esprits que de cette bâtisse, prison dorée se substituant au monde extérieur ainsi qu’à leur propre intellect. L’expérience des camps de la mort détermine l’existence de l’humanité et si d’une part elle engendre une apathie et une liberté réduite dans le temps présent, d’autre part elle explique une destitution de la condition humaine et des valeurs traditionnelles de l’héroïsme. Généralement, les personnages inscrivent leur existence dans un flot continue de réel banal qui annihile toute possibilité de se démarquer, de réaliser de grandes actions ou de mettre en pratique une idéologie. C’est le cas pour Hélène et Alphonse dans Muriel, ou le temps d’un retour qui sont pris tout entiers dans l’immanence du présent et des choses et ne se perçoivent pas du tout dans la possibilité du progrès de leur existence. De même, Diégo dans La Guerre est finie, bien qu’il tente de vivre selon des idéaux révolutionnaires et de s’engager pleinement dans l’action, est lui aussi caractérisé par l’incertitude et est agi par son destin. Ses multiples identités et la routine de son combat en font un homme incertain, ne voyant pas les fins de son combat jusqu’à douter de ses convictions, alors même qu’il n’est pas capable de convaincre ses camarades. En découle la dévalorisation de toute hiérarchie entre les êtres et les choses du monde propre au Nouveau roman, perceptible dans une composition chaotique, souvent dé-chronologique ou en tous cas marquée par un nivellement fort. Ainsi, toujours dans Muriel, le film s’ouvre sur une multitude de plans en inserts, autant de fragments de la vie quotidienne qui destituent toute valeur dans la représentation du monde. La narration chaotique de Marienbad ou plus encore celle de Je t’aime, je t’aime, attestent de l’incapacité de donner une valeur à un réel imprégné du souvenir inhumain des camps.
Un monde qui semble irréel, car invivable ? Le temps impossible du retour :
Les personnages de Resnais sont, en somme, tous des rescapés des camps de concentration, ils incarnent la condition humaine de l’après guerre en manifestant leur incapacité de vivre dans un monde devenu invivable. Nuit et Brouillard donne le ton à la condition des personnages de Resnais : « il y a celle dont la chair sera marquée pour la vie, malgré le retour », ou encore « sont-ils délivrés ? la vie quotidienne va-t-elle les reconnaître ? », dénotent de cette vie impossible après l’expérience concentrationnaire imprimée dans le présent et dans les destins. Les personnages comme Orphée ou Lazare reviennent littéralement à la vie mais sont incapables, après avoir vu l’Enfer, de continuer de vivre. Bernard dans Muriel est typiquement un personnage lazaréen dans le sens où le temps du retour pour lui est celui de la culpabilité et de la perte totale de sens vis-à-vis du réel, qui le mènera au meurtre, et qui le fait vivre aux côtés du fantôme de Muriel qu’il a assassinée en Algérie. Le retour est donc marqué par la déréalisation. L’amour à mort est le film qui traite le plus directement de la condition du personnage lazaréen, avec le personnage principal Simon qui ressuscite dès le début du film qui questionne alors la possibilité d’un retour à la vie. La résurrection de Simon en fait un être déconnecté du réel et qui n’aspire plus qu’à retourner dans les limbes. Le surnaturel est omniprésent avec le mystère insoluble de ce retour à la vie. Dans Je t’aime, je t’aime, Claude Ridder revient lui aussi après sa tentative de suicide. La machine à remonter le temps et la dimension surnaturelle qu’elle comporte dans le film signifie l’incapacité de vivre dans le présent, et le voyage dans le temps de Ridder le mène à nouveau à la mort, le suicide étant inéluctable et la conséquence logique de son existence et de son supposé échec amoureux, qui lui-même n’est peut-être qu’une projection de son esprit réticent à la réalité.
Un cinéma poétique ?
De ce glissement dans l’irréel nous pouvons voir en dernière instance chez Resnais l’empreinte du surréalisme. Jean Cocteau avec son Orphée en 1959 avait fait de cette figure mythique le manifeste de sa vision poétique et surréaliste du monde, et il est possible en ce sens de se demander si Resnais réalise des films poétiques. Pour Cocteau, Orphée met en œuvre un passage du réel à l’irréel poétique comme le prouve la séquence du miroir. La poésie chez Resnais prend en premier lieu forme sous le prisme de cette abolition de la rationalité du réel. Le démontre la séquence dans Je t’aime, je t’aime où Ridder se retrouve face à une nymphe dans la salle de bain et dont l’apparition remet en question la réalité des visions du personnage, subjectives au point d’être des projections de son intellect, expliquant ainsi la possibilité de l’inexistence de Catrine. Dans Hiroshima mon amour, les plans en insert sur les corps scintillants de poussière nucléaire attestent de cette volonté esthétique de déréalisation du réel et de la représentation poétique du monde, dont les réalités historiques sont retranscrites indirectement au travers de la métaphore. En outre, la qualité poétique du cinéma de Resnais se retrouve dans la composition de ses films dont le montage signifie comme en poésie au moyen de la récurrence des symboles et des images allégoriques qui se substituent à une narration linéaire. Toujours dans Hiroshima, le motif du jardin, d’où est assassiné l’amant de Riva, exploité par Duras devient un élément récurrent dans la narration, et comme le dit l’écrivaine, il représente la quotidienneté de la guerre et son aspect absolu de par sa banalité : « c’est un jardin comme n’importe lequel à Nevers. ». Dans L’Année dernière à Marienbad, c’est le motif obsessionnel de la chambre qui signifie l’évolution psychologique de X. La forme transcende, comme en poésie, le fond et donne une valeur symbolique au réel montré. Par ailleurs, Orphée c’est aussi la figure de l’inspiration du poète et si Resnais ne met pas directement en scène cette exaltation du poète, il convoque pour chacun de ses films des écrivains scénaristes dont la perception du monde se superpose à la sienne. Les films de Resnais sont empreints de l’idéal d’autres artistes poètes. Marguerite Duras insuffle à Hiroshima son verbe très particulier, Jean Cayrol en tant que déporté ajoute au texte de Nuit et Brouillard une dimension vécue, et justement lazaréenne, qui approfondit le sens et inspire Resnais.
Je t’aime, je t’aime : 1h 18min 40 sec à 1h 21min 29 sec : Les scientifiques viennent d’annoncer que « tout est perdu » pour Ridder. Il est condamné à mourir une seconde fois. Il devient alors pleinement lazaréen et pas seulement Orphée revenu des Enfers (ayant pu revoir son passé constitué par le souvenir de son amante Catrine-Eurydice), dans le sens où lui-même est frappé par l’impossibilité de vivre. On assiste ainsi à un monologue clé de Ridder en gros plan et en quasi regard-caméra où il explique et se remémore la mort de Catrine. S’il ment en se désignant comme coupable de cette mort dans un premier temps, il admet enfin sa dimension accidentelle, ce qui renforce l’idée que Catrine n’est qu’une projection de son esprit en souffrance et qu’il porte en lui la marque d’une vie impossible frappée du sceau de la souffrance, de l’incompréhension du monde. Il explique avoir vu Catrine sourire pour la première fois dans son sommeil et que cette mort a été pour lui au moment de sa révélation un soulagement, de courte durée car elle le mène au suicide. La vie apparaît alors pour le personnage comme une avancée inéluctable vers la mort et qui ne vaut plus la peine d’être vécue. Sa mort finale est alors nécessaire, et tout comme Orphée et Lazare, Ridder, qui revoit sa défunte amante et les Enfers, n’est plus capable de vivre. |
P… PINCEAU
Il n’est pas anodin de constater que les premiers films de Resnais sont essentiellement des films d’art : les visites aux artistes, puis les documentaires témoignent de l’amour que porte Resnais à la peinture, et même pour l’objet d’art en général. Mais dans ses films, la peinture ne se substitue pas au cinéma : elle le complète, le magnifie, et le cinéma lui fait prendre une toute nouvelle dimension.
Visite à Boumeester Van Gogh L’année dernière à Marienbad
La fascination pour l’acte de création :
Ce qui intéresse Resnais tout particulièrement ce n’est pas le contenu même de l’œuvre d’art, mais tout le processus qui a conduit à son aboutissement. Aussi, on retrouve tout le long de sa filmographie une réflexion sur l’art et la nature que son rapport à l’artiste lui confère. « Les visites », qui comptent parmi les premiers films de Resnais, marquent une volonté de partager ce goût de la création, de la rendre accessible au public. La caméra ici permet d’animer le tableau en montrant le mouvement qui le façonne. Dans Les statues meurent aussi, le cinéaste cherche à arracher le spectateur de sa vision occidentale de l’art en nous y présentant un rapport tout autre. Dans la culture africaine, le quotidien et l’art se mélangent, à l’image de cette cuillère en bois ornée d’un corps sculpté ; il n’y a pas de séparation entre profane et sacré, puisque tout objet créé renvoie à l’acte de création originel, et est par conséquent sacré. Le profane, lui, entre en jeu quand on met cet art sous vitrine : tout le but premier de l’art africain est alors dénaturé, et le spectateur n’a face à lui plus que des bibelots de curiosité. Il y a alors une réflexion sur la place du spectateur dans la confection de l’œuvre d’art, ou plutôt dans la valeur qu’il peut lui attribuer lorsqu’elle échappe à l’artiste pour être exposée. La fin de Gauguin le montre bien : après la vie de l’artiste relatée à travers ses tableaux, la caméra part en travelling arrière et laisse voir le cadre entourant le tableau ; c’est le moment où « l’œuvre échappe à l’homme et pénètre dans l’art » (Benayoun)
Créer une œuvre à partir d’une autre :
« Il s’agissait de savoir si des arbres peints, des personnages peints, des maisons peintes pouvaient grâce au montage remplir dans le récit le rôle des objets réels et si, dans ce cas, il était possible de substituer pour le spectateur le monde intérieur d’un artiste tel que le révèle la photographie » disait Resnais à propos de Van Gogh. En effet, les peintures de Van Gogh ne sont pas le support d’une analyse picturale et biographique de son œuvre, ce dont témoigne l’utilisation du noir et blanc contrastant avec son style très coloré. Resnais, par cette démarche, cherche à unifier les tableaux afin d’en tirer une plus grande liberté de création, de pouvoir les associer les uns aux autres sans créer de dissonance. Car ce film d’art n’est pas un film sur l’art, mais bien sur le mythe de Van Gogh et de sa folie. A travers les toiles, le cinéaste retrace le parcours psychologique d’un peintre pris de visions enfiévrées ; il montre la déformation progressive du monde, le sentiment d’enfermement qu’il ressent dans sa chambre de l’asile… Ici, et comme dans le reste de sa filmographie, ce sont les mouvement de la pensée et de l’inconscient qui sont au centre du film. Dans Guernica, l’art ne sert pas non plus un discours autotélique, mais un propos plus politique : le texte de Paul Eluard, la voix élégiaque de Maria Casares, le tout accompagné par un montage sec et brutal sont là pour magnifier l’horreur de l’œuvre de Picasso. Les deux œuvres semblent alors se répondre et s’amplifier l’une l’autre dans leur dénonciation de la barbarie franquiste.
La peinture dans l’intérieur :
Chez Resnais la peinture n’est pas qu’un argument principal. Elle peut en effet se faire plus discrète, plus ornementale mais non moins dénuée de sens. On retrouve l’argument pictural dans les intérieurs, à l’image des peintures dans Je t’aime je t’aime. Ce sont des peintures abstraites qui décorent les intérieurs, une abstraction qui rappelle la fragmentation des souvenirs de Claude, mais dont les couleurs se font aussi écho. C’est le tableau bleu dans la maison en Écosse avec la femme dans les miroirs, et les tableaux de couleur ocre, bleu et noirs lorsqu’il révèle qu’il a tué Catrine. On retrouve une utilisation de l’art et des tableaux dans L’année dernière à Marienbad : ils font office de choses figées, témoins d’une réalité passée ; ils se confondent avec les personnages, comme des reflets, des faux-miroirs. Ils ont aussi plus que nulle part ailleurs une place ornementale : que ce soit pour agrémenter le décor dont l’artificialité et le faste rappellent les hôtels allemands ou pour décorer les plafonds somptueux des palais où a été filmée l’œuvre, qui écrasent les personnages.
Guernica 7:09 – 8:05
Première fois où l’on voit un bout de la peinture de Guernica. Elle est morcelée, en même temps la peinture est de taille gigantesque. On voit juste la lampe (un symbole fort) qui clignote. On a une succession d’images : un regard , la lampe, un regard. Le cut est rapide puis un léger fondu au noir aussi très bref donne un sentiment d’urgence, un côté saccadé et violent qui confère une impression de mouvement aux images, en plus de la musique violente et de la voix qui récite un texte fait de mots courts et secs (« bombes »). Les images, elles, sont comme une illustration de ce que la voix dit. On s’arrête avec violence sur un regard de face, puis on revient sur la peinture de Guernica, avec cette fois un visage qui hurle. La caméra glisse sur la peinture jusqu’à tomber sur une autre lampe dans la main d’un personnage, faisant écho à la première. Des explosions et des visages en négatif sont suivis par des regards et des mains. Les corps peints sont hétérogènes, morcelés, comme les morceaux de corps après une explosion. Les flashs sont encore plus rapides, on distingue à peine les choses qui s’impriment sur la rétine. Ce qui est intéressant dans cet extrait, c’est qu’un ne voit que des peintures : les premières images sont très détaillées, réalistes et, au fur et à mesure que l’on avance, les formes vues à l’écran sont de plus en plus abstraites. Cela pourrait symboliser la destruction des corps et des gens. Les cuts finissent encore plus rapides qu’avant, et on retourne sur le symbole de la lampe qui clignote, la première. Puis une explosion. Fin de la séquence.
Bibliographie :
Alain Resnais arpenteur de l’imaginaire, Robert Benayoun
Alain Resnais, Douin
Alain Resnais, René Prédal, chapitre II « Un art au service d’un autre »
Filmographie :
Visites
Van Gogh (1948)
Gauguin (1950)
Guernica (1950)
Les statues meurent aussi (1953)
L’année dernière à Marienbad (1961)
Je t’aime je t’aime (1968)
Q…QUAND ?
Lorsque Ridder rencontre le chef du centre de Crespel, ce dernier lui dit : « les problèmes d’agriculture nous sont complètement étrangers, notre unique sujet d’étude c’est le temps. » Ainsi, le temps apparaît, dans Je t’aime je t’aime, et en général dans la filmographie de Resnais, comme une de ses plus grandes préoccupations et sujet d’expérimentation.
Je t’aime je t’aime
Muriel ou le temps d’un retour
Hiroshima mon amour
Le temps individuel
Chez Resnais, la capacité humaine de mémoire est plutôt de l’ordre de la conscience. Au delà d’un seul souvenir, c’est une modalité de la pensée : « ce qui m’intéresse dans le cerveau c’est cette faculté extraordinaire que nous avons de s’imaginer ce qui va se passer et de se souvenir de ce qui s’est passé. » Ainsi le cerveau humain va au delà de la mémoire, c’est aussi une capacité de « s’inventer des scenario ». La mémoire ainsi vue par Resnais est une subjectivité de l’Histoire. Chaque personnage dans Muriel est marqué différemment par un aspect du passé. Le retour d’Alphonse auprès d’Hélène fait resurgir leur passé commun, leur histoire d’amour. D’ailleurs, Alphonse semble recomposer son passé à la demande. Aussi, il s’agit d’un passé traumatique pour Bernard, qui est obligé de tuer Robert afin de passer à autre chose. Tout cela reste très lointain et incertain pour le spectateur, on remarque une distanciation nécessaire et constante. Certains mystères ne seront jamais résolus : l’histoire de la lettre ou encore qui est vraiment Muriel. Le temps individuel est une chose complexe chez Resnais. Dans Hiroshima mon amour, le temps individuel c’est celui du surgissement des images de Nevers. Le Japonais suscite une réminiscence des souvenirs (la main, la scène au Café du Fleuve…). Il s’agit bien de différentes « nappes » de passé selon Deleuze. Et ce sont deux nappes qui « cohabitent » d’une certaine manière. Il n’y a pas le temps du passé et le temps du présent, ce sont deux nappes qui sont comme simultanées. Traiter d’un temps individuel, finalement, insinue une perception individuelle du temps. Ridder dans Je t’aime je t’aime semble être le personnage le plus pessimiste vis à vis du temps qui passe chez Resnais. Au bureau, il constate : « Le temps passe pour les autres mais pour moi seul enfermé dans cette pièce il ne passe plus. Je suis hors-jeu, hors-temps, il est trois heures à tout jamais. » . Organisant des courses de montres, Ridder est complètement obsédé par le temps qui passe. D’ailleurs, tout ce qui s’est passé L’année dernière à Marienbad reste et restera la perception de X, qui ne peut et ne pourra jamais se confirmer.
La lutte contre un oubli inexorable
Le titre Toute la mémoire du monde confirme que la Bibliothèque Nationale contient tout ce que le monde a pu produire jusqu’ici. Le film se dévoile ainsi comme une « longue bataille contre la mort », une lutte contre l’oubli. Ce film est une méditation sur les effets du temps, l’érosion de la mémoire : le travail effectué à la BNF permet de restaurer, de « soigner » le matériel afin de la conserver soigneusement, de limiter l’action du temps. Faire un film sur « l’art nègre » a de façon évidente une portée anticolonialiste. Mais Les statues meurent aussi, c’est aussi une manière de faire de cet art un art permanent, qui gardera une trace dans l’histoire malgré le temps qui passe. C’est aussi la portée des autres documentaires d’art que sont Gauguin, Guernica et Van Gogh. En rendant hommages aux peintres, Resnais les inscrit dans une histoire collective. Le support cinématographique permet en soi de pallier à l’usure du temps. Nous avons dit que Ridder était obsédé par le temps qui passe. D’ailleurs, l’histoire de Je t’aime je t’aime est celle d’une machine à remonter le temps, qui ne marche pas parfaitement. Malgré tout, elle permet un retour dans le temps, pour un personnage qui a certainement peur d’oublier quelques moments de son passé.
« La mort et le néant »
Cette formule de Prédal nous fait penser que tous les films de Resnais sont, selon lui, un « cri contre la mort ». La mort triomphe sur l’amour et le temps dans Hiroshima, puisque les images du passé surgissent dans la ville d’Hiroshima, et ce sont celles de l’amant mort de la petite tondue de Nevers. Elle même sera déclarée comme morte, alors qu’elle est enfermée dans la cave, folle. La mort physique est omniprésente pour les personnages de Muriel ou La Guerre est finie. Muriel la torturée d’Algérie, les immeubles qui s’effondrent sont les souvenirs ou les symboles de la mort. De plus, elle est presque quotidienne pour Diego : elle fait partie du métier. La mort de Ramon est si soudaine, elle est annoncée par la voix-off à Diego, comme pour amoindrir le choc. Dans L’année dernière à Marienbad, X dit à A : « vous n’attendiez plus rien, vous étiez comme morte ». Malgré la référence temporelle dans le titre, nous n’arrivons pas à savoir où et quand se déroule l’action du film. Robbe-Grillet lui même disait : « X lui offre l’impossible dans ce labyrinthe, où le temps est comme aboli : il lui offre un passé ». L’hôtel est comme figé dans un espace-temps qui donne l’impression d’être hors-temps, hors-espace. Les gens ne s’y reconnaissent plus, mais seul X est identique…
Muriel, 55:08 à 59:08 La voix off de Bernard relate ce qui est arrivé à Muriel. « Personne n’avait jamais vu cette femme avant », dit-il dès le début de l’extrait. Les images qui défilent sont, on le suppose, celles qu’il a lui même tournées pendant la guerre d’Algérie. Elles montrent des soldats dans leur quotidien, se reposant ou à l’exercice. On les voit assis en groupe, à terre tirant au fusil, en ligne avançant vers la caméra… Aussi, elles montrent les villes, les paysages que les soldats ont traversés au cours de la guerre. Elles n’ont aucun lien avec ce que Bernard raconte. Effectivement, à aucun moment on ne verra Muriel, se faisant torturer par les soldats. Tout est décrit avec maints détails, le hangar, la femme qui semble endormie mais qui tremble de partout, ce que lui même a ressenti. « Je ne sais pas pourquoi mais ça ne devait pas être son nom ». Avec cet extrait, Bernard dévoile son passé mais dans le même temps reste dans le refoulement. Ce qui est dicible est trop dur pour être vu. « Un bras est comme tordu » : l’horreur présentée par Bernard transcende l’image, nous n’avons pas besoin de le voir à l’écran pour comprendre à quel point elle peut être traumatique pour Bernard. Surtout que juste après, il dit « il faut en finir ». Tout est clair dans la mémoire de Bernard, il se souvient de chaque détail, avec une grande précision. Le temps n’a donc aucun effet sur un esprit traumatisé. Mais il a de l’effet sur ce que l’on peut voir, ou ce que l’on n’arrive pas à voir plutôt. Pourtant, Robert qui a perpétré ce crime se promène à Boulogne, « comme tout le monde » |
Bibliographie
Itinéraire d’Alain Resnais, René Prédal, « Les ratures du temps »
L’image-mouvement, Deleuze
Filmographie
Muriel
Hiroshima mon amour
Toute la mémoire du monde
Les statues meurent aussi
Gauguin
Je t’aime je t’aime
L’année dernière à Marienbad
Guernica
Van Gogh
R…REPETITION
En 1980, Benayoun écrit « tout gravite autour d’un investissement du monde par le néant d’une pétrification, d’un ralentissement qui atteint l’ankylose, d’une répétition qui mène la musique éternelle des doutes, des méprises, des rencontres ratées, des injustices sans réponse. ». On pourrait donc dire que la filmographie resnaisienne est semblable au Thyrse baudelairien, le réalisateur privilégie la spirale au fil d’Ariane, c’est pourquoi la répétition qu’elle soit rime, réminiscence ou forme musicale, est centrale.
Je t’aime je t’aime L’année dernière à Marienbad Hiroshima mon amour
une fois de plus..
« une fois de plus je m’avance une fois de plus le long de ce couloir… », dit le narrateur dans L’Année Dernière à Marienbad. En effet, tout le film n’est qu’une série de reprises des mêmes sons que ce soit les coups de feux et les bruits des pas sur du gravier entendus, mais également les mêmes phrases, les mêmes images ( tir, chambre, les portes et les colonnes) ou encore les mêmes actes (le jeu, promenade dans le jardin) ou bien les mêmes gestes refaits plusieurs fois dans des lieux différents, Delphine Seyrig mettant sa main sur son épaule est le plus notable. Marienbad devient alors un monde clos où se répètent toujours une seule et même chose, à l’image de l’omniprésence des miroirs, tout se fait reflet et tout converge vers un seul point. En effet, l’aventure de A. et de Z. est reflétée par la pièce de théâtre du début, le comédien vient rechercher la comédienne dans un hôtel et un jardin figé, par le propos d’une femme à un homme « Nous nous sommes rencontrés, déjà, autrefois » (une personne), ou encore la gravure-tableau conforme au jardin. De même, dans La guerre est finie, dans le wagon-restaurant Diego déjeune à côté d’un couple dont la femme remarque « Si elle n’a pas réussi à joindre Lucienne, ce sera raté … » alors que lui-même vient de « rater » Juan. De même, Alphonse raconte à Hélène, dans Muriel l’histoire d’un homme assez faible qui a abandonné une femme en 1939, mais c’est exactement leur histoire. La répétition est une des constantes les plus tenaces de l’univers de Robbe-Grillet aux structures circulaires. De même, l’aventure d‘Hiroshima répète de plus en plus celle de Nevers à mesure qu’elle s’achemine vers son point de chute et le Japonais s’identifie à l’Allemand mort. Il devient « Tu » et Riva lui dit « Je t’oublierai comme lui », ce qui n’est pas sans rappeler le roman de Duras Moderato Cantabile où l’histoire d’Anne et de Chauvin va également peut-être répéter celle de ce meurtre passionnel inexplicable qui fascine le couple. Resnais met alors scène avec Hiroshima mon amour le mythe platonicien de l’amour du Banquet selon lequel on aime toujours la même personne. Une fois de plus, Emmanuelle Riva tombe amoureuse de l’Allemand « ré-incarné » dans le corps du Japonais. Ces constantes répétitions sont par ailleurs très employées dans le roman moderne parce qu’elles fournissent du mouvement au sein même de l’immobile et donnent du rythme aux descriptions atonales. La vie de Diego lui même est un éternel recommencement : « Tu es passé ; une nouvelle fois tu regardes la colline… tu franchis cette frontière, une nouvelle fois… » et son séjour à Paris répète d’autres nombreux voyages identiques, qui donnent lieu à une lassitude. C’est donc à une perspective pessimiste que ce motif de la répétition nous confronte puisqu’elle montre une condamnation de la condition humaine prise dans une « spirale de perdition » (R. Benayoun) où « ça recommencera », comme le dit Emmanuelle Riva dans Hiroshima…
réminiscences
A la manière des « déjà-vu » de Claude Simon, la répétition chez Resnais apparaît sous la forme temporelle de la réminiscence. Un chat blanc apparaît pendant qu’Emmanuelle Riva tourne la scène de son film à Hiroshima. Il vient entre elle et Eiji Okada, elle se penche vers lui et développe sûrement à ce moment le souvenir d’un autre chat du passé. Plus tard, lors de la réminiscence dans le Café du Fleuve, le chat noir sera son seul compagnon dans la cave de Nevers et résonne tragiquement avec celui d’Hiroshima. Un autre écho apparaît également à travers le vélo : une fois dans le musée Hiroshima et une autre fois à Nevers, ce qui permettait les rencontres secrètes. Ainsi donc, les deux temporalités restent profondément opposées, ne permettant pas de les confondre véritablement, ce qui crée un encrage plus élevé dans l’aspect narratif car, chez Resnais, il y a répétition, il y a surtout variations. A la manière de Claude Simon, le procédé de la réminiscence est repris à mainte reprises et apparaît comme fil conducteur de l’œuvre toute entière. Les strates temporelles s’agençant les unes sur les autres, les personnages sont comme perdus dans une temporalité qui n’est pas la leur et l’aventure se traduit par cette écriture. Dans Je t’aime, je t’aime, le brassage de toutes les images du passé de Claude Ridder rend proche ce qui était lointain et lointain le proche. Le passé et le présent n’ont donc pas de réelle valeur puisque ce qui compte véritablement, c’est justement de considérer que l’un puisse exister dans ou à travers l’autre. Ces instants accomplis et re-vécus presque dans un ordre aléatoire, ce sont en réalité une fragmentation de l’espace-temps au profit d’un présent dans le passé. Si bien que le présent du héros de Resnais n’en devient que du passé. Les nappes temporelles sont donc brassés dans la mémoire de Ridder, qui saute d’un instant à l’autre, et semble émerger d’un clapotement éternel qui est incarné par son amour pour Catrine. Le passé est d’autant plus difficile à saisir dans le présent qu’il apparaît sous plusieurs de nappes: l’apogée de l’amour se mélange au déclin de l’amour puisque le cerveau du personnage n’offre la mémoire que de ce qui surgit en lui. Par ce rapport ambigu au temps, l’aventure est en réalité le cheminement de l’écriture et non pas la narration du personnage. L’intrigue prendrait presque un enjeu inférieur dans ce moment de flottement temporel. Cela n’est donc pas sans rappeler les procédés d’écriture de Claude Simon, notamment dans son roman La Route des Flandres. Dans cette œuvre, l’écriture prend une place primordiale et constitue une véritable aventure. Simon affirme qu’il construit son roman comme « une immense parenthèse temporelle et un jaillissement d’images » ce qui peut s’appliquer à la démarche resnaisienne, qui à partir d’un seul découpage joue de la répétition et de la variation.
la fugue
« Souvent dans un découpage, je pars d’une image autour de laquelle se développe un mouvement d’autres » déclare Resnais. Le réalisateur envisage son œuvre sous le prisme de la composition musicale et plus particulièrement l’art de la fugue. On a en effet l’illusion de voir des scènes presque identiques dans lesquelles varient un infime détail . Il en est ainsi de la chambre aux décorations changeantes dans L’année dernière à Marienbad. Les échos visuels sont aussi observables dans Hiroshima mon amour. Les rapports entre le temps du passé et le temps du présent permettent de séparer par ces rimes visuelles deux temporalités différentes. La narration de l’œuvre est donc conservée puisqu’il s’agit de développer des réseaux organisés. Un chat blanc apparaît pendant qu’Emmanuelle Riva tourne la scène de son film à Hiroshima. Il vient entre elle et Eiji Okada, elle se penche vers lui et développe sûrement à ce moment le souvenir d’un autre chat du passé. Plus tard, lors de la réminiscence dans le Café du Fleuve, le chat noir sera son seul compagnon dans la cave de Nevers et résonne tragiquement avec celui d’Hiroshima. Un autre écho apparaît également à travers le vélo : une fois dans le musée d’Hiroshima et une autre fois à Nevers, ce qui permettait les rencontres secrètes. Ainsi donc, les deux temporalités restent profondément opposées, ne permettant pas de les confondre véritablement ce qui crée un encrage plus élevé dans l’aspect narratif, tout se dessine par le biais de la résonance. C’est pourquoi, on pourrait partir de la distinction théâtrale entre la répétition (on récite le même texte pour monter le mécanisme de la mémoire) et reprise (re-création), un entre-deux dans lequel la création resnaisienne prend lieu. S’il y a répétition, elle est toujours suivie d’une variation. C’est pourquoi, dans l’un des derniers films de Resnais on voit une succession de scènes identiques et des variations dans la répétition ; le même plan, une même scène mais avec un acteur différent à chaque fois, si répétition et imitation il y a, on tend toujours à modifier un petit quelque chose, d’où le titre : Vous n’avez encore rien vu.
Je t’aime je t’aime : une minute ordinaire La minute où Claude Ridder sort de l’eau est répétée à plusieurs reprises le long du film, ce qui donne tout le côté expérimental à ce film qui s’attache à la répétition. Sternberg parle d’un « bégaiement temporel ». Une première scène fonctionne comme un point d’accroche : « C’était bien ? » dit Catrine. La deuxième fois, la scène se développe comme une monade, elle se déplie : « Catrine : C’était bien ? Ridder : Très. Catrine : Tu as vu beaucoup de poissons ? Ridder : Deux serpents de mer, quelques requins, des méduses géantes », etc. Enfin, la troisième fois, on ne va pas plus loin que : « Tu as vu beaucoup de poissons ? ». La scène s’est repliée. On revient à 16h45. Et brusquement, on saute trois ans en arrière : Ridder atterrit en 1964, puis en 1959, en 1966, en 1951, etc… et à des heures très diverses : 22h, 16h, 11h… On dérive complètement, avant de retrouver les années 66 et 67 où nous, spectateurs, sommes « dans les coulisses », avec les savants. Plus tard, la scène de la plage sera reprise, brièvement, selon un autre angle de vue. Ridder va vers l’eau. Il se retourne vers Catrine : « Tu viens ? Catrine : Plus tard ». Resnais apprécie que les scènes correspondent à une sensation de déjà vu, qu’elles soient un peu annoncées. Bien sûr, l’insistance sur une scène, si elle n’était envisagée que comme un procédé du genre « exercice de style », pourrait faire basculer le film dans un avant-gardisme complaisant. Ce n’est pas le cas. Le leitmotiv : « C’était Bien ? » est doté d’un sens de l’inutilité théâtrale. Le spectateur à la limite sait au bout d’un moment que le film ne s’arrachera jamais vraiment à cette baignade définitive et pourtant ces répétitions n’ont rien d’exaspérant, de même que les brusques coupures, parfois au milieu d’une phrase. Finalement, la marche de Claude Ridder est à l’opposé des marches philosophiques et rousseauistes. Une question existentielle se pose : le monde est ressenti, mais d’essai en essai, on s’avise que tout ce qu’on peut dire de plus juste d’une chose se ramène à la chose même en une quasi-tautologie où l’on vérifie que le ciel est bleu, le soleil brûlant, la mer est bonne, de par cette « idiotie » du réel dont parle Clément Rosset. |
- . . Scène
« On va au théâtre, comme au cinéma, pour s’amuser ensemble. Je privilégie l’idée que le spectateur s’est assis deux heures dans le noir pour que je lui raconte une histoire, sans que j’essaye de lui faire croire que le décor n’est pas un décor, qu’il n’est pas dans une salle où l’on a éteint les lumières, que ce ne sont pas des acteurs ! » (Alain Resnais, dans son entretien avec Jean-Luc Douin).
L’Année dernière à Marienbad
Une relation étroite avec le théâtre
Si Resnais a d’abord, enfant, détesté le théâtre pour lui préférer le cinéma muet, il se laisse ensuite séduire par des dramaturges comme Georges Pitoëff, Charles Dullin, Louis Jouvet, Gaston Baty ou Jean Dasté, et dès lors refuse de choisir entre théâtre et cinéma. Il fréquente régulièrement les salles de spectacle et envisage même une carrière d’acteur (il s’inscrit au cours Simon et joue quelques pièces). Il apprécie les pièces de Jean Giraudoux (dont l’Intermezzo inspire Stavisky), Henry Bernstein, ou encore Sacha Guitry à qui il rend hommage avec son titre Je t’aime je t’aime. D’un bout à l’autre de sa carrière, son approche théâtrale du cinéma n’a cessé d’être renouvelée, liée à un goût certain pour l’artifice, que ce soit en adaptant des pièces, ou en reprenant des codes de la théâtralité : dans le jeu des acteurs, la structure des films et des séquences, la construction de l’espace… Il ne s’agit pas pour autant d’un simple « théâtre filmé»: son utilisation de l’art théâtral et sa maîtrise de la mise en scène se mêlent à un langage cinématographique recherché.
Dans Pas sur la bouche comme dans On connaît la chanson, les chants et les chorégraphies contribuent à créer l’effet théâtral souhaité par Resnais. Plus généralement, ils revendiquent cet héritage par l’entremise des récits qu’ils relatent: des chassés-croisés amoureux entre plusieurs protagonistes par lesquels tous se livrent au jeu de l’amour et du hasard avec les complications, les révélations et les quiproquos que cela suppose (comme s’ils étaient rescapés d’une pièce de Marivaux, dont l’une des plus célèbres s’intitule justement Le Jeu de l’amour et du hasard). Après deux adaptations théâtrales aux accents parfois tragiques ou graves (Mélo et Smoking/No Smoking), Resnais s’est renouvelé par de superbes vaudevilles joliment ludiques qui puisent dans une autre tradition théâtrale, plus populaire celle-là.
Décors & artifices
Comme au théâtre, Resnais accorde souvent un rôle symbolique au décor et aux objets : René Prédal analyse comment « les objets expressionnistes ou baroques évoquent plus souplement l’amour et la mort dans un dédale psychanalytique souvent ambigu » : les meubles et la vaisselle dans Muriel toujours en transit qui traduisent l’ancrage dans le passé et la matérialité vide de sens de la vie d’Hélène ; dans L’Année dernière à Marienbad, le talon brisé, les costumes de Delphine Seyrig (étranges et parfois amples, à la manière des costumes de tragédies classiques) ou encore la balustrade contre laquelle A est souvent appuyée et qui s’effondrera, sont autant d’objets ou d’éléments du décor signifiants. Les jardins parfaitement géométriques et les sur-cadrages en trompe-l’œil de Marienbad semblent emprisonner les personnages et nous renvoient aux décors peints de la pièce de théâtre qui ouvre le film… Il faut aussi bien-sûr citer Smoking/No Smoking, qui met en évidence l’artificialité du cadre visuel : si l’histoire entière se déroule en extérieur, dans un village du Yorkshire, l’environnement présente des aspects irréalistes et artificiels, presque cartoonesques – comme les décors de La Vie est un roman qui le sont résolument.
Acteurs ou comédiens ?
De son expérience de la scène, Resnais garde aussi un certain goût de la troupe. Le statut de ses acteurs se mêle d’ailleurs à celui de comédiens, que ce soit par la mise en abîme (la pièce au début de Marienbad, les personnages de Vous n’avez encore rien vu), ou encore par le style de jeu et des textes très écrits, souvent dits de manière plus musicale que naturelle. Au-delà de sa structure narrative, Smoking/No Smoking joue avec l’idée de faire interpréter tous les rôles par deux seuls acteurs : Pierre Arditi et Sabine Azéma, qui se déplacent dans l’environnement comme dans un espace scénique et sont sujets à d’incessants changements de costumes et de maquillage.
A partir de La Vie est un roman (1983), une poignée de comédiens apparaissent dans quasiment tous les films de Resnais : Pierre Arditi, Sabine Azéma et André Dussolier, pour ne nommer qu’eux. Dans Vous n’avez encore rien vu, conviés au château d’un défunt ami les ayant tous autrefois dirigés dans Eurydice, les acteurs interprètent leur propre rôle. Le film devient ainsi un témoignage émouvant sur l’esprit de communauté issu de la tradition théâtrale qui anime l’œuvre du cinéaste. Un peu comme si, s’imaginant mort lui-même, il convoquait sa « troupe », ses amis, à venir lui rendre un ultime hommage…
Analyse : Muriel (14’32-16’12)
Dans cet extrait, on assiste au premier dîner entre les principaux protagonistes de l’histoire. Le cadrage choisi par Resnais évoque plutôt clairement une scène de théâtre avec des décors en premier et second plans, ainsi que des rideaux qui délimitent l’espace où se déroule l’action. D’autre part, le jeu des acteurs renvoie à la théâtralité (expressions exagérées, conversations sans fond qui rappelle le théâtre de l’absurde, gestes et positions particulièrement appuyés). Les allées-venues des personnages peuvent rappeler celles des comédiens entre la scène et les coulisses et la séparation entre la cuisine et la salle à manger souligne les relations dignes d’un vaudeville qu’entretiennent les personnages. Un autre détail qui n’en est pas un : les objets prennent une part importante dans la dimension théâtrale de cette scène, les plats de nourriture font le lien entre les personnages, participent à l’échange et au dialogue. |
T….Travelling
Lorsque le spectateur pense à Resnais, ce n’est pas le souvenir d’une image fixe qui se présente à son esprit mais celui d’une image en mouvement : un travelling. Il l’appelle « ma figure de style ». Qu’il s’avance, recule, s’envole ou plonge, il rythme bon nombre des films du réalisateur. Souvent long, maîtrisé, lent, c’est lui qui fait pénétrer le spectateur dans l’espace filmique.
Les statues meurent aussi Hiroshima mon amour Le chant du Styrène
- « un regard désincarné » (A.Fleisher)
Le travelling livre un certain regard sur le monde filmé. Dans les documentaires d’art, il permet de donner un nouveau sens à l’œuvre. En effet, il la recompose autrement pour créer un nouvel univers, une nouvelle œuvre d’art autonome de l’original et pourtant révélatrice de celle-ci. Le travelling lie les différentes pièces d’un artiste pour en dévoiler la continuité, inventer de nouveaux rapprochements pertinents. La caméra semble se promener dans une œuvre. Ainsi dans Van Gogh, le travelling donne accès en passant par une fenêtre, appartenant à un tableau de rue, à la chambre de l’artiste. Godard souligne parlant de Resnais : « Un mouvement d’appareil, dès Van Gogh, on avait l’impression que ce n’était pas seulement un mouvement d’appareil, mais la recherche du secret de ce mouvement ». Dans Les statues meurent aussi, les différentes œuvres sont liées les unes aux autres, pour dévoiler la diversité de la culture africaine et montrer, grâce à un mouvement similaire, que ces œuvres ont un statut semblable.
Ce regard guide et dirige le spectateur. Nous le suivons dans les méandres de l’hôtel de Marienbad. Nous empêchant de satisfaire notre curiosité en passant d’un groupe d’invités à un autre, il nous amène là où il souhaite. Le travelling porte le regard du spectateur vers des détails auxquels il aurait prêté moins d’attention dans un plan large et fixe. La caméra, par des mouvements rapides, met en lumière des détails de Guernica dans le film éponyme : la femme et son enfant, la fenêtre…
- un avatar de la pensée
Par le travelling, Resnais a inventé « un geste qui réunit les deux, qui fait du regard un acte de pensée et de la pensée une forme sensible de l’espace et du temps » indique Cyril Neyrat.
La caméra mouvante semble incarner la pensée d’un des personnages. Dans L’Année dernière à Marienbad, la caméra est comme un personnage à part entière, un fantôme hantant l’hôtel. Elle peut mettre en scène le fil de la pensée du personnage. Les souvenirs du personnage féminin se dévoilent ainsi dans Hiroshima mon amour. Plusieurs travellings montrent le déploiement de la pensée de Diego dans La Guerre est finie. Il s’imagine prévenir madame Lopez, les camarades, il s’imagine l’arrestation de Juan… La caméra s’avance dans l’appartement de Madame Lopez, suit, comme le ferait un regard, ses camarades lors d’une réunion…
Ce mouvement, par sa récurrence dans l’œuvre de Resnais, crée un motif qui lie les films entre eux. Les travellings s’appellent et se répondent. Il peut apparaître comme un des avatars de la pensée créatrice. Cyril Neyrat souligne que par ce mouvement se forme une ressemblance qui semble étrange et inquiétante entre les différents lieux de la modernité. Ce sont des structures géométriques répétitives d’où il semble impossible de sortir. De l’usine du Chant du Styrène, au musée d’Hiroshima mon amour, en passant par la bibliothèque de Toute la mémoire du monde et l’hôtel de L’Année dernière à Marienbad, ces lieux semblent évoquer par l’utilisation de ce même mouvement des « dérivations formelles et conceptuelles de l’idée du camp ». En effet, il est filmé de la sorte dans Nuit et brouillard.
- le jeu du passé et du présent, de l’immobile et du mouvement
La filmographie de Resnais étant marquée par ce lien entre le passé et du présent, le travelling est l’un des outils qui le met en place.
Jacques Doniol-Valcroze note que dans ses premiers films « les longs travelling-avant nous donnent en fin de compte un grand sentiment de permanence et d’immobilité. Alors qu’au contraire ses champs-contre champs en plan fixe donnent un sensation d’insécurité donc de mouvement. Son truc de montrer côte à côte des travelling faits à la même vitesse, c’est une certaine manière de recherche l’immobilité » . Ainsi, les multiples travellings de Toute la mémoire du monde semblent révéler un musée du savoir humain. Toutes les productions écrites y sont stockées et protégées, immobiles face au temps. Le passé traverse les âges grâce au travail de la bibliothèque nationale pour servir le présent.
Cependant, le travelling c’est aussi par le mouvement la vie face à la mort possible de l’image fixe, la photo. La caméra de Nuit et brouillard se déplace dans des décors vides. Elle ne filme pas d’action, elle ne peut saisir le drame passé. Il semblerait que des photos soient suffisantes mais cette caméra est mobile. Elle vit, alors que la photographie d’archive est immobile, condamnée. Le mouvement dans ces plans en couleur marque la nécessité de penser ces événements par rapport au présent, au moment de la vie. Il est, en effet, possible qu’un tel événement se reproduise nous prévient la voix off de Michel Bouquet.
L’Année dernière à Marienbad, 1h16mn35- 1h17mn58
La caméra, par son retrait dans un travelling, peut suggérer une scène de viol, événement infilmable que la caméra fuit. La rapidité de ce mouvement traduit la violence de l’action, accentuée par la musique s’accélérant. Le long travelling dans le couloir peut être perçu comme un travelling métaphorique de l’acte. Ce mouvement le long du couloir mime également la pensée des personnages allant d’une possibilité narrative à une autre, du souvenir, ou rêve, de l’un à celui de l’autre. Chaque porte de ce couloir peut être vue comme une version de l’épisode. Le spectateur est guidé et capturé par cette caméra mouvante. Il ne peut choisir quel épisode voir. Les travellings répétés et rapides qui closent la séquence représentent la répétition de leurs rencontres. Albertazzi l’explicite, à la fin de la séquence, en évoquant leurs multiples entrevues.
Bibliographie :
Positif , « Horreur/bonheur : métamorphose », Cyril Neyrat.
Positif, « Sur trois films inconnus d’Alain Resnais », François Thomas.
L’art d’Alain Resnais, « Découpage. L’invention du travelling », Alain Fleisher
Alain Resnais Liaisons secrètes, accords vagabonds, « De la boussole au navire » Suzanne Liandrat-Guigues, Jean-Louis Leutrat
Filmographie
Les statues meurent aussi, 4 min- 6mn20
Hiroshima mon amour, 4 min 30
Le chant du Styrène, 10-12 min
Van Gogh, 9 min
La guerre est finie, 16 mn
Guernica, 8-9 min
U…UNION
On dit souvent des personnages de Resnais qu’ils semblent dépossédés de leur capacité à ressentir directement une situation ou la présence de l’autre. Les couples se rencontrent, cohabitent vers un rapprochement des corps, mais à chaque moment où l’affectif entre en jeu, ils semblent évoluer à travers une temporalité suspendue, une sorte de rêve éveillé. L’amour et l’union des corps se jouent donc sur ce rapport unique dans la perception du monde défiant toute loi, c’est L’Amour à mort.
Je t’aime, je t’aime L’amour à mort La guerre est finie
L’amour : centre de gravité resnaisien ?
Les personnages semblent tous, en quelque sorte, graviter autour du sentiment amoureux et de l’union sentimentale. Les titres tout d’abord entretiennent souvent un rapport étroit avec ce topos. Que ce soit dans Je t’aime, je t’aime, Hiroshima mon amour ou Coeurs, Resnais semble à première vue placer les êtres dans un contexte d’amour dévorant, qui prend le centre de l’intrigue tout entière. Puisque si Claude Ridder accepte d’essayer la machine à remonter le temps, c’est en partie pour re-découvrir les moments privilégiés passés avec Catrine par exemple. Cette machine toute entière s’inscrit donc dans la réalité par la puissance de la passion amoureuse. Les retours dans le présent et donc dans la sphère-cerveau sont autant de retour dans ce qu’il n’a plus, qui lui manque et qui cause son malheur : la puissance de la relation avec Catrine. Les êtres chez Resnais se croisent et les personnages se développent parfois grâce à la force du sentiment au delà de là où veut les amener l’auteur. A la manière d’un Pirandello, ce dépassement de l’oeuvre se fait par le sensible. L’amour est donc ce centre de gravitation absolu, puisque centre de toutes les conversations et des intrigues. Dans L’Année dernière à Marienbad, toute l’intrigue (s’il y en a une) réside dans la persuasion de l’amour. La rencontre d’hier trouve une réactualisation dans le présent et il s’agira de l’accepter pour se laisser emporter dans cet amour-là.
La suspension temporelle de la relation amoureuse
Traumatisée par un passé douloureux, ou bien mythomane, ou bien pensionnaire d’un asile, l’Emmanuelle Riva d’Hiroshima mon amour vit deux amours quand elle sublime la divine explosion atomique de son désir pour le Japonais. Afin de se libérer elle même du souvenir de sa fusion charnelle avec un soldat allemand en 1944 et de la réclusion qui s’ensuivit, elle s’abandonne à l’inconnu. « Dévore-moi. Déforme-moi à ton image afin qu’aucun autre après toi ne comprenne plus le pourquoi de tant de désirs », affirme-t-elle par exemple. L’illumination présente ne fait pas oublier l’émerveillement d’antan, l’émoi passionnel se répète de fait comme un balbutiement. Dans ce rapport puissant au toucher, le corps de l’autre apparaît ainsi comme un tâtonnement sur différentes strates de son passé. Comme si le personnage cherchait sous la peau de son amant, les restes de celui qu’elle a aimé avant lui. Dans ce dialogue érotique entre la jeune française et le japonais, dire l’amour c’est dire Hiroshima et son passé. Il s’agit donc de faire surgir, au sein même de l’harmonie des corps, la blessure et l’horreur de l’Histoire. Dans Muriel ou le temps d’un retour, Hélène et ses histoires d’amour sont dans une perpétuelle instabilité temporelle. Il semblerait qu’elle ait vécu quelque chose avec Alphonse qui relève d’une relation amoureuse. Bien que cette histoire soit inscrite dans le passé, tout se mêle et le rapport qu’elle porte aux souvenirs peut parfois conduire à réévaluer leur relation actuelle. D’autant plus que tout est perturbé par les mensonges de ce même homme qui s’invente notamment une relation avec Françoise.
Rêver l’amour
En brouillant réel et irréel, les histoires qui unissent suivent logiquement cet état d’entre deux. Les liens amoureux qui rassemblent deux êtres resnaisiens se retrouvent emprisonnés dans une ambiguïté indiscernable mais qui les laisse libres d’évoluer. Dans L’Année dernière à Marienbad par exemple, X attire A dans un passé qu’il a peut-être inventé mais qu’il prétend avoir vécu avec elle. Cette certitude non partagée d’avoir vécu d’inoubliables moments avec la femme sans nom constitue pour X la « vraie vie ». L’histoire d’amour enlace tout pleinement l’idée d’un rêve éveillé, d’une emprise de l’imaginaire sur la vie d’un des personnages inconnus.
Des perturbations autour des psychologies des personnages n’altèrent jamais le goût de la vie. Elles persuadent même le fantasme dans un au-delà la mort, tel Pierre Arditi et Sabine Azéma dont l’amour est la seule religion et qui se promettent de se retrouver après leur trépas. L’Amour à mort, c’est l’exemple même d’un amour qui dépasse toutes les forces bien qu’il fasse partie intégrante de l’imaginaire. « Il me semble qu’avant je ne t’aimais pas », dit-il, lorsqu’il revient d’entre les morts, personnage lazaréen au sens presque littéral du terme ici. Cette absence qui devient une infinie présence développe un amour rêvé qui dépasse l’existence.
Union des corps : le désir sexuel resnaisien
L’acte sexuel n’est pas toujours explicite dans la filmographie resnaisienne. En effet, ce qui importe et suffit à comprendre le rapport au corps unissant les êtres, c’est le contact. Parfois très brefs, ces instants de toucher sont de véritables moments de sensualité. Dans Muriel ou le temps d’un retour, nous ne savons rien des relations qui unissent les personnages. Niés, occultés ou modifiés, les rapports entre ces derniers ne trouvent pas de sens dans les mensonges d’Alphonse ni dans la subjectivité et cette perte totale dans le passé d’Hélène. Cela peut parfois apparaître comme un puissant hermétisme. Si bien qu’une simple caresse se transforme en quelque chose de beaucoup plus puissant et symbolique. Lorsqu’ Hélène trouve Alphonse endormi sur le fauteuil, elle lui apporte une couverture et le recouvre. Cet instant qui suit, cette main qui frôle le bras d’Alphonse laisse croire à des sentiments et un désir sous-jacent. Dans Je t’aime, je t’aime, il est aussi question de caresses. Claude très charnellement laisse sa main monter le long de la jambe de Vienna. Son parcours s’arrête mais le désir est désormais connu. L’acte sexuel est donc suggéré par cette fusion des corps lors du toucher.
Dans Coeurs également le sexe rôde mais bien plus explicitement. En effet, dans ce film, Resnais regarde les hommes et les femmes tomber dans le gouffre où les fausses pudibonderies et convenances se multiplient. Sabine Azéma dans le rôle de Charlotte se transforme en une maîtresse machiavélique par ses gémissements érotiques sur un enregistrement vidéo et sa danse nue devant le père de Lionel. Les allusions s’enchaînent, on prend des cocktails « queue de diable », on passe ses soirées au bar et pourtant un interdit subsiste : celui de se toucher. Le désir sexuel est donc bien effectivement prégnant chez Resnais, bien que rarement pleinement consommé.
La guerre est finie et son double rapport au désir sexuel Dans ce film de 1966, les relations sexuelles ne sont pas que suggérées. En plus d’être clairement montrées, elles constituent des symboliques assez essentielles pour la narration toute entière et la psychologie de Diego. Le premier acte est celui de Diego et de Nadine. Outre son surnom qui, par son intertexte Zolien, accentue à la fois le corps et la portée élévatrice du désir, c’est Nana toute entière qui est idéalisée dans cette scène. Elle représente à la fois la jeunesse (ses pieds et ses mains semblent ceux d’une enfant) et la superficialité. En effet, cette première scène de sexe fait disparaître la réalité, comme pour s’enfoncer dans les pensées fantasmatiques de Diego et contraste donc avec la deuxième. Ici, tout est transitoire et le désir redescendra vite lorsque le protagoniste connaîtra un peu plus Nadine et les actions de ses jeunes amis révolutionnaires. Il s’abandonnera à elle avant même d’avoir revu sa compagne : Marianne. Cette dernière trouve sa puissance dans le sérieux, dans la simplicité et ne « s’abandonne » donc pas, mais se construit véritablement à travers l’acte avec Diego. Au transitif et superficiel s’oppose donc le durable et le profond. Au fond blanc de l’idéalisation s’oppose donc le noir et blanc. Aux plans fixes et presque photographiques tout en construction, s’oppose une caméra qui effleure, tourne autour du couple. A la disparition de Diego dans l’acte purement sexuel s’oppose également son infinie présence avec Marianne. La poitrine est symbole de cette puissance de l’amour et donc de son intensité supérieure à cette brièveté du désir pur : Marianne est nue et ils s’embrassent, Nana se définit par des fulgurances d’images qui ne laissent jamais apparaître ses seins. |
Bibliographie :
- Jean-Luc Douin dans Alain Resnais
- Robert Benayoun dans Alain Resnais, arpenteur de l’imaginaire
- articles des revues Le Monde et Positif
Filmographie :
- Hiroshima mon amour (1959)
- L’année dernière à Marienbad (1961)
- Muriel ou le temps d’un retour (1963)
- La Guerre est finie (1966)
- Je t’aime, je t’aime (1968)
V…VEGETATION
« Le parc était une sorte de jardin à la Française … » dit-on à propos du parc dans L’année dernière à Marienbad. On retrouve chez Resnais plusieurs utilisations du thème de la végétation, pas toujours sous la forme du jardin à la française, et dont la symbolique peut se faire plurielle, voire contradictoire. D’ailleurs certaines de ses entrées en matière se font de la manière végétale : Providence débute avec un travelling sur un mur couvert de lierre, on entre dans le feuillage du parc du château de La vie est un Roman, Les herbes folles s’ouvre sur de la végétation poussant dans les fissures d’un trottoir.
Muriel Je t’aime je t’aime Hiroshima mon am
La nature témoin du passage du temps.
Cette végétation reprend ses droits sur la ruine; ce sont les fleurs dans Hiroshima qui sont aussi bien source d’inquiétude que le témoin d’une renaissance. Qu’est ce qui va en sortir, que vont devenir ces fleurs ? Ou alors dans Mon oncle d’Amérique, un film qui se déroule dans un espace très urbain, on voit sur le dernier plan une grande peinture d’un arbre sur la facette d’un vieil immeuble, duquel on s’approche jusqu’a être noyé dans le vert. La nature est comme un reflet du passé dans Muriel avec l’épisode qui montre Bernard, amateur de randonnée à cheval, effectuant le long des falaises surmontant la Mer du Nord, une balade sur un cheval blanc. Une nature fantasmée, sauvage et ancienne qui rappelle des contes médiévaux et des chevaliers, qui s’oppose à la modernité de la ville de Boulogne qui a été détruite puis reconstruite en quelque chose de beaucoup plus moderne et bétonné. Muriel c’est aussi la nature fantasmée à travers les photos des palmiers en Algérie. Dans Je t’aime Je t’aime la nature fait aussi référence au souvenir de la guerre pour Claude, comme lorsqu’ils sont dans le train avec Catrine qui lance : « Oh un arbre » il lui répond « Et là un autre arbre, et puis une mauvaise herbe. » La nature peut avoir attrait au passé dans ce qu’elle fait référence à l’enfance : c’est Jean le Gall qui lit une BD sur un arbre dans Mon oncle d’Amérique, ou la porte qui s’ouvre de l’arbre pour laisser sortir une créature légendaire dans La vie est un Roman.
La nature et les personnages.
On trouve deux espaces naturels importants dans Je t’aime, Je t’aime : tout d’abord la plage qui est un espace vide, c’est l’espace des vacances et de l’oisiveté. C’est une représentation du bonheur et des souvenirs heureux puisque c’est là que Claude retourne en premier (il y revient d’ailleurs plusieurs fois). Claude compare Catrine à un marécage «Toi, tu es étale, tu es un marécage, de la nuit, de la boue » ou même à cette plage. Le mouvement des vagues en va-et-viens peut aussi rappeler le mouvement des souvenirs de Claude qui s’alternent, et se balaient. Puis ensuite on trouve l’arrière pays montagneux, on parle des vieux os enterrés dans la boue, des visites de cimetières perdus dans la nature. Partout, la mort est là. Ce qui pousse Catrine a élaborer une théorie sur la verdure qui rend malade et qui fini par tuer l’homme discrètement et à petit feu. Dans le film les Herbes Folles on trouve une métaphore des personnages à travers la végétation : des herbes qui poussent dans le béton, dans une ville totalement aseptisée et morte. La végétation omniprésente du film pouvant apparaitre comme un symbole de la folie. C’est la nature qui s’oppose au pavillonnaire et qu’on fait tout pour cacher. Puis, cette végétation est aussi présente dans le quotidien des personnages, dans les espaces intimes.
Déjà, dans les documentaires sur l’art on retrouve Van Gogh et les cyprès, où l’objet d’art se lie avec la nature. De même on rencontre la nature dans les appartements, dans des reproductions, dans des tableaux, les petits jardins des maisons et des pavillons entretenus par des jardiniers comme dans Smoking/no-Smoking, dans des bouquets de fleurs plus exubérant les uns que les autres, par exemple dans Stavinsky et les fleurs blanches qui emplissent la chambre d’Arlette (et qu’on retrouve à la fin lorsqu’elle va en prison.) Dans Stavinsky, toujours, on retrouve aussi la nature dans la la beauté de la côte Basque et sur les routes bordées de forêts. La nature est aussi visible comme métaphore des liens entre les personnages et le tout, dans Hiroshima mon amour avec la première image de plante après le générique que l’on peut relier à l’idée des branches d’un fleuve et des liens multiples entre les choses. De même dans Smoking no-Smoking, on retrouve l’idée d’un arbre des possibilité entre les personnages.
Une nature contrôlée et mortifère (David Mercer et Luc Lagier)
La nature totalement contrôlée dans le parc de l’année dernière à Marienbad est le témoin d’un univers de faste de d’artificialité qui renvoie à l’idée d’une distanciation théâtrale mais aussi au labyrinthe. Finalement c’est une nature aussi déshumanisée que les personnages, presque morte et stérile « […]comme deux cercueils placés côté à côté , sous la terre d’un jardin où nous marchons à pas comptés[…] » Le jardin ressemble à un damier, un jeu d’échec en noir et blanc. En effet le film est décrit comme un jeu pour le spectateur, et c’est aussi un jeu de puissance qui se joue entre les personnages. Luc Lagier évoque l’idée d’une théorie sur Marienbad par rapport au parc : on se perd dans cette nature et on pourrait voir les statues comme des reflets de personnages qui auraient momentanément pris vie. La femme est comme une statue que l’homme tente d’humaniser. Ou alors ils sont déjà tous morts et les statues du jardin ne sont plus que des corps sans vie. Finalement la nature ce n’est que le cycle de la vie, l’homme est condamné à mourir dans la boue et à nourrir ces végétaux qui vont continuer à grandir : C’est la création et la désintégration. David Mercer disait d’ailleurs à propos de Providence : « La trouvaille majeur de Resnais fut de décider que providence serait une métaphore de la désintégration, puis de concrétiser cette métamorphose, en montrant une cité imaginaire peu à peu envahie par la végétation, les arbres, les orties, rongées aux vers, envahis par les explosions pendant que les hommes retournent à l’état de nature. »
Analyse de séquence : Je t’aime Je t’aime [55:20- 55-59]
L’homme est allergique à la couleur verte d’après la théorie de Catrine, il est tué à petit feu par la salade. L’extrait est un plan séquence sans cut, ce qui reste continu c’est la voix de Catrine qui est omniprésente et qui déblatère sa théorie sur le vert. Elle n’est pas toujours dans le champ elle y rentre et elle en sort en parce que la caméra suit Claude qui grimpe aux rochers. Mais sa voix assure une continuité; un peu comme dans tout le film. La caméra suit Claude, Catrine n’est pas toujours là mais quelque chose d’invisible (une voix, une présence) est toujours présent.
Bibliographie
Alain Resnais, Douin
D’une image à l’autre, « Le passé au présent, Montage et construction : Essais de dépassement de la représentation chez Alain Resnais », Ishaghpour
Filmographie :
Hiroshima mon amour, 1959
Muriel, 1963
Marienbad 1961
Van Gogh 1957
Les herbes folles 2009
La vie est un Roman 1983
Providence 1977
Mon oncle d’Amérique 1980
Smoking/ No-Smoking 1993
Stavinsky 1974
Je t’aime Je t’aime 1968
W…WAGON
« Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers/ Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés/ Qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants », ces paroles de la chanson Nuit et brouillard de Jean Ferrat, fait ressurgir l’image des wagons de déportation du court métrage d’Alain Resnais, ce trajet transportant les hommes vers l’horreur des camps, cette image dont il ne nous reste que les traces et les archives. Le réalisateur tente de les faire revivre par un voyage temporel entre le présent des ruines d’Auschwitz et les archives récupérées.
Nuit et Brouillard. Muriel ou le temps d’un retour Je t’aime, je t’aime
La gare comme un lieu de passage instable
La gare est un lieu présent dans tous les films de Resnais, lieu de passage entre deux lieux, ou même deux époques. Le train, symbole cinématographique par excellence, prend également une importance primordiale dans les films de Resnais, puisque la gare apparaît comme une condensation de l’intrigue et des tensions du film. Par exemple, dans Muriel, la gare est un lieu entouré d’un « Nulle part », les rails se noyant dans les montagnes, elle n’est même plus fonctionnelle car elle reste « la vieille gare de Boulogne »… A l’intérieur, pleine de miroirs, elle renvoie à Hélène son incapacité à s’adapter au temps qui passe, et à lui faire comprendre que « les choses changent » comme dira le couple inconnu de la gare. Ainsi, le train ne mène nulle part, paradoxe que l’on retrouve dans Hiroshima mon amour. En effet, le dénouement se réalise dans la gare, mais Elle ne prendra pas le train, le voyage s’est réalisé dans le temps (entre Nevers et Hiroshima), le déplacement spatial n’est plus nécessaire. Dans la Guerre est finie, la gare semble aussi être comme un « lieu source » du film, pleine de mouvements entre le circuit des valises, l’arrivée des taxis et les consignes symbolisant la valse continue du personnage entre l’Espagne et Paris, entre sa vie de couple et celle d’aventurier révolutionnaire. Ainsi, la gare dans les films de Renais semble plus être un lieu chargé de symbolique qu’une véritable issue à l’intrigue. On peut le voir dans Je t’aime, je t’aime, puisque la gare ne permet pas au personnage de s’extirper de cette manipulation temporelle, comme l’affirme le conducteur de taxi : « je vous dirai bien de descendre et de prendre le train mais le temps qu’il arrive vous aurez manqué le train , monsieur il vous reste encore le temps ? ». Ainsi, le wagon n’est pas un moyen pour le personnage de s’enfuir, mais bien de le mettre face à sa propre contradiction. Encore dans Je t’aime, je t’aime, Claude annonce désespérément à Catrine qu’il va s’enfuir et la quitter, pourtant le plan qui suit la scène de dispute nous montre Claude en plan rapproché qui tourne le dos à un wagon de tramway qui part. Claude ne réussit pas à s’enfuir, il reste enfermé dans cette machine temporelle infernale.
les personnages: des étrangers en exil
Si les repères spatiaux semblent empêcher le voyage, les personnages d’Alain Resnais, semblent toujours être en exil et apparaissent comme de véritables étrangers. En effet, Diego un des seuls personnages qui s’oppose au modèle lazaréen caractéristique de ceux d’A. Resnais, arrive à s’organiser et à manipuler le temps grâce à la maîtrise des horaires de la gare. Ainsi, dans ses autres films, les personnages semblent être des exilés, perdus dans un monde qui ne leur est pas familier. Dans Hiroshima mon amour, qu’ Emmanuelle Riva soit à Nevers ou à Hiroshima, elle reste ou devient une étrangère ce qui l’oblige dans le cas de Nevers à devenir une exilée. En effet, à Hiroshima, son amant Japonais lui répète qu’elle n’a « rien vu à Hiroshima », elle n’est qu’une touriste de plus visitant les musées ne laissant rien connaître de la vérité passée. Ce malaise met le spectateur dans la même position notamment par l’emploi de la caméra subjective qui traverse les longs couloirs de l’hôpital d’Hiroshima rencontrant des regards qui semblent gênés par la présence inconnue de la caméra, l’observant comme si elle incarnait le touriste curieux et malsain. Le voyage dans le temps par la pensée qu’opère l’héroïne nous plonge dans sa ville d’enfance mais celle-ci, au lieu d’être un lieu familier, ne devient qu’un espace repoussoir qui isole l’héroïne incomprise par les habitants. Tout comme dans Muriel, où chaque personnage peut finalement être perçu comme un étranger: Hélène se perd dans sa propre ville qui se métamorphose à un rythme trop rapide, Bernard est obligé de s’isoler dans son grenier pour pouvoir se retrouver, et Alphonse et Françoise sont des personnages de passage qui arrivent par la gare et fuient vers un ailleurs plus oui moins inconnu (Alphonse prend un bus vers Bruxelles sans réflexion préalable). De la même façon, dans I want to go home , le personnage principal caractérise la figure type du touriste qui n’arrive pas à s’adapter à la culture du pays qu’il visite. Il critique les coutumes françaises et ne les comprend pas. Pourtant il finit par vouloir rester en France en se rendant compte qu’il est un inconnu dans son pays natal contrairement à l’accueil qu’il reçoit en France. A l’inverse, sa fille qui rêvait de Flaubert, Racine et Paris, rentre aux Etats-Unis, lieu qui lui convient mieux.
Le trajet métaphysique: voyage du temps pour déplacement dans l’espace
Si le voyage semble intellectuel, l’impression en est différente ne serait-ce que par les travellings de Resnais qui incarnent eux-mêmes les « wagons » d’un train nous transportant dans tous lieux et dans tous temps dans un véritable mouvement. Dans Toute la mémoire du monde, la rapidité des travellings dépassent celle qu’un humain est capable de fournir, ils sont comme de véritables moyens de transports nous faisant voyager dans les entrailles de la BnF. Ainsi, le voyage resnaisien est un véritable déplacement métaphysique où le wagon ne franchit plus des frontières géographiques mais bien psychiques. Par exemple, le seul voyage qui dépaysera Diego dans la Guerre est finie, ne s’effectue pas par le train qui le transporte de Paris à l’Espagne mais bien par son imagination (il s’imagine retourner Juan et une jeune femme dont il ne sait plus si elle est brune, blonde…) . De la même façon dans Providence, l’écrivain enfermé dans son manoir arrive à s’en extirper par sa créativité qui nous fait voyager dans les fantaisies de son imagination nous amenant dans des lieux improbables, voire presque apocalyptiques. Dans Muriel, le montage nous fait voyager dans la ville de Boulogne au présent (on le voit par les immeubles en reconstruction) et au passé (par des flashs s’accordant aux souvenirs évoqués par les personnages). Dans Hiroshima mon amour, le voyage est immédiat, les paysages urbains d’Hiroshima se mélangent à aux lumières de la ville de Nevers… Dans l’Année dernière à Marienbad, l’existence même du lieu est remis en question puisque « Marienbad n’est sur aucune carte ». Ainsi les repères étant absents, le voyage ne s’opère que dans le temps à travers l’esprit des personnages tout comme dans Je t’aime, je t’aime avec la machine à voyager dans le temps joue alors le rôle d’un véritable wagon nous emportant dans des multiples espaces oniriques et déformés (comme celui du bureau où se tient une baignoire avec une femme nue).
Le train dans Je t’aime je t’aime
A deux reprises dans le film, les souvenirs du personnage nous amènent dans un wagon où se tient Claude et Catrine. Dans le premier souvenir, les deux personnages se tiennent proches physiquement et regardent le paysage défiler. Tout à coup Claude remarque le village qu’il a libéré pendant la seconde guerre mondiale, alors qu’il ne savait « même pas se servir d’une mitraillette ». Ainsi, cette scène peut apparaître comme une véritable mise en abîme de la structure du film puisque le spectateur se trouve déjà dans les souvenirs du personnages qui se souvient lui même de son passé de jeune soldat. Aussi, le mouvement du train peut symboliser le paradoxe entre déplacement (du train en lui même) et fixité (des personnages à l’intérieur des wagons) tout comme le personnage se trouve allongé fixement dans son présent et se voit déplacé dans ses souvenirs en mouvement. Resnais nous montre alors que le seul voyage réel dans ses films se passe par le mouvement du cerveau qui seul permet le déplacement du corps du personnage comme celui de sa pensée intérieure plus que le mouvement extérieur des choses, c’est à dire le temps linéaire de la vie tel l’avancée du train même. C’est en ce sens que la deuxième séquence du train montre les deux personnages à demi allongé lorsque Claude s’exclame « oh un arbre! » et que Catrine lui répond, les yeux fermés, « oui c’était un arbre, une mauvaise herbe », « le mien était un arbre des champs », répond alors Claude. C’est bien un wagon de l’imaginaire que l’on trouve chez Resnais, mouvement qui devient un repère plus fiable que le train réel. |
X… sujet anonyme
Tous les films de Resnais adoptent une trajectoire, s’identifient à un itinéraire, réel ou imaginaire, dans l’espace ou le temps, sondant les mécanismes du cerveau en quête le plus souvent de définition. C’est pourquoi Resnais s’intéresse tant à la mémoire. Celle-ci transforme une réalité perçue en réalité pensée et permet à l’Homme de se raconter.
Les statues meurent aussi
L’année dernière à Marienbad
Je t’aime, je t’aime
X comme inconnue d’une équation
Les sciences mathématiques apparaissent comme un motif récurrent dans la filmographie du réalisateur de Hiroshima mon amour comme un moyen de comprendre l’Homme et le monde. Ainsi, ce n’est pas un hasard si l’un des premiers grands écrivains à rejoindre l’aventure resnaisienne est Raymond Queneau pour Le Chant du Styrène. En effet, l’auteur oulipien à qui l’on doit notamment Zazie dans le métro ou encore Cent-mille milliards de poèmes est animé par les mathématiques qui se substituent à l’auteur dans une approche systématique de l’Art. Par ailleurs, Resnais collabore également avec Pierre Barbaud – qui sera le créateur d’un logiciel utilisant des techniques aléatoires fondées sur des algorithmes de création musicale automatique – dont la musique dite « algorithmique », accompagne le mouvement des appareils de l’usine Péchiney. Une inconnue en mathématiques, est un élément constitutif d’une question de même nature qu’une équation. L’inconnue permet de décrire une propriété vérifiée par une ou plusieurs valeurs qui prendraient la place de cette inconnue, ces valeurs étant souvent des nombres. Dans le cadre des films d’Alain Resnais, l’inconnue porte le nom de Jean Le Gall, Janine Garnier, René Raguenau ou encore Claude Ridder et s’apparente peut-être davantage à des variables c’est-à-dire, une valeur arbitraire sur laquelle est effectuée une combinaison d’opérations afin de résoudre, en une seule fois des problèmes analogues et permettent – ou non – de vérifier les thèses de Henri Laborit ou de valider la bonne marche d’une machine à remonter le temps.
La quête d’identité
La construction narrative des films d’Alain Resnais prend généralement l’allure d’une quête identitaire comme l’énigme ultime à résoudre. Il s’agit en effet de se définir par l’outil cinématographique. La forme de l’enquête est ainsi privilégiée dès les premiers pas de Resnais en tant que réalisateur avec Le Mystère de l’atelier 15 par exemple. Dans un entretien avec Serge Taubiana le réalisateur affirme :« J’ai besoin de sentir qu’il y ait une énigme à résoudre […] je tourne pour voir comment ça va tourner ». Dans Hiroshima mon amour, les personnages sans nom finissent par se nommer : elle s’appelle Nevers et lui, Hiroshima. Durant le film, le personnage incarné par Emmanuelle Riva écrit son identité en dévoilant son traumatisme en posant des mots sur l’indicible. Dans la revue Clarté n°33, Alain Resnais évoque Nuit et Brouillard en ces termes : « Il ne s’agissait pas de faire un monument aux morts de plus mais de penser au présent et au futur. L’oubli doit être une construction ». Les personnages qui parviennent à signifier leur passé sont dans la capacité d’avancer à l’issue du film à l’image de Nevers qui quitte Hiroshima ou Hélène qui déserte son appartement à la fin de Muriel, hors la plupart des personnages resnaisiens ne parviennent pas à se défaire du passé et s’y noie comme l’illustre X et Claude Ridder que le spectateur laisse seuls, prisonniers de leur propre film qui n’aboutit pas. Si le réalisateur impose traditionnellement un anonymat à ses héros, c’est parce qu’il n’ont de cesse de se définir. Ils sont à l’image de l’humanité, des êtres inachevés en quête d’identité
Des figures insaisissables
Les personnages qui peuplent l’univers cinématographique d’Alain Resnais participent largement à la distanciation qu’opère le cinéma moderne avec son spectateur afin de permettre à ce dernier de garder un regard critique sur le film. En effet, ils sont le plus souvent sujets à une identité fuyante et semblent plus largement, échapper au principe même d’identité. Dans La Guerre est finie, le personnage principal à qui Yves Montand prête ses traits mènent une multiplicité de vies. Diego est un militant et exilé politique ; parfois il se fait appeler Carlos, Francisco, Raphael… etc. La clandestinité lui impose des vies parallèles et le destine à vivre dans un provisoire permanent. Pour Marianne, il est Diego. Celle-ci veut donner sens à leur histoire d’amour en ayant un enfant. Pour Nadine « Nana » il est Domingo. De la même façon, Alphonse dans Muriel ou le temps d’un retour s’invente des passés tandis que le personnage éponyme qui est au cœur du récit brille par son absence. En effet, elle plane comme une ombre indicible sur Bernard et son entourage. Elle est ce passé trop lourd qui ne permet aux personnages de s’inscrire dans le présent et d’être pleinement à l’instar du couple à Hiroshima incarné par Eiji Okada et Emmanuelle Riva. Ceux-ci n’ont même pas de nom, de même que les protagonistes qui se meuvent entre les murs de l’hôtel de Marienbad sont désignés par des lettres qui ne font qu’épaissir le voile qui recouvre leur identité. Il est également notable que la figure de l’acteur est amplement représentée comme Janine dans Mon oncle d’Amérique, mais aussi Riva dans Hiroshima mon amour ou Françoise dans Muriel. Ils sont de façon explicite, ceux capables d’arborer plusieurs visages et que l’on prend pour un autre comme le démontre l’ambiguïté autour du statut de Françoise et la nature de sa relation avec Alphonse ou les rapports qu’entretient A avec M qui avait fait couler beaucoup d’encre lors de la sortie du film : s’agit-il d’une relation incestueuse, maritale, médicale ? Resnais garde le mystère. Comme l’évoque la scène d’ouverture de L’année dernière à Marienbad, le réalisateur semble rejoindre le plus célèbre des dramaturges sur le fait que « le monde est un théâtre dans lequel chacun joue son propre rôle ».
Analyse : Les figures d’une boîte à musique
L’année dernière à Marienbad (1961) Selon Luc Lagier, le film primé du Lion d’or à Venise s’articule autour de deux mouvements : celui d’un anthropomorphisme et d’une déshumanisation. Les humains qui occupent les murs de de l’hôtel semblent morts depuis longtemps ou bien absents et remplacés par d’étranges mécaniques qui se réveillent progressivement au début du film comme les rouage enrouillés d’une boite à musique. Coupés de tout contexte, ils sont comme hors du monde. Dénués d’émotion ou même de psychologie, ils semblent agir par mimétisme comme le prouve les échanges vides de sens et de substance. Le personnage qu’incarne Delphine Seyrig est l’un de ces automates, mais c’est à elle que le narrateur décide d’inventer un passé. Il est en effet, un personnage prisonnier de son film car conscient de son statut de personnage. Il prend de force le contrôle du film et modèle le personnage de Seyrig. « Cette fin là n’est pas la bonne, c’est vous vivante qu’il me faut ». On peut remarquer qu’elle se trouve souvent dans la même position ; une main délicatement posée sur l’épaule et un regard vide et lointain. C’est la même position qu’adopte l’actrice de théâtre au début du film. Cela évoque une statue que X arracherait au mutisme et à l’immobilité. |
Y… Yeux
La relation avec le spectateur est trouble chez Alain Resnais. Il guide notre regard tout autant qu’il le déconcerte. Les preuves que nos yeux nous apportent ne sont pas toujours certaines : flash surgissant du passé, images impromptues qui déstabilisent, ou encore détails qui nous apparaissent sans liens avec la cohérence de l’intrigue. C’est cette défiance du visible que Resnais travaille à travers son cinéma, par le biais d’une dialectique entre le montré et le caché loin d’être simpliste ; c’est dans les ruines du passé que se trouve la vérité de l’événement, mais ce sont ces mêmes ruines qui le dissimulent à notre regard et l’opacifient.
Nuit et Brouillard L’Année dernière à Marienbad La Guerre est finie
L’insuffisance du regard : l’aporie du visible
C’est ce que l’on peut constater dans Nuit et Brouillard (1956). Ce que l’on voit, aussi horrible que cela soit, ne peut prétendre retranscrire la réalité de l’événement. Le spectateur est moins le témoin d’une vérité objective qu’un sujet qui s’indigne devant l’innommable représenté. D’où la bande-originale en contrepoint de Hans Esler. Ainsi, Resnais s’attache à montrer la situation de manière indirecte. Ce que nos yeux observent n’est pas la réalité du phénomène mais, en quelque sorte, ses conséquences. On peut penser aux images de montagnes de lunettes, chaussures, cheveux de femme et autres « objets » pris aux déportés, ou encore aux rouleaux de cheveux de femmes, à partir desquels des tissus sont confectionnés, mais aussi à cette image frappante où un tractopelle pousse des cadavres émaciés et désarticulés par pelletées dans une fosse. Ce que nous voyons est donc un indice de l’horreur passée, mais elle est déformée, remaniée par des images d’archives dont la fiabilité peut être questionnée. Comme Jean Cayrol l’écrit, « de ce trottoir de brique, de ces sommeils menacés, nous ne pouvons vous en montrer que l’écorce, la couleur ». C’est ce que Resnais effectue dans Hiroshima mon amour (1959), où la catastrophe nucléaire n’est, une fois de plus, montrée que dans ses effets. La scène où le personnage d’Emmanuelle Riva participe au tournage du documentaire est révélatrice de la dénonciation facile de la catastrophe, comme si elle pouvait être saisie, résumée par des maquillages grossiers, des danses nippones traditionnelles et un lâcher de colombes cliché. D’ailleurs les deux protagonistes se retrouvent à contre-courant de la foule ; ils remontent une foule qui court en tenant des pancartes avec des images des victimes du bombardement. Mais ils passent trop vite pour que le spectateur puisse vraiment voir les pancartes. À vouloir trop montrer, on ne voit plus rien. Comme le dit Bernard Pingaud, dans « À propos d’Hiroshima mon amour », « qu’est-ce qu’un documentaire ? Précisément la forme la plus fragile de la mémoire. Fragile parce que le documentaire nous présente les lieux tels que nous pourrions les voir, mais tels que nous ne les avons pas vu ». C’est peut-être pour cela que, dans Muriel (1963), Resnais ne présente aucune image du passé, si ce n’est le court film de Bernard, dont les plans (des photographies de soldats prenant la pose, des souvenirs de leur mission militaire), en décalage avec son propos (la torture : « Robert lui donne des coups de pied sur les hanches. Il prend une lampe torche, la braque sur elle. Les lèvres sont gonflées, pleines d’écume » nous témoigne Bernard), nous apparaissent décevants. Quand Marie-Do lui demande s’il fait un documentaire, il lui répond « pire encore », sans pour autant nous indiquer clairement ce qu’il recherche, comme si l’indicible de l’horreur ne pouvait se traduire que dans l’invisible, mais un invisible qui imprègne pourtant durablement tout ce que l’on voit.
Le dévoilement du caché : quand les yeux du spectateur saisissent l’invisible
Montrer indirectement aux spectateurs un événement est une façon pour Resnais de jouer avec le spectateur, de le mettre en scène. La caméra n’est pas comme un personnage parmi d’autres qui assisterait à l’action. Elle devient omnisciente et par le cadrage, par le montage, donne des indices aux spectateurs. C’est le cas dans Guernica (1950), où les fragments des tableaux de Picasso deviennent signifiants et coïncident avec l’impression que Resnais veut transmettre. Les portraits cubistes de femmes en pleurs, hurlant, les deux yeux d’un même côté, langue et dent dehors, représentent la souffrance et la destruction causée par le bombardement nazi sur le village de Guernica. Mais Resnais cherche aussi par moments à déconcerter le spectateur. Par exemple, dans L’Année dernière à Marienbad (1961), le cadrage nous montre un plan large. Nous voyons un couple avancer du fond de l’image. Un couple anonyme, comme il y en a tant dans cet hôtel. Puis, au fur et à mesure qu’ils avancent, la caméra recule et nous découvrons que le cadre était en fait un miroir, une illusion. Resnais dévoile de la sorte l’illusion de l’image, de même que le film est rempli de faux-semblants, puisque Resnais ne tranche entre aucune hypothèse concernant la nature de ce lieu (l’hôtel de Marienbad) et la nature de la relation entre « A », « X » et « M ». L’image est mise en doute de manière à perturber le spectateur. On retrouve cela aussi dans Je t’aime je t’aime (1968), quand Claude Ridder, à l’intérieur de la machine à voyager dans le temps, disparaît sous nos yeux. Comme le dit Deleuze dans L’Image-temps, « le présent qui se définit par les quatre minutes de décompression nécessaires n’aura pas le temps de se fixer ». De même, le regard du spectateur n’a pas le temps de se fixer ; des scènes hétérogènes les unes des autres apparaissent arbitrairement à l’écran. Le spectateur est littéralement perdu dans le passé de Claude Ridder, vagabondant au hasard des souvenirs. Cela exemplifie ce que Deleuze appelle « la disparition du centre ou du point fixe », que l’on peut interpréter comme l’absence de regard centralisant donnant une cohérence à l’image et une signification déterminée.
Quand le film en train de se faire se révèle en tant que tel au spectateur
La Guerre est finie (19:10 – 20:10)
On peut trouver dans ce film la notion de distanciation au sens où pouvait l’entendre Bertolt Brecht, c’est-à-dire que l’œuvre crée une sensation d’étrangeté en dévoilant ses propres mécanismes. C’est ce que l’on observe, d’une certaine façon, quand le film expose les hypothèses qui parcourent Diego sur la suite des événements, mais que peut aussi, par identification, former le spectateur dans son esprit. C’est paradoxalement le comble de l’ouverture, de l’incertitude. Paradoxalement, car le dévoilement des possibilités en détermine le nombre (on sait combien il y en a), tout en ne choisissant aucune d’entre elles, laissant par là même en suspension tout devenir. C’est le cas lorsque Diego s’imagine l’arrestation de Juan. Nous voyons Juan partir en voiture, être frappé par des policiers, de même que nous voyons Madame Lopez lui ouvrir la porte de l’appartement 107 du 10e étage du bâtiment G. Mais ces images sont hypothétiques, il ne s’agit pas d’une réalité mais d’une projection du personnage. Le « tu » de la voix-off de Diego fait écho au « vous » que l’on retrouve dans La Modification (1957) de Michel Butor, procédé qui interpelle directement le spectateur. Diego est consacré en tant que personnage. Il raconte ses propres actions, comme s’il en faisait un récit. Ce que le spectateur voit n’est pas fiable au sens où ces images sont constituées d’opinions, de pensées et d’interrogations des personnages, qui ne correspondent pas à un fil linéaire, et ne forment donc pas un regard « objectif », mais bien plutôt un regard en constant questionnement.
Z… ZOOLOGIE
Le cinéma d’Alain Resnais est un véritable bestiaire où les animaux et les personnages se mêlent. Ce mélange est si courrant dans ses films qu’il n’est presque pas étonnant de trouver à la fin des Herbes Folles cette phrase énigmatique dite par une petite fille à sa maman : « Maman, quand je serai un chat, est-ce que je pourrai manger des croquettes?». Ne serais-ce d’ailleurs pas une question que tous les personnages resnaisiens pourraient se poser ? Chats, souris, bernards l’hermite, méduses, chevaux se côtoient et se mélangent dans un joyeux zoo.
Je t’aime je t’aime Hiroshima mon amour Muriel ou le temps d’un retour
Le zoo d’Alain Resnais
On compte chez Alain Resnais de nombreux animaux ; par ailleurs , il est impossible de nommer un seul de ses films où il n’y ait pas la présence, effective ou suggérée des animaux. Néanmoins, on remarque que certains films comptent une récurrence de certains plus appréciés par Alain Resnais. Ici, nous tenterons de dresser une liste non exhaustive des animaux présents dans les films de Resnais. Dans un premier temps, il nous faut parler des chats. Nous connaissons l’affection que Resnais porte à ceux-ci et il n’est pas rare qu’ils soient présents dans ses films, ayant même parfois outre un intérêt esthétique, un intérêt dialectique, c’est-à-dire permettant d’éclairer l’oeuvre cinématographique. On trouve donc des chats à de nombreuses occurrences, un chat noir à Nevers et un blanc à Hiroshima dans Hiroshima mon amour, le chat de Catrine dans Je t’aime je t’aime, ou encore le chat de bande-dessinée de I want to go home, sans compter le chat en mosaïque de Smoking/No smoking… Nous trouverons également des chevaux, motif d’évasion pour Bernard ou de destruction dans Guernica; une chèvre, à la recherche désespérée d’un mari dans Muriel ou le temps d’un retour; un chien de marbre dans la statue de l’Année Dernière à Marienbad; des souris de laboratoire dans Mon Oncle d’Amérique et Je t’aime Je t’aime, des poulpes et des méduses dans On connaît la Chanson. On pourra également comptabiliser des insectes dans ce zoo resnaisien. Premièrement des Abeilles, dans Guernica. Mais également un scarabée dans Je t’aime je t’aime. L’insecte qui semble le plus important est sûrement le Scorpion de Bernard dans Muriel. Dans tout ce zoo, il nous faudra remarquer que Resnais est lui-même l’un des animaux présent sur le plateau. C’est par ailleurs par sa capacité à s’identifier aux animaux que le cinéaste permet à ses personnages une si vive identification dans un effet de réciprocité. En effet, on notera dans un premier temps l’identification avec le Bernard l’ermite, « ce crustacé sans cesse en quête de maison qui est le symbole de l’angoisse et de l’incertitude puisque qu’il doit se faire héberger de maisons en maisons ». Ce sentiment de vagabondage le fera également s’identifier à un autre animal, la méduse, puisque celui-ci dira « Moi même je me sent très près des méduses qui flottent, dont on ne sait jamais où elles vont aller ». Outre ces animaux aquatiques, on pourra également assimiler Resnais à un chat puisque, au delà de cet amour pour les félins, Douin fait remarquer que « Si Resnais a la démarche féline d’un animal ne serait-il pas un chat, le chat d’Alice au pays des Merveilles de Lewis Carroll, avec son sourire ironique, son impertinence ? »
Des animaux signifiants
Si Resnais s’identifie au Bernard-L’ermite, il va de soit que ses personnages ont également une symbolique précise qui les caractérise. Ainsi, on retrouvera dans ce Bernard-L’ermite sans attaches le personnage d’Alphonse par exemple dans Muriel. On peut en effet caractériser chaque animal par une symbolique. Dans un premier temps, celle de la dualité avec la place des chats. Les chats dans Hiroshima mon Amour tout d’abord, signifiant dans un premier temps la tristesse et de désespoir de Nevers avec le chat noir, puis la reconstruction et l’espoir avec le chat blanc d’Hiroshima. Le chat fait ici office de passeur entre deux mondes, il est premièrement le passeur entre le passé et le présent, mais également le passeur entre la guerre et la paix. L’animal sera également un synonyme de peur, notamment dans Muriel, où le scorpion fait partie des objets de réminiscence de la guerre d’Algérie. Dans ce scorpion, on trouvera la représentation de la peur mais aussi de l’enfermement dont souffre Bernard. Un enfermement dans le passé qui le garde enfermé dans ce bloc qui enferme également le scorpion. La peur sera également incarnée dans ce long métrage par la mort, les animaux empaillés présents dans l’appartement d’Hélène auront donc également pour but de représenter cette immobilité et ce bloc qui retient les personnages dans ce film. Pour s’échapper de ce bloc on trouvera dans Muriel un seul animal qui sera lui synonyme d’évasion : le cheval blanc. À l’instar du cheval des contes de fées, le cheval aura ici pour but de donner un sens onirique au film de Resnais, celui non plus de la fuite, mais de la quête. Cette quête s’incarne également avec la présence des souris dans Je t’aime Je t’aime ou encore Mon Oncle d’Amérique , puisque ici la souris sera à nouveau un symbole de l’évasion comme le soulignera Bennayoun : « Resnais disait un jour qu’Alice au pays des merveilles ferait un film sublime. Il est normal que cet amateur de Brocéliandes ait réalisé un fil dont le héros, comme Alice suit une souris blanche coincée dans l’autre monde. » Ici nous pouvons arriver à un nouveau constat : l’animal, au delà d’un accessoire dialectique peut également être un véritable moyen d’identification des personnages. Ce sera le cas notamment pour le personnage de Claude Ridder qui s’identifiera à la souris qui l’accompagne dans son voyage temporel comme dans l’expression « je suis fait comme un rat ».
Des personnages animalisés
« Nous sommes sous des animaux blessés qui serrent les dents pour ne pas hurler » dit Forbek dans La vie est un roman. On trouve dans les films d’Alain Resnais des personnages qui sont parfois assimilés à des animaux. Ils sont animalisés : dans Providence, les hommes se transforment d’ailleurs en Loup-Garous. A la fin du film, c’est Kevin, le fils de Clive qui devient Loup-Garou et qui se fait assassiner par son demi-frère. On voit apparaître l’animalisation des hommes dans ce film. L’imaginaire de l’écrivain dévoile donc de manière explicite comment les hommes peuvent se transformer en « loups ». Il parle d’ailleurs de son fils Kevin (né d’une relation adultérine) comme d’un animal : « Mon bâtard bien-aimé… […] J’ai signé son pedigree comme pour un chien de race ! ». Les hommes se transforment donc en animaux dans les films de Resnais, dans Mon Oncle d’Amérique, les hommes deviennent de véritables souris de laboratoire, complètement manipulés par leurs « 3 cerveaux ».
Le Chat dans Je t’aime Je t’aime
« Dieu a créé le chat à son image, puis, il a cré » l’homme dans le but de servir le chat, de lui servir d’esclave jusqu’à la fin des temps. Au chat, il aurait donné l’indolence et la lucidité, et à l’homme la névrose, la passion de construire et de posséder des choses ». Voici ce que raconte Catrine à Claude alors qu’ils se trouvent en vacance à la plage. Le personnage de Catrine peut d’ailleurs être assimilé à une féline : elle fascine Claude, elle est discrète (à tel point que personne ne l’a jamais vue parmi les amis de Claude). La femme et le chat ne sont-ils d’ailleurs pas étroitement liés que ce soit dans La féline de Jacques Tourneur où la femme peut se transformer en féline meurtrière au contact de son mari ou dans un sonnet des Fleurs du mal de Baudelaire : « Viens mon beau chat, sur mon cœur amoureux » Resnais, comme Sternberg, aime particulièrement le chat. Il dit d’ailleurs dans un entretient avec Jean-Luc Douin : « J’adore le chat qui est un des seuls animaux à posséder la faculté d’imaginer. Un chat peut s’amuser tout seul avec une pelote de laine ». C’est aussi par cette caractéristique de l’imagination que Catrine peut être comparée à un chat : cette tirade sur le chat comme image divine pourrait être tirée de l’imaginaire sans borne d’un chat.
Principaux ouvrages de référence
Robert Benayoun, Alain Resnais, arpenteur de l’imaginaire, Paris, Stock, 1980
Gilles Deleuze, L’Image-Temps
Jean Luc Douin, Alain Resnais, Editions Lamartinière
Alain Fleisher , L’art d’Alain Resnais.*Suzanne Liandrat-Guigues, Jean-Louis Leutrat, Alain Resnais Liaisons secrètes, accords vagabonds, Cahier du cinéma, Auteurs, 2006
Jean Daniel Roob, Alain Resnais, Qui êtes-vous ?, La Manufacture, 1986*
René Prédal, L’itinéraire d’Alain Resnais, Lettres Modernes, collection Etudes cinématographiques, 1996.
François Thomas, L’atelier d’Alain Resnais,Paris, Flammarion, 1989
L’Arc n°31, Alain Resnais ou la création au cinéma, Dir. Bernard Pingaud et Pierre Samson, 1967
Collectif, Positif, Alain Resnais. « Horreur/bonheur : métamorphose », Cyril Neyrat, « Sur trois films inconnus d’Alain Resnais », François Thomas, Bernard Pingaud, « A propos d’Hiroshima mon amour », Jacques Brunius, « Chaque année à Marienbad ou la discipline de l’incertitude »
Jean-François Hamel « L’art de l’illusion : Alain Resnais et le théâtre. » Ciné-Bulles 311, 2013
Principaux films cités
Le Mystère de l’atelier quinze, 1957
Van Gogh, 1948
Gauguin, 1950
Guernica, 1950
Hiroshima mon amour, 1959
Les statues meurent aussi, 1953
Nuit et Brouillard,1955
L’année dernière à Marienbad,1961
Muriel ou le temps d’un retour, 1963
La Guerre est finie,1966
Loin du Vietnam,1967
Je t’aime je t’aime ,1968
Stavisky, 1974
Providence, 1977
Mon oncle d’Amérique, 1980
La Vie est un roman, 1983
L’amour à Mort , 1984
I want to go home, 1986
Mélo, 1986
Smoking/No smoking, 1993
On conaît la chanson, 1997
Les références des extraits correspondent une lecture avec VLC.
Cet ouvrage a été rédigé par :
Clémence Alméras, Juliette Armantier, Adeline Boulard, Alexandre Bron, Eléa Brossier, Coralie Charles-Casini, Léa Cocagne, Claire Coustet-Larroque, Marion Dumas, Léo Gilles, François Hortal, Maxime Julien, Romane Périssé, Anthony Raynal, Pauline Sarrazy, Ninon Senac, Tsakaieva Leïla
Coordination et relecture : Marie-Hélène Méaux.
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